Mr Ousmane Sonko est-il un terroriste ou une victime ?
En réponse aux personnalités de plusieurs nationalités qui, préoccupées par la situation qui prévaut dans le pays, ont pris l’heureuse initiative de suggérer au
Président Macky Sall, de prendre des mesures d’apaisement pour restaurer la paix sociale et, préserver la cohésion nationale, le ministre Fofana a cru devoir, en sa
qualité de porte-parole du Gouvernement, leur adresser une « réplique » des plus désobligeantes. Un tel agissement, à un moment où l’on se demande si le pays ne serait pas à la veille d’une tragédie, eu égard à l’image qui a circulé sur la toile, montrant madame Aïda Mbodj, surnommée la « lionne du Baol », en larmes, pour avoir vu l’état presque désespéré dans lequel se trouve le principal opposant, Mr Ousmane Sonko. Le poids du témoignage de cette dame résulte de ce qu’il s’agit d’une personnalité non seulement contemporaine de Diouf et Wade, mais qui a été ministre, maire d’une ville et parlementaire pendant une quinzaine d’années.
Très en verve, Mr Fofana a tenté de convaincre du bien-fondé du sort qui est infligé au sieur Sonko, en égrenant plusieurs menaces que celui-ci aurait proférées contre
le chef de l’État. Mais, n’est-il pas resté à la surface de l’eau sans aller au fond, pour se demander si nous n’étions pas en train de vivre la dernière séquence du processus de réduction de l’opposition à sa plus simple expression ? Car, contrairement à ce que d’aucuns en ont pensé, la réduction de l’opposition à sa
plus simple expression a pour finalité, le démantèlement de cette démocratie qui a valu au Président Abdoulaye Wade 26 années de lutte en compagnie du Peuple. À
la place, s’installerait une démocratie monolithique, dépourvue de toute perspective d’alternance démocratique : le chef choisi et le Peuple s’aligne.
Il y a eu, certes, des menaces et même des gesticulations, mais n’était-ce pas là les réactions d’un homme aux abois ? Un homme qui est pourchassé, persécuté,
violenté, séquestré, traîné dans la boue. Un homme aux mains nues, face au Léviathan, à l’État, ce monstre, agissant avec la farouche détermination de l’écraser,
de l’éliminer, afin que la démocratie monolithique puisse s’installer et se perpétuer. Les faits ainsi exposés, montrent qu’en réagissant par de simples menaces, le sieur
Sonko s’était volontairement placé en deçà de ce qui est légalement permis à tout un chacun pour s’assurer le droit à la vie et à la liberté prévus par la déclaration des
droits de l’Homme et l’article 7 de notre Constitution.
En tout cas, il est admis que le comportement de l’individu dans la société, résulte des rapports qu’il a avec le milieu physique et social, lequel agit sur lui.
Mais, puisque l’Opposition est prévue et protégée par l’article 58 de la Constitution, toute action tendant à la réduire à sa plus simple expression, donc à la priver de
toute possibilité de s’opposer positivement comme le prévoit la loi fondamentale, ne pouvait se faire qu’en dehors de l’État de droit auquel il fallait nécessairement
substituer l’arbitraire et le manichéisme.
C’est cette dégénérescence de l’État de droit et cette mise en péril de la démocratie qui ont plongé le pays dans l’instabilité et la violence.
