Entre choisir quelqu’un qui pourrait gagner et ne s’avérait pas loyal à terme et quelqu’un qui serait loyal mais aurait peu de chance de gagner, c’était vite vu pour Macky Sall. Il faut d’abord gagner pour ensuite penser à la loyauté
L’accouchement fut difficile. Le président a la digestion lente. Choisir lui demande toujours du temps. Lui, l’apôtre des coalitions de longue durée et de la théorie des ensembles, ignore visiblement l’axiome de choix, fondement de cette théorie. Des signes avant-coureurs désignèrent le vainqueur bien avant son annonce et il n’eut point de fâcheuse surprise, le pronostic attendu s’avéra cette fois juste. Le choix du candidat de Benno s’est porté sur Amadou Ba. Un choix de raison plutôt que de coeur, un peu comme lors de son abdication du troisième mandat. Macky Sall est un ingénieur, pas un artiste. Il sait donner à la politique une tournure personnelle et est apparu au fil des ans comme un champion dans la préservation de ses intérêts en manipulant les circonstances. Après avoir donc attendu plus de deux mois, le candidat de Benno a enfin un visage. C’est important en politique.
On constatera qu’Amadou Ba est à chaque fois présent dans les moments de choix du président. On constatera aussi que chaque fois qu’il a fallu le nommer à une quelconque responsabilité, le président aura longuement hésité. Souvenez-vous de la formation du gouvernement à l’issue de l’élection présidentielle de 2019. L’annonce qui devait être une simple formalité prit une éternité. Amadou Ba était le point bloquant. Les négociations d’alors, achoppèrent principalement sur sa sortie du ministère des Finances. Il accepta contre mauvaise fortune bon coeur, le ministère des Affaires étrangères. Il n’y resta d’ailleurs pas longtemps.
L’autre épisode fut sa nomination au poste de Premier ministre en septembre 2022. Le poste, bien que remis au goût du jour par une procédure d’urgence, fut vacant pendant plus de neuf mois. Une éternité. Il avait fallu là encore, au président moult hésitations avant de lui proposer le fauteuil. Une sombre affaire d’achat d’armes impliquant le ministère de l’Environnement et celui des Finances tomba à propos pour le mettre en pole position et lui permettre de rafler la mise.
Bis repetita pour la désignation de son dauphin dans Benno, le président aura attendu des semaines avant de le nommer. Entre temps, à leur grand désavantage, une kyrielle de candidats eut le temps de fleurir dans leur camp, des clans s’installèrent et on vit naitre des bribes de compétition féroces entre les différents protagonistes. Les joutes entre candidats à la candidature, furent-elles à fleurets mouchetés, se firent jour et elles auront sans aucun doute, des séquelles dans les jours à venir.
Le président se devait de répondre à deux questions simples pour désigner le candidat de son camp : qui parmi les candidats pouvait gagner au premier tour ? Sur qui pourrait-il compter pour rester dans les arcanes du pouvoir après 2024 ?
A ces deux questions, Amadou Ba était la meilleure réponse : il tient la cote dans l’électorat national pour Benno, n’étant pas régionalement marqué donc aisément fédérateur ; il a le profil lisse, pas fortement estampillé APR pour les partenaires dans Benno qui souffraient en silence de l’hégémonie du parti du président ; il est enfin celui qui rassure les partenaires extérieurs du Sénégal.
Le choix d’Amadou Ba ne dérange dans le fonds que ses collègues de parti. Sa cote de désamour dans l’APR est forte. Les militants sont contre ce taiseux, qui, bien que dernier venu, a engrangé tous les privilèges sans jamais véritablement mouiller le maillot. On lui reproche de ne jamais l’avoir entendu égratigner le moindre opposant.
Mahamat Boun Abdallah fut pendant un long moment, son challenger à ce poste de candidat de Benno. Il est indubitablement, la personne sur laquelle Macky peut, sans aucune hésitation, compter en toutes circonstances. Il enfila le rôle de parfait second durant tout leur compagnonnage. S’il jouissait de l’avantage d‘être un bon compromis dans Benno n’y ayant pas d’ennemis déclarés, il portait le lourd handicap de ne pas capter en son nom, un électorat de masse hors de sa coalition.
Abdoulaye D. Diallo montra par moment ses muscles mais à vrai dire, il n’en avait pas beaucoup. Bien qu’homme de réseaux, il avait l’inconvénient d’être une personne du « milieu ». Il ne tranchait véritablement sur aucun des principaux critères du président : pouvoir gagner et être loyal -. Il pourrait certes gagner avec l’appareil de Benno, mais Amadou Ba pourrait mieux gagner que lui ; il est certes loyal au président mais Boun Abdallah est plus loyal que lui. Ces manquements en faisaient le moins bien placé du trio majeur.
Les autres candidats à la candidature ne présentaient pas d’intérêts particuliers aux yeux du président.
Avec ce choix, Macky fait un pari risqué en espérant que son futur d‘ex-président n’aura pas à regretter cet acte. Entre choisir quelqu’un qui pourrait gagner et ne s’avérait pas loyal à terme et quelqu’un qui serait loyal mais aurait peu de chance de gagner, c’était vite vu. La balance a penché du côté d’Amadou Ba. Il faut d’abord gagner pour ensuite penser à la loyauté. C’est cela la realpolitik.
Dorénavant, les yeux vont se tourner vers Amadou Ba.
Les caresses courtisanes vont changer de maitre. Cela a déjà commencé. Sa vie privée sera désormais auscultée sur toutes les coutures et mise sur la place publique par ses adversaires. Il sera leur cible désignée. Espérons qu’il aura la peau dure.
En attendant, nous autres citoyens devront aussi activer notre axiome de choix : il nous faudra nous aussi répondre à ces deux questions : les défis de 2024 pourront-ils se faire dans la continuité comme le suggère la candidature d’Amadou Ba, prudent et spécialiste dans l’accumulation des petits avantages politiques comme son maitre ? Ou faudrait-il un nouveau messie adepte de l’attaque frontale pour refonder ce pays, effacer le passé et enclencher les réformes dont nous avons besoin ?
Les prochains mois nous permettront, avec ce qui restera de candidats passés au filtre du parrainage, de redéfinir ce qui parait possible et de choisir des leaders capables d’imposer des transformations.
Ce sera notre ultime défi.
C. Tidiane Sow est Coach en Communication politique.