Convoqués en procédure d’urgence à partir de ce lundi 17 juillet, les députés de la 14ème législature semblent partis pour vivre d’intenses moments de confrontation parlementaire, tant il est vrai que l’objet de la plénière arrêté par le gouvernement
Eligibilité de Khalifa Sall et Karim Wade, réajustement du parrainage citoyen, suppression de l’Assemblée nationale : voilà ce sur quoi est invitée à se prononcer la 14ème législature, sur convocation du Chef de l’Etat Macky Sall en procédure d’urgence. Reste maintenant à savoir si toutes les dernières «injonctions» du maitre du jeu seront suivies à la lettre par une majorité parlementaire sans «maître» face à une opposition certes écartelée mais «unie» sur certains points mi-clair mi-obscur touchant les projets de loi devant être défendus par Ismaila Madior Fall et Antoine Diome, respectivement ministres de la Justice et de l’Intérieur.
Convoqués en procédure d’urgence à partir de ce lundi 17 juillet, les députés de la 14ème législature semblent partis pour vivre d’intenses moments de confrontation parlementaire, tant il est vrai que l’objet de la plénière arrêté par le gouvernement ne suscite pas le consensus général chez tous les acteurs politiques. Pour cause, les recommandations issues du dernier dialogue politique appelé par le Chef de l’Etat, Macky Sall, ne sont « nationales » que de nom. Loin d’être inclusives, ces concertations ont été boycottées par la majorité de l’opposition dite radicale, en particulier la coalition Yewwi Askan wi à l’exception de Khalifa Sall et Taxawu Sénégal, mais aussi par plusieurs acteurs de la société civile et des mouvements citoyens regroupés au sein de la plateforme des forces vives (F 24). De sorte que les modifications envisagées de la Constitution, du Code électoral et du Code pénal, dans la foulée des 12 points dits d’accord de la commission politique du dialogue national, ne sont pas partagées par moult députés, en premier ceux de l’opposition dite radicale. Ce qui augure de rudes confrontations au sein de l’hémicycle.
Qui plus est, ces ajustements devant être opérés sur la Constitution, la Loi électorale et le Code pénal, suite à l’arbitrage du Chef de l’Etat, maître d’œuvre du dialogue politique, incommodent même par certains côtés des acteurs qui étaient partie prenante des concertations. Ainsi en est-il du projet de loi portant révision de la Constitution, pour permettre au Chef de l’Etat de pouvoir dissoudre l’Assemblée nationale bien avant la période réglementaire des deux ans. Le nouveau projet de loi qui sera défendu par le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, stipule de fait que « Le Président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du Premier Ministre et celui du Président de l’Assemblée nationale, prononcer, par décret, la dissolution de l’Assemblée nationale. Le décret de dissolution fixe la date du scrutin pour l’élection des députés. Le scrutin a lieu soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus après la date de la publication dudit décret… ».
En tout état de cause, le texte en question ne semble guère faire l’unanimité, au sein des nouveaux partisans du chef de l’Etat au dialogue politique. Ainsi en est-il de Doudou Wade du Pds qui appelle à un sursaut d’orgueil collectif pour empêcher cette modification, selon la presse. L’ancien président du groupe parlementaire du Pds a appelé les députés et les Sénégalais en général à se dresser contre cette modification de la Constitution. « Le projet de révision de la Constituons en son article 87 mérite un sursaut d’orgueil collectif pour refuser le diktat du Président de la république. (…) La modification de l’article 87 telle que prévue par le projet de loi est une catastrophe ». Et de poursuivre : « Avec cette nouvelle rédaction, le président de la République a droit de mort sur l’Assemblée nationale. Ainsi, il lui est loisible de dissoudre l’Assemblée et d’organiser des élections législatives sans coup férir tous les cent (100) jours ».
Dans la même dynamique, le député et candidat à la présidentielle Thierno Alassane Sall a dit son opposition au bon vouloir de Mack Sall : « Le projet de révision constitutionnelle livre une Assemblée nationale, déjà sans pouvoir réel, au bon vouloir d’un Président tout puissant. Macky Sall a renoncé à un 3e mandat mais pas au Pouvoir. Selon toute vraisemblance, il veut nous choisir son successeur et faire cohabiter ce dernier avec un Parlement qu’il aura largement contribué à modeler. En tant que député, je ne voterai aucune loi qui contribue à fragiliser notre démocratie ».
PARRAINAGE : UN TOILETTAGE A CONTROVERSE
Le toilettage du système du parrainage citoyen, décrié par presque toute l’opposition politique, risque aussi de diviser l’Assemblée nationale convoquée en procédure d’urgence. Et cela, en dépit du fait que les acteurs politiques engagés dans le dialogue politique aient convenu de revoir à la baisse le pourcentage du parrainage actuel de 0,8 à 1% de parrains appliqué lors de l’élection présidentielle de 2019, à 0,6 à 0,8% pour le scrutin fixé au 25 février 2024. Non sans manquer de valider un nouveau schéma dit parrainage des élus. L’un dans l’autre, es deux modèles ne manquent d’être critiqués par des experts électoraux qui y voient une «mesurette» par rapport aux véritables enjeux de la démocratie sénégalaise, à quelques encablures de février 2024. Et il reste encore à savoir si les députés de la majorité valideront à la fois le parrainage citoyen combiné au parrainage optionnel. Etant entendu que le chef de l’Etat sortant aurait marqué sa faible propension à l’implication des exécutifs locaux dans le choix des candidats à la présidentielle.
KARIM ET KHALIFA, MENACES PAR LA REALPOLITIK
Le projet de modification du Code électoral et du Code pénal devant permettre enfin de rendre éligibles Karim Wade et Khalifa Sall en vue de leur participation à la présidentielle de 2024, ne semble pas enfin gagné d’avance. Pour cause, un coup de Jarnac, dicté par la realpolitik, semble dans l’ordre du possible. Question à mille francs : les députés de la majorité sont-ils obligés de remettre en selle des adversaires politiques qui pourraient leur chiper le pouvoir, en 2024 ? C’est certainement pour éviter tout coup bas de dernière minute que le Chef de la majorité présidentielle a senti l’urgente nécessité de réunir les députés de Benno au palais présidentiel, le mardi 11 juillet, pour arrondir les angles et dicter la ligne parlementaire à suivre. Une rencontre qui est survenue après celle entre Macky Sall et la conférence des leaders de la coalition Benno Bokk Yaakaar, la veille. Sera-t-elle gage de succès pour remettre dans le circuit électoral Khalifa Sall et Karim Wade ? C’est là toute la question d’autant plus que la modification envisagée de la loi électorale et du Code pénal semble un déni démocratie, pour certains acteurs politiques qui militent pour une présidentielle inclusive. Pour rappel, l’Assemblée nationale est convoquée ce lundi en session extraordinaire et en procédure d’urgence. Selon le décret présidentiel, deux ministères vont entrer en jeu pour cette session extraordinaire. Il s’agit du ministère de la Justice avec les projets de loi portant révision de la Constitution et celui modifiant la loi n° 65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de Procédure pénale. Pour ce qui concerne le ministre de l’Intérieur, il s’agira de se pencher sur le projet de loi modifiant la loi n° 2021-35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral.
Moctar DIENG