L’existence de cette réalité, bénéficie du témoignage de plus 500 personnalités, ressortissants de 3 continents (Europe, Amérique, Afrique) et, dans la mesure où il
s’agit de questions de droit, il est important de signaler que parmi les intervenants, on compte plus de 200 professeurs d’université, plusieurs organisations de défense
des droits de l’Homme, des avocats de renommée internationale, des juristes confirmés, des politiques qui ont occupé de hautes fonctions, des notabilités etc…
C’est ainsi que :
• Le 22 février 2021, 102 professeurs d’université ont publié un manifeste intitulé « La crise de l’État de droit au Sénégal » ;
• Le 10 mars 2021, un collectif d’une centaine d’artistes, d’universitaires et divers citoyens sénégalais, publie une tribune dans laquelle ils constatent que
la vitrine de la démocratie que fut le Sénégal a volé en éclats, tandis que l’usage d’armes létales et de recours aux nervis contre les manifestants
étaient devenus monnaie courante ;
• Le 24 juin 2022, un groupe de 120 professeurs d’université signe un,manifeste dans lequel ils expriment leur inquiétude quant à la démocratie et à
l’État de droit au Sénégal ;
• Le 28 juin 2022, un groupe de 51 professeurs d’université signe une tribune contre la faillite des autorités administratives et judiciaires au Sénégal ;
• Le 28 mars 2023, la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH) invite les autorités sénégalaises à mettre fin à la répression, à garantir
le respect des droits humains et des libertés ;
• Le 3 août 2023, la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH),constate qu’au Sénégal, il y a menace sur la démocratie et l’État de droit, et
péril sur les droits fondamentaux ;
• Le 8 aout 2023, un éditorial du journal Le Monde, qui est une référence pour,les chercheurs, titre : « La dérive du Sénégal, nouvelle source d’inquiétude
pour l’Afrique de l’Ouest » ;
• Le 14 aout 2023, un collectif de 8 professeurs d’université, dont un ancien recteur, dénonce le désenchantement démocratique au Sénégal ;
• Le 22 aout 2023, un collectif de 144 personnalités, ressortissants de pays différents, invite le Président Macky Sall à prendre des mesures d’apaisement du climat social.
Le témoignage de toutes ces personnalités dont la compétence et la probité morale ne font l’objet d’aucun doute, montre de façon incontestable que les voies et moyens
qui sont employés pour réduire l’Opposition à sa plus simple expression, sont antinomiques à l’État de droit et au bon fonctionnement de la démocratie.
C’est dire que le sieur Sonko n’est absolument pas à l’origine des troubles qui ont secoué le pays, parce qu’il est lui-même victime de sévices et d’exactions qui n’ont
aucun fondement légal. La vérité est que l’injustice et le manichéisme à l’échelle étatique, conduisent à la fracture sociale, puis à la révolte, parce qu’ils sont toujours vécus comme une suite de frustrations aiguës par ceux qui en sont les victimes. Pour orienter les esprits, on a voulu semer la confusion entre « l’appel à
l’insurrection » et « l’appel à la résistance ». L’insurrection a pour objet de faire tomber le pouvoir en place, généralement par la violence.
La résistance a pour objectif de faire comprendre au pouvoir en p lace que la voie qu’il a empruntée porte préjudice au Peuple, et n’est pas conforme au programme et
à la profession de foi sur la base desquels il a été élu. Le droit à la résistance découle d’une part de ce que la légitimité n’est jamais absolue et définitive, elle doit se conquérir quotidiennement ; d’autre part, tous les grands penseurs de la politique ont une philosophie contractualiste de la société politique.
C’est cette situation délétère qui risquait de faire sombrer le pays dans l’anomie, qui a conduit le sieur Ousmane Sonko à appeler à la résistance et non à l’insurrection. Il
a toujours appelé à manifester pacifiquement, et n’a jamais armé qui que ce soit ou commandité une action violente. Lors des évènements du mois de mars 2021, il n’a
pas hésité à demander publiquement aux manifestants de laisser le Président Macky Sall terminer son mandat.
Mais, cette attitude républicaine n’a eu aucun effet sur la décision d’utiliser l’affaire « Sweet Beauté » pour l’éliminer du champ politique. Pour arriver à cette fin, tous les
principes généraux de droit, ainsi que la législation existante en la matière ont été foulés au pieds. C’est ainsi que le procureur de la République, pour alimenter son
réquisitoire introductif, avait fait falsifier les procès-verbaux pour charger Ousmane Sonko et ordonné l’introduction frauduleuse de photos pornographiques dans le
dossier. De plus, pour pouvoir renvoyer le sieur Sonko devant la chambre criminelle, il avait écarté le certificat médical qui mettait Sonko hors de cause, pour utiliser,
disait-il, un prélèvement qui aurait été effectué sans réquisition à expert, conformément à l’article 52 CPP, et sans l’attestation d’un certificat médical.
