Sénégal : la tyrannie d’un régime à bout de souffle

par pierre Dieme

Au Sénégal, la rébellion du peuple « n’est qu’une réaction face à la violence institutionnelle, qui elle est sournoise, silencieuse et brise des vies sans tambours ni trompettes. » Un ensemble de citoyen·nes sénégalais·es dénonce les manquements de la présidence de Macky Sall, une politique qui « aura atteint des sommets de violence institutionnelle, démocratique, sociale et policière jamais atteints. »

En février 2021, au pays de la « Teranga », en pleine pandémie du Coronavirus, les restrictions mises en place pour tenter de contenir le virus ont paralysé l’économie du pays. Plusieurs commerces sont à l’agonie, le couvre-feu et l’insuffisance drastique des moyens de subsistance, ont fini par frustrer le peuple sénégalais déjà très éprouvé par la cleptocratie du président Macky Sall qui a creusé les inégalités sociales dans ce pays. 

Le 02 février 2021, le principal opposant de la scène politique sénégalaise, M. Ousmane Sonko, est cité dans une affaire de « viols répétés et menaces de mort » sur une jeune fille de 20 ans. Il réfute toutes ces accusations et crie au complot de la part du pouvoir pour l’écarter des prochaines élections présidentielles prévues pour 2024 à cause de sa popularité grandissante. 

Le 26 février 2021, l’Assemblée nationale lève l’immunité parlementaire de M. Sonko de manière illégale. Le 03 mars alors qu’il se rendait au tribunal dans le cadre de l’affaire le concernant, des heurts surviennent entre ses partisans et les FDO, et il se fait arrêter pour « troubles à l’ordre public » et « participation à une manifestation non autorisée ». 

Partout dans le pays, des émeutes éclatent et la jeunesse du pays se retrouvent dans les rues, poussés par la cherté de la vie, la dilapidation des ressources, par les scandales de détournement financier sans suite juridique, les restrictions des libertés, l’emprisonnement d’opposants pour les empêcher de participer à des joutes électorales, par le chômage et la précarité grandissante mais aussi il faut l’admettre par partisannerie politique et la gestion clanique du pouvoir. 

Pendant au moins six jours, du 03 au 08 mars, les FDO et des nervis ont servi de bras armés à l’Etat et se sont violemment mis à réprimer les manifestants. Usage de gaz lacrymogènes, camions d’eau chaude, bastonnades, tortures et utilisation de balles réelles sur les manifestants sans défense. Quatorze personnes y perdront la vie. Personne n’a jamais eu à répondre des exactions et des assassinats commis par les forces de l’ordre et les nervis du pouvoir pendant les évènements de mars 2021. Personne ne sera ni arrêté ni jugé. Et pourtant les preuves ne manquaient pas.  

Deux ans plus tard nous revoilà au même point. La pauvreté a augmenté et l’Etat, au lieu de travailler à la réduction de celle-ci, utilise tous ses moyens à sa disposition contre un seul individu, Ousmane Sonko.

En mai 2023, Ousmane Sonko alors qu’il sillonne le pays lors de ce qu’il appelle « une caravane de la liberté », est kidnappé par les forces de l’ordre et emmené de force à son domicile à Dakar. Lui et sa famille sont depuis lors séquestrés sans raison valable, incapables de sortir, de se ravitailler ou de communiquer avec le monde extérieur. Cette détention a suscité de vives réactions et des protestations de la part de la population qui a dénoncé cette action comme une violation des droits de l’homme et une atteinte à la démocratie. 

Le 1er juin, la chambre criminelle de Dakar a prononcé son verdict dans l’affaire Ousmane Sonko – Adji Sarr. Ousmane Sonko a été déclaré non coupable des chefs d’accusation de « viol et de menaces de mort », mais a été condamné à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse », ce qui le rend inéligible pour les prochaines élections présidentielles. Une condamnation surprenante vu que l’accusation et le parquet n’ont pas pu apporter une quelconque preuve de sa culpabilité et que ce chef d’accusation de corruption de la jeunesse, n’a jamais été évoqué durant l’instruction ou les débats lors du procès. La goutte de trop qui a fait déborder le vase rempli à ras bord d’injustices et d’inégalités sociales. 

Et Oui, des bus ont été brûlés. Oui, des bâtiments ont été incendiés. Oui, des routes ont été barrées, des pneus brûlés, des vitres brisées, des commerces pillés.  

