La classe politique face à ses vieux démons

par pierre Dieme

23 juin 2011-23 juin 2023 : douze années après la journée historique de refus citoyen du ticket présidentiel associé au quart bloquant de Me Abdoulaye Wade, finalement retiré du circuit législatif sous la pression populaire, le Sénégal semble encore se retrouver en face de ses vieux démons. Le présumé maître du jeu politique, en l’occurrence Macky Sall, qui boucle le 25 février prochain un quinquennat, après avoir exercé un septennat de 2012 à 2019, a choisi de cultiver le clair-obscur dans la tentation du «troisième mandat présidentiel» qui avait donné corps et forme au M23 d’Alioune Tine et cie. De l’autre côté, l’opposition, surtout, celle dite radicale donne libre cours à la radicalisation de ses actions. Dans un contexte général de tensions sur la rue publique et d’émeutes meurtrières.

La commémoration de l’An 12 du soulèvement citoyen contre le vote d’un projet de loi visant à instituer un ticket présidentiel et une élection du chef de l’Etat à la majorité relative de 25% des suffragants, vainement tenté par Me Abdoulaye Wade en juin 2011, s’effectue encore au Sénégal dans un contexte particulier. Celle d’une tension politique et sociale manifeste, suite aux émeutes de début juin, à l’exacerbation des rivalités entre le pouvoir et l’opposition, au «mortal kombat» donc sur la scène politique sur fond de tentation de «troisième mandat». Quoique un dialogue politique non inclusif et mené en mode fast-track ait abouti dernièrement à quelques accords pouvant tant soit peu alléger les crispations entre certains acteurs des deux bords.

Au centre des incompréhensions ayant cependant conduit au bras de fer entre le pouvoir et son opposition dite «radicale», on retrouve les travers de presque 12 années de gouvernance politique d’un chef de l’Etat, soucieux de «réduire l’opposition à sa plus simple expression». Qui plus est, la tentation du «troisième mandat» qui guetterait le chef de l’Etat, incapable de se prononcer pour de bon sur sa «candidature» à la présidentielle de 2024, à défaut d’un «ni oui, ni non», a participé à radicaliser l’opposition dont les «grands» leaders étaient presque tous sous le coup de la loi. A l’instar de Karim Wade, l’ex-candidat du Pds, ou Khalifa Sall, l’ancien maire socialiste de Dakar, des acteurs politiques que les résultats du dialogue politique de ce mois de juin 2023 essaient de remettre dans le jeu électoral via une modification de l’article L29 du Code électoral ou autre révision de procès.

Quant à Ousmane Sonko de Pastef-Les Patriotes, le candidat arrivé en troisième position à la dernière élection présidentielle, il semble être le grand perdant de ce dialogue puisqu’il se retrouve lui sous le coup de la loi, sans schéma de rémission esquissé par les acteurs présents au dialogue politique. Tout ce magma de coups durs vécus par l’opposition sous Macky Sall a fini par déboucher sur un irrédentisme politique au niveau de certains acteurs politiques et par s’agglomérer autour d’un nouveau cadre dénommé aujourd’hui plateforme des forces vives de la Nation (F24) qui entend prendre en charge tous les avatars et nouvelles dynamiques dans la confrontation face au régime en place. En particulier, le refus de toute troisième candidature du Président Macky Sall.

CELEBRATION DU 23 JUIN : LE NIET DES AUTORITES

Ce vendredi 23 juin 2021, c’est ce même F24, sorti des flancs du Mouvement pour la défense de la démocratie (M2D), une sorte de pendant et/ou de réinvention du M23 originel (Mouvement des forces vives de la Nation), qui devrait être au cœur de la célébration de cette date historique du 23 juin 2011. Seulement, eu égard au contexte de tension politico-sociale et des manifestations meurtrières ayant fait 16 morts selon les autorités, 23 selon Amnesty international, 30 d’après Pastef-Les Patriotes, le préfet de Dakar Mor Talla Tine a interdit toute manifestation à Dakar, en ce jour de 23 juin. Principale raison invoquée : «risque de trouble à l’ordre public, risque d’infiltration, entrave à la libre circulation des personnes et des biens». Cela n’a toutefois pas empêché le camp anti-Macky à appeler, dans un communiqué en date d’hier, jeudi, à célébrer la date du 23 juin en blanc. «Habillons nous tous en blanc ce vendredi pour aller à la mosquée, attachons, accrochons, agitons un morceau de tissu blanc, un ruban, une écharpe ou un mouchoir blanc partout, voiture, devanture des maisons…surtout entre 13H et 18H ».

QUESTIONS D’HISTOIRE REJET DU TICKET PRESIDENTIEL ET DU QUART BLOQUANT : JEUDI DE REFUS

Ce 23 juin 2011-là, des manifestations avaient éclaté à Dakar et dans plusieurs localités du pays en guise de protestation contre le vote du projet de loi instaurant l’élection simultanée du Président de la République et de son vice-président. L’affaire du “ticket présidentiel” a enflammé en effet la rue sénégalaise et diverses composantes de la société : jeunes, syndicats, opposition, société civile… Des manifestations, réprimées, ont eu lieu dans différentes villes comme Kaolack (Centre), Ziguinchor (Sud) et Dakar. Dans la capitale, des groupes de jeunes avaient été violemment dispersés par les forces de l’ordre qui procéderont dans la foulée à l’interpellation d’un nombre indéterminé de personnes. Parmi celles-ci figuraient les rappeurs, dirigeant le mouvement Y en a marre, engagé contre les “injustices” du régime d’Abdoulaye Wade au pouvoir depuis 2000. Cette réforme de la Constitution devait abaisser à 25 % le seuil minimum des voix nécessaires au premier tour pour élire un “ticket présidentiel” comprenant un président et un vice-président et ainsi assurer le maintien au pouvoir de Wade père et fils. Face à la colère de la rue, Abdoulaye Wade renonçait in extremis à son projet controversé de réforme constitutionnelle qui devait assurer son élection et le passage du pouvoir à son fils après son départ, selon certains opposants. C’est le ministre de la Justice, Cheikh Tidiane Sy, qui annonçait le retrait du projet de loi en question aux députés. L’opposition sénégalaise et la société civile qui voyait en ce retrait une victoire du peuple, avait immortalisé l’évènement de contestation par la mise sur pied du « Mouvement du 23 juin »

Moctar DIENG 

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