Tuer 90% des Sénégalais pour appliquer la loi, illégalement, à SONKO !

par pierre Dieme

« Dans certains contextes, ce que l’on dit avec légèreté ou avec perfidie, l’autre l’écrit sur la poussière avec son sang ». (Hannah Arendt)

Nous avons été stupéfaits lorsque nous avons entendu Mr Cheikh Yerim Seck, déclarer sans sourciller que le loi (la décision de la chambre criminelle) doit s’appliquer à SONKO, même s’il faut tuer 90% des Sénégalais.
Nous savons que Monsieur Seck n’est pas le premier à adopter une telle posture, parce que Ferdinand 1er, empereur du Saint Empire romain germanique, avait fait au XVIème siècle cette célèbre remarque : « Que justice soit faite, le monde dût-il périr ! »
Mais, ce dernier parlait de la justice sans laquelle il ne peut y avoir de paix durable dans la cité. Cette justice rendue conformément à la loi, c’est-à-dire une justice rendue dans le respect du principe de légalité qui est le verrou de protection des justiciables contre l’arbitraire.
Mr Yerim Seck devait donc s’interroger sur la légalité de la décision de la cour criminelle avant de prononcer de tels propos. Il se serait rendu compte qu’il s’agit d’un procès qui a été conduit de bout en bout en marge de la loi.
Et dans ce cas, son attention serait sûrement retenue par les propos tenus par Ismaila Madior Fall, professeur de droit et ministre de la Justice, lors de la conférence de presse du gouvernement.
En effet, concernant la légalité de la condamnation de SONKO, il a affirmé que « le juge a dit ce qu’il pense être le droit ». Or, en application de l’article 90 alinéa 2 de la Constitution et des principes généraux de droit, le juge doit dire le droit et non ce qu’il pense être le droit. Pour appuyer cette obligation, la loi pénale obéit à un postulat de rigueur rédactionnelle afin que son interprétation ait pour assise la formulation du texte de loi, et non la « pensée » du juge qui est essentiellement personnelle, donc teintée de subjectivité.
Car, même le principe d’intime conviction ne signifie pas que les juges peuvent condamner sans preuve. Il signifie qu’ils ne doivent condamner qu’après avoir apprécié, en conscience, la valeur probante des éléments présentés par l’accusation, et de ceux que leur oppose la défense.
Mais, il se trouve que de l’enquête préliminaire au jugement, l’accusation n’a produit aucune preuve.
Et, il ne serait pas hasardeux de dire que pour la première fois dans les annales judiciaires, un procès pénal a été ouvert sans qu’il y ait un fait infractionnel préalablement constaté !
Le viol est une infraction de commission. L’enquête y afférente se subdivise en trois phases qui se succèdent : le constat de la réalité de la pénétration sexuelle, la caractérisation des circonstances dans lesquelles l’atteinte sexuelle a eu lieu (violence, contrainte, menaces ou surprise), et l’imputation du crime (recherche de l’auteur).
Dans l’affaire Sweet Beauté, les deux premières phases de l’enquête ont été allègrement enjambées.
• D’abord concernant « la réalité de la conjonction sexuelle » : Le certificat médical appuyé par la déclaration du gynécologue devant la barre, atteste d’un prélèvement de sécrétion vaginale et non de sperme. C’est ainsi qu’en désespoir de cause, le procureur a fait état, dans son réquisitoire définitif, de prélèvements qui auraient été effectués la veille (le 02 février 2021), sans réquisition à expert délivrée par un OPJ, et sans un certificat médical établi par un gynécologue.
• Ensuite, la plaignante n’a présenté aux enquêteurs aucun signe de violence.
• Enfin, les enquêteurs n’ont déféré au procureur aucun fait infractionnel ou indice permettant de supposer que le sieur SONKO avait pu violer la plaignante. La plaignante, elle-même, n’a présenté aucune preuve.

