Le lourd bilan humain et économique d’une sordide machination contre un opposant

par pierre Dieme

Mars 2021 à juin 2023, L’un des rares îlots de paix dans une sous région en proie à de constantes agitations, le Sénégal s’est inscrit depuis mars 2021 dans une trajectoire pour le moins sanglante

L’un des rares îlots de paix dans une sous région en proie à de constantes agitations, le Sénégal s’est inscrit depuis mars 2021 dans une trajectoire pour le moins sanglante. Même s’il a déjà connu des troubles comme en 1963 avec une dizaine de morts, en 1993 – assassinat du juge Me Babacar Sèye – et en janvier 2012 avec 14 morts, notre pays, qui a aussi vécu des contestations estudiantines et syndicales en mai-juin 1968, n’avait jamais connu auparavant un cycle de violences aussi sanglant que celui ayant suivi l’arrestation du leader de Pastef pour une affaire de « viols » et « menaces de mort » en mars 2021 puis sa condamnation ce mois de juin à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse ». Seuls les bilans du conflit armé en Casamance depuis 1982 et des événements avec la Mauritanie, en 1989, ont été plus tragiques que les violences de la semaine dernière ayant fait officiellement 16 morts.

Début de l’escalade et son lot macabre

Tout a commencé le 03mars 2021 avec l’arrestation pour troubles à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée” du principal opposant au régime en place, Ousmane Sonko, arrivé troisième lors de l’élection présidentielle de 2019.

En effet, alors qu’il allait répondre, à bord de son véhicule, à une convocation de la justice dans l’affaire alors présumée de “viols répétitifs et menaces de mort” l’opposant à une jeune et aguichante masseuse du nom de Adji Raby Sarr, employée du salon Sweet Beauty, Ousmane Sonko est arrêté et conduit dans les locaux de la Section de recherches de la gendarmerie nationale à Colobane. Ses partisans et sympathisants pas du tout convaincus du bien-fondé de cette convocation qu’ils assimilaient, à tort ou à raison, à une énième tentative de liquidation d’un potentiel adversaire politique du régime après Karim Meissa Wade et Khalifa Ababacar Sall, investissent les rues et entament de violentes confrontations contre les forces de défense et de sécurité. Les émeutes gagnent rapidement plusieurs localités sur l’étendue du territoire national. Dans son rapport publié après les évènements qui ont duré cinq jours, Amnesty international indique que “les autorités ont réprimé les manifestations dans la violence avec un usage excessif de la force, tirs de grenades lacrymogènes et tirs à balles réelles”. Le bilan annoncé fait état de 14 personnes tuées et plus de 500 blessés. Rien que dans la journée du 05 mars 2021, la Croix Rouge sénégalaise renseigne avoir décompté 235 blessés.

L’affaire Mame Mbaye Niang relance les violences

En mars 2023, dans le cadre d’un procès en diffamation opposant le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, à Ousmane Sonko, des émeutes ont également secoué le pays faisant cinq morts dont deux enregistrés dans les rangs des partisans du maire de la Médina et nouvel allié de la mouvance présidentielle, Bamba Fall.

Une jeunesse “corrompue” et “rebelle”

De nouvelles émeutes éclatent le 1er juin courant après la condamnation de Ousmane Sonko parla chambre criminelle du tribunal de grande instance hors classe de Dakar à deux ans de prison ferme et 600.000 francs d’amende pour “corruption de la jeunesse” et à 600 000 FCFA d’amende. Convaincus que cette condamnation était synonyme de “liquidation politique” de leur mentor par le pouvoir, des milliers de jeunes investissent de nouveau la rue, vandalisent des bâtiments publics et privés, incendient des bus de transport public et des véhicules particuliers, brûlent des pneus, attaquent et pillent des magasins, des banques et des stations d’essence lors de violents et sanglants affrontements avec les forces de défense et de sécurité. Le bilan provisoire de deux jours d’affrontements fait état de 16 personnes mortes, des dizaines de blessés et une centaine d’arrestations. Ce qui rallonge le bilan macabre depuis le début du déclenchement de l’affaire Sweet Beauty en mars 2021 à plus de 30 morts, plus de 500 blessés et près de 600 arrestations.

Des individus en civil armés aux côtés des FDS

Toujours dans son rapport, Amnesty international dit avoir constaté la présence, dans plusieurs localités du pays, d’individus en civil armés de bâtons, de matraques et de fusils en train de frapper des manifestants sous les yeux des forces de sécurité. Selon l’ancien patron de la société de transport public Dakar Dem Dikk aujourd’hui membre de la plateforme des forces vives F24, qui regroupe des centaines de partis politiques d’opposition et d’organisations de la société civile, l’avocat Me Moussa Diop, ces nervis sont identifiés comme desrecrues du parti présidentiel, l’Alliance pour la République (APR). Ils sont toujours à bord de dizaines de véhicules pick-up blancs non immatriculés et affichent une proximité notoire avec les forces de défense et de sécurité. “Ils arrivent, ils vont passer devant les policiers pour aller arrêter les gens et ils sont armés”, a témoigné Me Moussa Diop au micro de nos confrères de RFI tout en soutenant détenir des preuves et connaître aussi leur point de départ.

