Qui pour sauver la soldate presse

par pierre Dieme

 Pape Alé Niang nous lance le courage de la conviction. Il nous dit nos renoncements, notre déshumanisation. Il jette le poids de son micro, de sa caméra, sur nos échines courbées

On dit que la première victime de la guerre, c’est la vérité. De la même manière, on peut aussi dire que la presse fait partie des premières victimes des démocraties en voie de dépouillement de leurs attributs et autres parures, dont la liberté pour les citoyens d’être informés des actes et activités de leurs dirigeants. La presse est la mamelle nourricière de ce droit. Et les journalistes, les vecteurs par qui ce droit s’exprime. Mais il faut le dire pour le désespérer, la presse dans ce pays, se couche de plus en plus, et les journalistes qui refusent cette posture verticale paient le prix de leur indocilité. L’affaire Pape Alé Niang (PAN) en est l’illustration tragi-comique. Ainsi que les assauts fréquents contre le Groupe de presse Walftv.

Il faut sans doute se rappeler le long chemin parcouru par la presse, ses précurseurs, ses alliances fragiles, parce que conjoncturelles. On l’oublie : ce n’est pas que l’État qui n’a pas d’amis ; les politiciens aussi. Amis et courtisans dans l’opposition, les (certains pour être juste) politiciens changent de peau, de relations, d’amitiés, comme le caméléon sur son arbre esseulé, ou face à l’adversité. Si pour le caméléon, c’est une attitude de défense par le camouflage, le politicien parvenu à « bon port » endosse l’habit-carapace de l’État sans amis (sauf ceux qu’il soumet) et père fouettard d’une brutalité sans état d’âme.

Si on jette un coup d’œil dans le rétroviseur de la « démocratie » sénégalaise, on note que les luttes pour l’avènement d’une presse libre, plurielle, coïncident très exactement avec celles pour l’instauration d’une démocratie non censitaire, non sélective, réduite à des courants politiques de la tête du président-poète Senghor. On notera aussi (et les archives sont là) que c’est la période des luttes pour l’émergence (tiens, tiens) de syndicats autonomes (les composantes de l’UNSAS, UDEN ET CSA, le SYNPICS etc.). C’est cette conjonction des luttes pour, tout compte fait, l’avènement d’ un seul objectif : le droit de la société sénégalaise dans ses différents segments à un élément vital : la respiration démocratique. Autrement dit, la fin des camisoles de force : parti unique, syndicat unique, gouvernement à vie…

Ces combats communs pour des objectifs convergents ont scellé des alliances multiples et multiformes, mais aussi des malentendus qui feront jour après la première alternance en l’an 2000. Ces malentendus sont plus le fait des nouveaux gouvernants qui ont pensé à tort qu’ils avaient à travers la presse des qu’amis à vie ou du moins des complices consentants. Et la presse s’est vue plus belle qu’elle ne l’était (elle ne l’est toujours pas).

À savoir, acteur de l’alternance, donc ayant aussi droit au « butin », et devait faire partie du partage. Mais comme nous l’a appris un homme politique sénégalais (qui sait ce qu’il dit), c’est au moment du partage du butin que ça tourne mal entre les bandits (les voleurs) et se comportent comme de vulgaires cow-boys en sortant l’artillerie lourde.

Mais contre cette guerre pour la bamboula, il y a ces « justiciers » (les somones) armés d’une foi quasi sacerdotale en leur métier, en la justice, en leur devoir vis-à-vis de la société, des citoyens qui refusent de se coucher en échange d’os (les restes) issus de la table des nouveaux prédateurs. Et la presse se coucha pour diverses raisons : la corruption et (ou) la peur. On fabrique alors des laudateurs « volontaires supplétifs », une sorte d’armée mexicaine composée de mercenaires. Ils sont un pilier important et quasi nécessaire à un pouvoir dont la crédibilité s’effrite chaque jour. Tout pouvoir a besoin de mercenaires de la plume notamment. Il y a les girouettes instables qui valsent comme l’eau dans une pirogue sans direction. Il y a aussi ceux (et celles) qui résistent à leur manière par un silence étouffant ou une autocensure honteuse, mais comme bouée de survie. Qui peut leur en vouloir quand on voit le rythme avec lequel nos prisons se remplissent ; quand l’indifférence face à l’effritement des libertés, semble devenir le comportement le mieux partagé, le refuge des survivants. Il faudrait peut-être ne pas trop en vouloir à ceux qui essaient de survivre ainsi.

Et le plus inquiétant pour le cas de mon confrère PAN, c’est le silence tonitruant des confrères, de la corporation, du syndicat des journalistes. Comme si le mot d’ordre était : on a donné assez la dernière fois, il y a moins de trois mois, on n’a plus en stock ce nutriment essentiel à tout corps social : la solidarité. Désertion. Désert aveuglant. Silence honteux parce que coupable d’oubli de solidarité.

PAN ! Ce fragile bonhomme physique nous lance à la gueule le courage de la conviction. Il nous dit nos renoncements, nos reniements, notre déshumanisation. Il jette le poids de son micro, sa caméra, son clavier sur nos échines courbées. En attendant qu’on l’y rejoigne ou qu’il nous quitte (et la profession avec) avec un grand doigt d’honneur pour nos silences honteux. Salut le survivant-résistant. Et pour ce que cela vaut de là où tu es, malade, me dit-on : je ne t’oublie pas. Et quoi qu’il advienne, tu fais (feras) partie de la longue liste des martyrs des libertés. De la liberté.

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