Donc Mr SONKO a été inculpé sur la base d’une présomption de faits et de soupçons.
C’est pourquoi nous nous sommes demandé ce qui a pu embrumer la perspicacité dont Mr Yerim Seck a toujours su faire montre, pour qu’il n’ait pas aperçu que c’est plutôt la responsabilité de l’État qui devrait être mise en cause pour le fonctionnement défectueux de la Justice.
L’engagement de la responsabilité de l’État « pour le fonctionnement défectueux de la Justice », nécessite qu’il y ait cumulativement faute lourde et déni de justice.
Dans l’affaire SONKO, il existe au moins trois éléments déterminants :
• La faute lourde qui a été commise par le procureur Serigne Bassirou Gueye, pour avoir donné l’ordre à un officier de police judiciaire de glisser frauduleusement des photos pornographiques dans le dossier et de falsifier les procès-verbaux pour asseoir la culpabilité de SONKO et Ndeye Khady NDIAYE.
• Le déni de justice perpétré par le doyen des juges Maham DIALLO, qui s’est abstenu de poursuivre Mamour DIALLO et Gaby SO qui ont été dénoncés par le gynécologue à qui ils avaient proposé une forte somme d’argent pour qu’il établisse un certificat médical de complaisance.
• L’excès de pouvoir dont a usé le juge de la cour criminelle, Issa NDIAYE, pour condamner Ousmane SONKO à deux ans de prison.

Ce qui précède montre à suffisance qu’en application de l’article 166 CPP et 9 alinéa 2 de la Constitution, l’ensemble de ce dossier était in limine litis (dès l’abord), frappé d’une nullité d’ordre public.
S’agissant de l’arrêt de la cour criminelle, il convient de rappeler qu’il n’y a pas eu de disqualification, parce qu’il est évident qu’entre le crime de viol et le délit de corruption de la jeunesse, il n’y a pas de rapport de subséquence.
L’article 324 alinéa 9 est inspiré de l’article 334 alinéa 1 du code pénal français dans sa mouture d’avant 1946, l’année à laquelle il a été retiré de la législation française.
Selon la jurisprudence de l’époque, il s’agissait, pour le législateur, de frapper tous ceux qui se livraient à « des actes qui pouvaient pousser la jeunesse vers le vice ».
La Cour de cassation française n’admettait l’effectivité de ce délit que s’il y avait des faits matériels (crim. 4 janvier 1902, D, 1902.1.528 ; D.A. 1942, 101).
Ce délit n’a donc rien en commun avec le viol. L’un concerne la morale sociale, ce qui permet au procureur de s’autosaisir, tandis que l’autre, concerne l’intimité d’une personne et le procureur ne peut pas s’autosaisir.
Puisqu’il s’agissait de charges relevées contre SONKO, à raison de faits qui n’avaient rien en commun avec le viol, celui-ci devait être renvoyé devant le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dakar, pour l’ouverture d’une information. Il est essentiel de rappeler que devant la chambre criminelle, cette règle relève d’un impératif catégorique.
C’est dire que la condamnation de deux ans de prison contre Ousmane SONKO a été prononcée en violation de la loi (articles 297 CPP, 309 alinéa 3 CPP, 9 alinéa 2 et 4 de la Constitution).

Or, le principe de légalité impose qu’une sanction pénale ne puisse être mise à exécution que si elle a été prononcée conformément à la législation applicable. Cette règle impérieuse est appuyée par la déclaration universelle des Droits de l’Homme (article 8), le pacte international sur les droits civils et politiques (article 15), la Constitution (article 9), la charte africaine des Droits de l’Homme (article 6), le code pénal (articles 4 et 118).

À la lumière de ce qui précède, il apparait que la proposition pertinente de Me Doudou NDOYE ne recouvre pas le cas SONKO, étant entendu qu’on n’annule pas ce qui est sensé n’avoir jamais existé à cause d’une nullité d’ordre public.
Cependant, il serait opportun que le législateur sénégalais abroge le délit de « corruption de la jeunesse » pour les mêmes raisons qui avaient motivé le législateur français en 1946.
Celui-ci avait, en effet, constaté que la rigueur rédactionnelle que requiert la loi pénale n’était pas respectée parce que le mot « corruption » pouvait prêter à équivoque, dans la mesure où il devait être considéré au sens figuré, pour signifier « dépravation ».

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