Or, non seulement l’absence d’une réquisition établie par l’autorité judiciaire ou son représentant, et d’un certificat médical, rendait nul le résultat des analyses dudit
prélèvement, mais pour écarter le certificat médical qui mettait hors de cause le sieur Sonko, le juge devait prendre une ordonnance que l’accusé pouvait contester.
L’absence de cette formalité porte atteinte aux droits de la défense et appelle l’application de l’article 166 CPP.
C’est sur la base de ces nombreuses illégalités, que Mr Sonko a été condamné à deux années d’emprisonnement ferme.
C’est cette condamnation, qui résulte de l’arbitraire, et dont le seul but était d’éliminer un adversaire politique, qui a provoqué les troubles du mois de juin 2023.
C’est à l’occasion de ces manifestations, qu’un plan concerté de liquidation a été mis en exécution. Un nombre important d’individus, dont la plupart ont un lourd pedigree,
ont été recrutés et dotes d’armes et de munitions de guerre. Grassement payés, ces individus avaient pour mission de détruire par la mort un
groupe social déterminé, c’est-à-dire, les militants et les sympathisants du parti PASTEF.
Il y eut des dizaines de morts et des centaines de blessés graves. Depuis ce jour, les rescapes de la tuerie sont traqués, beaucoup cherchent à fuir le pays, qui par
l’océan qui en englouti quelques-uns, qui par le brousse pour rallier un des pays voisins, comme le jeune greffier Ngagne Demba Touré.
D’autres, qui ont choisi la clandestinité et sont pourchassés sans répits pour être,capturés et jetés en prison avec comme motif : « Appartenance à une organisation
terroriste ».
Paradoxalement, ce sont ceux qui manifestaient à mains nues qui sont qualifiés de terroristes, alors que ceux qui ont les mains tachées de sang et leurs
commanditaires, vaquent tranquillement à leurs besoins. Pourtant, ce qui s’est passé en ce jour de juin 2023, répond à l’une des définitions
du génocide : « Exécution d’un plan concerté tendant à la destruction d’un groupe social déterminé, par une atteinte volontaire à la vie ».
Donc, les juridictions de n’importe quel pays pourraient en être saisies, d’autant plus que toutes les télévisions du monde et des journaux de renommée, ont eu à en
montrer ou à en décrire des scènes qui ont fortement ému. Ce qui précède montre, qu’en scrutant les faits sous l’éclairage de la législation en
vigueur, on se rend compte que Mr Ousmane Sonko n’est pas retenu là où il se trouve par la force de la loi, mais il y est retenu par la seule volonté d’un homme qui
en assume la responsabilité.
La décision du juge puise sa force dans la loi, mais si elle est rendue dans le seul but de nuire et en violation de la loi, elle devient une simple déclaration de volonté.
Car la toge du magistrat n’a pas la vertu immanente d’insuffler la force exécutoire aux décisions que rend celui-ci en dehors de la loi.
Montesquieu l’a dit : « Le juge ne doit être que la bouche qui prononce les paroles de la loi » ; Quant à Beccaria, il estime que « les juges des crimes ne peuvent avoir
le droit d’interpréter largement la loi pénale, par la seule raison qu’ils ne sont pas législateurs ».
Ceci rappelle l’un des communiqués du président la Cour suprême, par lequel il invitait les magistrats à rendre les jugements dans le respect de leur serment, c’està-dire dans le cadre de la loi et la Constitution.
Pour conclure, nous constatons que dans cette affaire, nul ne peut valablement contester le fait que Mr Ousmane Sonko n’est rien d’autre qu’une victime