La mode qui nous est venue de l’Europe portée par quelques activistes a fini par menacer de rompre le fil d’Ariane qui relie dans notre pays les différentes générations, qui consolide la famille et qui fortifie la communauté.
Il y eut d’abord la malheureuse exclamation du Président Abdou Diouf : jeunesse malsaine !
Ensuite sont arrivés les nouveaux messies qui ont proclamé, urbi et orbi, face aux échecs répétés des élites au pouvoir, la virginité de la jeunesse, sa compétence sans limite, son amour incomparable pour sa patrie.
Comme à l’accoutumée, ce sont des idéologies sorties tout droit des Think Tank financés par les services de renseignement occidentaux et les fondations de type Soros.
Ces idéologies ont un seul objectif en Afrique : diviser pour mieux continuer à avoir la mainmise sur le pouvoir politique.
Cette nouvelle ligne de fracture touche au fondement même de notre cohésion communautaire et sociale.
Elle menace dangereusement cette extraordinaire solidarité communautaire que la vieille Europe nous envie.
Nos vieilles personnes, nos pères, nos mères, nos tantes, nos oncles, nos grands-parents, après leurs années d’activités durant lesquelles ils nous ont soutenus, continuent de vivre intimement, intensément au cœur de la famille et de la communauté dans lesquelles, comme une aiguille avec son fil, elles cousent la moindre fissure.
Elles sont le ciment qui empêche le canari familial et communautaire d’éclater en mille morceaux.
En Europe, comme de vieux torchons, les vieilles personnes sont rangées dans les placards des maisons de retraite.
Les plus heureuses reçoivent, de temps en temps, la visite de leurs enfants.
Elles ne font plus partie du monde.
Elles attendent la mort prochaine qui de plus en plus tarde à venir les délivrer de la solitude insupportable de leurs longues dernières années de vie.
Chez nous, jusqu’à leur mort, les vieilles personnes participent à notre vie familiale, communautaire, religieuse, sociale et culturelle.
Combien de mosquées sont dirigées par des retraités ?
Combien d’associations de parents d’élèves sont paradoxalement dirigées par des adultes dont les enfants ont dépassé l’âge d’aller à l’école ?
Combien de mariages sont démarchés puis nouer par des vieilles personnes ?
Ils sont nombreux, impossibles à dénombrer, les conflits familiaux, communautaires, de voisinages, savamment dénoués par des vieilles personnes !
Les vieilles personnes, bibliothèques d’expérience professionnelle, de savoir faire social et de connaissances psychologiques empiriques, sont des écoles de sagesse.
Les vieilles personnes sont les enseignants informels, à l’improviste, qui transmettent aux différentes générations notre savoir vivre qui fait de notre vivre ensemble cet extraordinaire bien que l’argent et l’abondance de biens matériels ne peuvent pas produire en Europe.
Comme les nouveaux riches sortis de nul part qui font la pluie et le beau temps, ils veulent aussi inventer en Afrique une jeunesse née savante, qui n’a pas besoin d’expérience pour être experte, qui n’a plus besoin de ses parents, de tous les parents.
L’exemple le plus frappant se passe dans nos universités où les jeunes collègues ne veulent plus être appelés assistants, où des doctorants se font appelés sur les plateaux de télévision professeur. Ils sont applaudis lorsque dans leur ignorance crasse, dévergondés, ils font la leçon à leurs maîtres.
Toute cette idéologie de célébration des mille vertus réelles et imaginaires de la jeunesse, d’apologie du patriotisme d’une jeunesse sans culture citoyenne et d’éloge de l’émancipation de la jeunesse de la tutelle des adultes obsolètes et corrompus, ne vise qu’à enrôler la partie la plus nombreuse de la population africaine dans l’impasse de l’ignorance, de la désagrégation sociale et en fin de compte à l’installation d’une instabilité sociale chronique violente.
L’objectif d’hier est encore l’objectif d’aujourd’hui.
Seuls la forme, les méthodes, les leviers et les mots pour les exprimer ont changé.
Il s’agit ni plus ni moins que de « diviser pour mieux régner ».
Malheureusement nos États n’ont pas créé des centres de recherche pour décrypter et contrecarrer les mauvais desseins que les grandes puissances construisent pour les pays et les peuples africains.
Nous n’avons construit aucune structure pour contrer et contre attaquer face à cette guerre silencieuse et froide menée à travers un soft power intelligent et d’une puissance inédite.
Nos universités qui devaient nous protéger sont elles-mêmes infiltrées.
Beaucoup de collègues universitaires au Sénégal et dans la diaspora sont au service du soft power des puissances étrangères.
Ils font semblant d’être avec nous pour gagner notre sympathie. En fait, c’est pour mieux nous inoculer le venin mortel des idées fabriquées dans les officines de fabrication des armes idéologiques à fragmentation.
Combien d’ONG travaillent tranquillement, librement, chez nous à la destruction programmée de notre société ?
La presse aussi a ses barbouzes.
Des journalistes distillent, à petites doses, les contrevaleurs, l’apologie des comportements contre nature.
Ils participent, eux aussi, à la campagne pernicieuse qui consiste à habituer notre jeunesse à ces faits divers inadmissibles, à briser la protection que nos traditions ont installée afin de gagner de plus en plus de jeunes à ces anti valeurs.
Évidemment la vieille génération est le rempart le plus solide contre l’infiltration de nos sociétés par ces idéologues pernicieuses et permissives.
C’est aussi une des raisons de cette idéologie « tendance » de déification de la jeunesse.
Un moyen de la livrer pieds et poings liés entre les mains des ennemis de l’Afrique.
Nos valeurs de culture et de civilisation et nos religions ont au fil des siécles permis de construire une société dans laquelle les liens intergénérationnels sont solides, forts et enrichissants.
Soyons les remparts contre les nouveaux gladiateurs de l’ombre qui veulent dénuder notre protection séculaire, nos personnes âgées, pour mieux nous asservir mentalement et nous détruire physiquement.
Dakar, mardi 29 août 2023
Professeur Mary Teuw Niane