La question du choix du candidat de la coalition BBY semble avoir entériné la place des forces progressistes PS, AFP, LD au sein de la coalition au pouvoir qui, plus que des partis alliés, semblent être devenues des partis alignés sur l’APR
La désignation d’Amadou Ba comme futur candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) à la présidentielle 2024, semble avoir ravi les partis alliés de la gauche. Qui, une nouvelle fois, ne présenteront pas de candidat à une élection présidentielle. Les forces progressistes ont décidé de mettre en berne leurs ambitions de conquête du pouvoir, au profit de la dynamique unitaire de BBY.
La question du choix du candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) semble avoir entériné la place des forces progressistes PS, AFP, LD au sein de la coalition au pouvoir qui, plus que des partis alliés, semblent être devenues des partis alignés sur l’Alliance pour la République. Aucun des candidats désignés dans la short-list n’est issu des forces de gauche qui apparaissent désormais comme des chambres d’enregistrement de l’APR.
La volonté affichée par Jean-Baptiste Diouf, maire socialiste de Biscuiterie-Grand Dakar, de se présenter à la Présidentielle, apparaît comme un coup d’épée dans l’eau. La secrétaire générale du Parti socialiste Aminata Mbengue Ndiaye, présidente du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) dans l’émission “Point de Vue” de la Radiotélévision sénégalaise (RTS) dimanche dernier, a bien réaffirmé son soutien total au choix du chef de l’État Macky Sall. D’après nos sources, des responsables socialistes tentent de faire revenir le maire Jean-Baptiste Diouf dans les rangs.
Moustapha Niasse, secrétaire général de l’AFP et vice-président de la Conférence des leaders de BBY, apparaît aussi comme une caution devant faire croire que le choix porté sur Amadou Ba découle de la coalition plutôt que de l’APR. Le patron des progressistes, qui a auditionné les prétendants à la succession de Macky Sall, apparaît comme un lot de consolation aux partis alliés qui peinent à exister au sein de Benno.
Ce déclin progressif des forces de gauche à la remorque de l’APR, semble être le fruit du long compagnonnage avec les marrons beiges qui a finalement érodé la capacité de mobilisation et de représentativité des partis de gauche PS, AFP, LD, AJ/PADS, PIT issus de la dynamique Benno Siggil Sénégal de 2008.
Une gauche en perte d’idéologie et d’identité
Si, pendant un temps, des personnalités de gauche, dont feu Amath Dansokho, feu Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Abdoulaye Bathily et Landing Savané ont joué les premiers rôles au sein de la mouvance présidentielle, au fil des années, la volonté hégémonique de l’APR a fini par les cantonner à un rôle de chambre d’enregistrement du parti au pouvoir. Des partis alignés qui se contentent désormais de préserver leurs quotas de postes ministériels ou de nominations dans les institutions de la République. Niasse (Assemblée nationale) et Aminata Mbengue Ndiaye (HCCT).
Cette état de fait pousse un leader de la gauche à souligner que les forces progressistes ont troqué les idéologies au profit des postes ministériels. L’ouverture vers d’autres forces issues de la galaxie libérale comme le PLD/Suxali Sénégal d’Oumar Sarr et Cie, l’Union des centristes du Sénégal (UCS) d’Abdoulaye Baldé et Rewmi d’Idrissa Seck ont accentué ce sentiment de marginalisation au sein de la nouvelle majorité présidentielle élargie depuis 2020.
L’entrée du parti d’Aïssata Tall Sall (Osez l’avenir) d’obédience socialiste ne réussit pas à contrebalancer ce sentiment ambiant d’une sorte de retrouvailles de la grande famille libérale.
La nomination d’Amadou Ba comme futur candidat de Benno en 2024 marquera l’histoire politique de notre pays, depuis la première alternance. Ainsi, pour un second scrutin présidentiel, les grands partis de gauche comme la LD, le PS et l’AFP ne présenteront pas de candidats. Ce qui risque de provoquer un assèchement du terreau idéologique et programmatique au sein de ces partis.
Ainsi, sans champion capable de mettre en avant les idées de progrès et de justice sociale, ces partis de gauche sont obligés d’être à la remorque de l’agenda néolibéral défendu par l’APR autour de son Plan Sénégal émergent (PSE). Ce rôle de faire valoir les a empêchés de constituer un pôle de changement au service d’une politique plus sociale. Même si le dernier gouvernement d’Amadou Ba a connu une inflexion sociale, avec l’accent mis sur le volet du pouvoir d’achat, la baisse du loyer et l’emploi, le substrat libéral figure toujours en bonne place dans la politique économique du régime de Macky Sall.
Selon Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger, l’absence de la gauche dans le débat concernant la hausse des prix des denrées de première nécessité et de la demande sociale démontre l’état de déliquescence des forces de gauche au Sénégal incapables de s’imposer comme alternatives en 2024.
La guerre des couleurs entre le Parti socialiste et Taxawu Sénégal
Ce manque d’ambition politique dans une coalition aussi hétéroclite a poussé de jeunes leaders issus de cette mouvance socialiste et progressiste à vouloir prendre leurs distances. De ce fait, les scissions de Taxawu Sénégal et Osez l’avenir du PS, du Grand parti de l’AFP et de la LD/Debout de la LD témoignent d’une perte d’identité de la gauche.
