Une semaine après les inondations dévastatrices qui ont fait des milliers de morts dans la ville libyenne de Derna, secouristes locaux et étrangers s’activent pour rechercher les corps de milliers d’autres personnes toujours portées disparues. Les derniers bilans restent très imprécis et oscillent entre plus de 3 000 et même 11 000 victimes. Le représentant des Nations unies pour la Libye, Abdoulaye Bathily, a pu, ce 16 septembre 2023, se rendre à Derna, épicentre de la catastrophe.
Le diplomate sénégalais est l’invité d’Afrique matin au micro de Sébastien Németh.
Abdoulaye Bathily, qu’avez-vous vu à Derna ?
J’ai vu des images apocalyptiques, un paysage hallucinant et le désespoir dans les yeux des survivants.
Quelles images vous-ont particulièrement marquées lors de votre passage là-bas ?
Des immeubles entiers qui se sont effondrés. Et au centre-ville, une odeur pestilentielle, qui montrait qu’il y avait encore des corps ensevelis sous les décombres, qui commençaient déjà à dégager cette odeur. C’est quelque chose d’insoutenable. Ce sont des images de chaos. Une ville fantôme où les Caterpillar étaient déjà en train de travailler dans les décombres. Et naturellement, des populations complétement déboussolées. Mais aussi, une image réconfortante : celle de gens venus de partout pour aider les populations de Derna, pour sortir de ce chaos.
Est-ce que sur place les secours sont organisés correctement ?
Même dans un pays normal, quand une catastrophe de cette ampleur se produit, on peut comprendre, l’effet de surprise aidant, que les gens ne soient pas préparés. Mais la division du pays, puisqu’il y a deux gouvernements qui se disputent l’autorité sur tout le territoire libyen, et ces gouvernements eux-mêmes, ne sont pas préparés à organiser les secours de manière conjointe pour accueillir les étrangers qui viennent aider. Alors, il y a effectivement du flottement. Mais dans une ambiance marquée par une volonté quand même de bien faire, et de mieux faire.
Vous avez le sentiment que face à cette catastrophe, la ligne de fracture est-ouest s’estompe un peu ?
Il y a certains indices, oui. Par exemple, les militaires se sont mis tous ensemble pour appuyer les secours. Ils ont mis en place un centre d’opération conjoint. Mais également, les gens sont venus de l’ouest pour aider leurs frères. Ça, c’est une chose remarquable. Mais si le pays était uni, les choses auraient été beaucoup plus faciles.
Face à une catastrophe d’une telle ampleur, la mobilisation internationale vous semble-t-elle suffisante ?
Elle est suffisante, mais on peut dire aussi qu’elle n’est pas suffisante, à la mesure de l’ampleur de la catastrophe. Et compte tenu de l’éloignement du site, les conditions de transport ne sont pas faciles. Les barrages ont été coupés. Les ponts ont été coupés. La ville n’est pas aussi accessible. Ce n’est qu’il y a que deux jours qu’on a commencé à faire des routes de fortune pour accéder à la ville. Des efforts sont faits, mais, à mon avis, ce n’est pas encore suffisant, compte tenu des obstacles. Mais il faut dire aussi que la Libye a suffisamment de moyens. Le gouvernement de l’ouest a annoncé un appui financier conséquent. Le Parlement a annoncé également un budget de presque 3 milliards de dollars. La Libye a assez de moyens par elle-même pour faire face à cette catastrophe, sur le plan financier. Maintenant, sur le plan de l’organisation, c’est sûr que la Libye n’a pas assez de moyens techniques, de moyens opérationnels, pour rendre effectif ce soutien.
La fracture est-ouest, au niveau politique, est-ce qu’elle n’aggrave pas les conséquences de cette crise ?
Après votre passage à Derna, quel est votre message aujourd’hui aux populations de la région, et de la Libye tout entière ?
Un message d’unité pour les populations. Elles aspirent à l’unité de leur pays, à l’intégrité territoriale de leur pays, à bénéficier des énormes ressources dont elles disposent. Ces richesses doivent être pour la Libye, elles ne doivent pas être au profit de quelques individus. Les responsables libyens ont aujourd’hui en effet une responsabilité politique et morale d’unifier leur pays, de mettre de côté leur égoïsme, leur cupidité, pour servir leur peuple. Il faut un pays unifié, qui sera dirigé par des responsables élus, et qui seront comptables de leurs actions.
Ffi