La partition du khalife général des Mourides

Au plus fort de la crise de mars 2021, alors que le pouvoir chancelant était quasiment dans la rue et que des pontes du régime rasaient les murs ou tentaient d’échapper à la vindicte populaire, les messages de paix envoyés par Serigne Mountakha Bassirou Mbacké, le khalife général des Mourides, avaient permis le retour au calme. Le mouvement de défense de la démocratie (M2D), qui coordonnait alors les manifestations, avait ainsi suspendu ses actions et annulé notamment un grand rassemblement prévu à la place de la Nation ainsi qu’une série de manifestations sur toute l’étendue du territoire national, pour répondre à l’appel du patriarche de Darou Minam. Également, alors que le pays était encore à feu et à sang après la condamnation par contumace de Ousmane Sonko dans l’affaire Sweet Beauty, le khalife général des Mourides avait reçu le chef de l’Etat Macky Sall en audience spéciale dans la soirée de ce mardi 06 juin 2023 à son domicile dans la ville sainte de Touba. Au cours de cette audience pour décrisper la situation, Macky Sall avait rassuré le khalife général des Mourides de son intention de ne pas briguer un troisième mandat, source de divergence avec les forces vives de la nation, tout en posant sur la table son souhait de proroger son présent mandat de deux ans afin de rétablir l’ordre et d’organiser des élections paisibles, transparentes et inclusives où tous les acteurs intéressés pourraient prendre part. Le calme est ainsi revenu dans le pays grâce à l’intervention de nos chefs religieux, régulateurs sociaux par excellence, particulièrement de Serigne Mountakha Bassirou Mbacké. Et c’est encore heureux que, depuis la partition du khalife général des mourides, les juridictions dans les différentes localités du pays aient commencé à relaxer des manifestants poursuivis dans le cadre de ces émeutes.

Des conséquences économiques terribles

De mars 2021 à juin 2023, les émeutes déclenchées par l’affaire Adji Sarr ou “Sweet Beauty” ont fait d’énormes dégâts matériels et paralysé en grande partie notre économie. Dans cette spirale de violences, 14 magasins du groupe Auchan, symbole de la présence française selon les émeutiers, ont été vandalisés ou pillés lors des premières émeutes de mars 2021. Edgar Bonte, le patron du groupe, avait alors exprimé sa solidarité et son soutien à ses collaborateurs du Sénégal. “Je condamne évidemment ces agressions qui auraient pu avoir des conséquences plus graves. S’attaquer à Auchan en croyant viser des intérêts français est une erreur de cible et est négatif pour le Sénégal lui-même. Au Sénégal, nous faisons vivre près de 1 700 familles sénégalaises, nous permettons à plus de 500 producteurs et industriels sénégalais de se développer et d’embaucher, nous répondons, par des prix bas et des produits de qualité, aux besoins alimentaires et d’équipement des Sénégalais et les millions d’euros de taxes et impôts que nous versons à l’Etat sénégalais chaque année contribuent au développement de ce pays”, avait alorsréagi le président Edgar Bonte.

En ce mois de juin 2023, sept magasins du même groupe ont été encore attaqués. Pour Pape Samba Diouf, le directeur du Développement et de la Communication d’Auchan au Sénégal qui s’est confié à nos confrères de L’Observateur, “ces dommages enregistrés constituent une menace pour 300 employés du groupe”.  

Outre Auchan, les secteurs des hydrocarbures avec le saccage des stations services de Total et Shell, des finances avec des banques vandalisées ou pillées et la restriction d’internet avec ses conséquences fâcheuses sur les transferts d’argent, des transports avec des bus incendiés, des gares du Train express régional et de la BRT attaquées, ont subi un lourd préjudice qui se chiffre à des dizaines de milliards de nos francs. Rien que le manque à gagner pour les quatre jours d’arrêt de service du Train express régional est estimé à plus de 200 millions de F CFA, selon Abdou Ndéné Sall, le patron de la Société nationale de gestion du patrimoine du TER. Autant le dire ici et maintenant, ces émeutes récurrentes, en plus d’écorner l’image de vitrine démocratique du Sénégal ont considérablement plombé l’économie nationale.

Des signaux de télévisions suspendus et des journalistes embastillés

D’ailleurs, en parlant de vitrine démocratique brisée, il urge de dénoncer et de condamner avec la dernière énergie la suspension systématique des signaux de certaines télévisions dans le cadre de cette affaire (Walf et Sen Tv), de même que la violence exercée sur nos confrères du groupe GFM (Rfm et Tfm). Également, la cascade d’arrestations des hommes de média par le régime en place depuis le déclenchement de cette affaire Adji Sarr, une montagne qui a accouché d’une souris. De Pape Alé Niang de Dakarmatin en novembre 2022 à Serigne Saliou Guèye de “Yoor Yoor” en mai 2023, en passant entre autres par le chroniqueur Pape Ndiaye de Walf Tv en mars 2023, le régime de Macky Sall dégringole vertigineusement dans le classement des pays champions de la liberté d’expression. Même les messages sur les réseaux sociaux Facebook, Twitter ou Instagram sont scrutés à la loupe et réprimés à l’occasion. Sans compter la restriction des services de l’internet. Et dire que cette trajectoire sanglante est partie d’un gros mensonge servi par une “joyeuse violée”…engrossée mais au finish pas du tout enceinte, encadrée par des chasseuses de primes et de vils manipulateurs qui ont persisté dans cette horrible délation qui a fini par ensanglanter le pays.

Amadou Ly DIOME  

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