La gauche sénégalaise est largement plurielle avec diverses obédiences allant du socialisme progressiste au trotskisme, en passant par le panafricanisme. Fort de ce constat, une candidature de Khalifa Sall à la Présidentielle pourrait s’avérer désastreuse pour le Parti socialiste (PS), en récupérant une partie de son électorat.
Consciente du danger, la patronne des socialistes, Aminata Mbengue Ndiaye, a décidé de déclencher les hostilités autour des couleurs de Taxawu Sénégal. Pour elle, le vert et le rouge sont l’apanage du Parti socialiste. Elle ne va pas tolérer que Khalifa Sall et ses camarades, considérés comme des dissidents du PS, s’approprient les couleurs socialistes en vue du scrutin de février 2024, a-t-elle fait savoir sur le plateau de ‘’Point de Vue’’ sur la RTS.
Ces batailles de clocher ont-elles un impact sur la nouvelle génération des militants de gauche qui se sont plus reconnus dans des mouvements comme Taxawu Sénégal de Khalifa Sall (PS), Grand parti (AFP) et LD/Debout ?
Décomposition de la gauche et travail de sape de l’APR
Pour Pape Sarr, secrétaire général par intérim de la LD/Debout, cette décomposition de la gauche sénégalaise s’explique par le travail de sape du régime actuel qui concourt à déstructurer les formations de gauche en perte de vitesse. ‘’Il faut reconnaître, ces dernières années, que la gauche a reçu beaucoup de coups de la part des régimes de Wade et de Macky Sall. Ces régimes avec divers procédés financiers et politiques sont entrés dans les organisations de gauche pour les casser. Ils sont passés par les personnalités de gauche qui ont été sensibles à leur approche et cela a eu des répercussions sur toutes les formations politiques’’, a-t-il déclaré dans nos colonnes en avril 2022.
Pour le politologue Dr Moussa Diaw, cette situation de la gauche sénégalaise ne permet pas de poser les jalons d’un projet politique susceptible de constituer une alternative politique crédible pour 2024. ‘’La gauche sénégalaise a joué un rôle dans les changements politiques et la consolidation de la démocratie au Sénégal. Depuis l’ère des coalitions, on a une partie des forces de gauche qui est intégrée dans la mouvance présidentielle (Benno Bokk Yaakaar) et une autre en marge de cette même coalition. Les forces progressistes ont du mal à trouver leurs marques, car elles n’ont pas été associées à la mise en œuvre du PSE. La gauche ne fait qu’avaliser la politique gouvernementale sans être associée aux grandes orientations de la coalition’’, avait déclaré l’enseignant-chercheur de l’UGB dans nos colonnes.
Unité de la gauche
Et pourtant, en février dernier, plusieurs partis et organisations de la gauche sénégalaise avaient exprimé leur souhait d’unité de la gauche : AFP, AJ/PADS/A, APL/ Dog Buumu Gacce, BDS, BPS, CNNO, Galaxie Communautaire, LD, M2R, MRG, MPCL, Niaxx Jarinu/MAG, NPVR, PIT, PS, RES/Les Verts, RSD/TDS, RTA/S, SÔR, UDF/Mbooloo Mi et URD. Ces forces communistes, socialistes, socio-démocrates, nationalistes, écologistes révélaient leur volonté de construire une nouvelle Gauche plurielle, unie, démocratique, laïque et panafricaniste, ouverte et inclusive, autour des conclusions des Assises nationales avec un discours nouveau et des méthodes nouvelles.
En effet, elles avaient le constat que les organisations se réclamant de la Gauche, à cause de leur division, se sont retrouvées trop faibles pour pouvoir peser sur le cours politique de notre pays. Elles soulignaient, dans un texte intitulé : « Appel, Groupe d’initiative pour les assises de la gauche plurielle’’, que l’unité de la Gauche est devenue, aujourd’hui, une urgence, un impératif catégorique. ‘’Le contexte international et africain actuel, les récents développements inquiétants de notre situation nationale, constituent un motif supplémentaire et suffisant pour les forces de Gauche de se retrouver. Elles sont condamnées à réaliser leur unité afin d’être en mesure de jouer pleinement le rôle qui est attendu d’elles. Face à cette situation, elles sont appelées à prendre leurs responsabilités », indiquaient les signataires.
Elles entendaient ainsi organiser les Assises de la Gauche plurielle sur la base de termes de référence consensuels, afin de créer une vaste organisation des partis et mouvements de la Gauche plurielle. Des Assises qui devraient être l’occasion d’aborder toutes les questions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles qui agitent le pays.
‘’C’est le lieu, poursuivaient les signataires de l’Appel, de souligner avec force que l’unification souhaitée, pour être féconde et porteuse, devra s’appuyer sur les idéaux, les valeurs et les principes de Gauche comme la générosité, l’humanisme, la solidarité, le partage, la justice sociale, l’égalité, le refus de l’oppression et de l’exploitation ainsi que la défense des couches défavorisées’’.
Apparemment, ces retrouvailles sont remises à plus tard. En attendant, les partis de gauche vont essayer d’être des faiseurs de roi.