Mais cette violence-là n’est qu’une réaction face à la violence institutionnelle, qui elle est sournoise, silencieuse et brise des vies sans tambours ni trompettes. Il y a des violences qui se font dans le plus grand calme. On ne peut pas laisser un peuple dans la misère la plus absurde, les laisser se contenter du strict minimum, les parquer dans des quartiers où les routes sont inondées en saison des pluies et sablonneuses en été pendant qu’avec sa famille on vit dans les beaux quartiers résidentiels où jamais rien de mal n’arrive, et s’attendre à ce qu’ils acceptent toujours tout. Que des gens ne mangent pas à leur de faim est bien plus violent qu’un bus qu’on brûle parce qu’on est à bout. Que des gens n’aient pas de quoi nourrir ou éduquer leurs enfants est bien plus violent qu’un bâtiment mis à sac alors qu’au même moment le clan familial du président et les membres du gouvernement s’enrichissent de manière scandaleuse. Que des gens voient leurs proches mourir dans des hôpitaux par manque de moyens, alors que des centaines de milliards sont détournés par des membres du gouvernement sans aucune poursuite judiciaire est bien plus violent qu’une route barrée. 

Comment voulez-vous que des jeunes qui n’ont aucune perspective d’avenir et qui vivent dans la pauvreté soient préoccupés par l’image du Sénégal à l’international, d’un BRT ou d’un TER alors qu’ils n’en n’ont ont jamais ressenti les effets dans leurs vies quotidiennes ? 

La violence d’Etat, celle institutionnelle qui fait que des gens vivent dans la misère la plus totale n’a jamais mis nos journalistes et chroniqueurs dans un état pareil, aujourd’hui ils pointent du doigt les exactions commises par le pouvoir. Les gens du gouvernement qui se sont exprimé nous ont bien fait comprendre que les biens publics priment sur les vies perdues. On peut repeindre un bâtiment, réparer une route, ces vies elles sont perdues à jamais. 

Et est-ce qu’il faut s’inquiéter que des jeunes sénégalais barrent des routes et brûlent des édifices ? Oui sans doute, mais il faut surtout se demander pourquoi. Pourquoi font-ils ça ? Pourquoi se mettent-ils en danger en s’exposant ainsi à la violence policière ?  

Qu’ils soient mobilisés contre le troisième mandat, la libération des otages politiques ou le coûtde la vie chère, ce qui les rassemblent et les motivent c’est sans doute le sentiment d’être extrêmement mal dirigés, d’être maltraités par un régime qui ment, qui manipule et qui violente les oppositions. Un régime à bout de souffle qui ne tient plus que par sa police et ses éléments de langage pour ne pas dire ses mensonges, il est incapable d’écouter et d’être audible. Et c’est parce qu’ils ont compris ça que des gens brulent des pneus dans Dakar. 

Si on en arrive aux routes barrées c’est que tous les autres modes d’actions ont été ignorés voire méprisés par le gouvernement. Les violences s’expriment dans la rue à partir du moment où les institutions n’arrivent plus à jouer leurs rôles de canalisateur du débat politique. 

14 Sénégalais sont morts en mars 2021. Le même chiffre a été atteint en moins de 02 jours de manifestations en juin 2023. Réduire ces manifestants à des casseurs et/ou supporters d’Ousmane Sonko c’est être déconnecté de la réalité de son pays.  

Les forces de l’ordre ont réprimé les manifestations en utilisant des balles réelles, en prenant des étudiants en otage et en utilisant des citoyens, même des enfants comme boucliers humains. Les réseaux sociaux ont été restreints. 

La fonction de président ce n’est pas de mettre un pays au bord du chaos. Pourtant, la politique sous Macky Sall aura atteint des sommets de violence institutionnelle, démocratique, sociale et policière jamais atteints. Les choses les plus effrayantes, les plus inhabituelles ont été dites avec la plus grande impassibilité. 

Le Sénégal ne sera sûrement plus jamais le même après ces événements, il est même en train de sombrer, et nous, signataires de cette tribune, interpellons l’opinion nationale et internationale sur la manière dont les manifestations sont réprimées depuis un certain temps au Sénégal, sur les emprisonnements abusifs, sur les prisonniers politiques, sur le fait que des journalistes sont en ce moment même en prison pour avoir émis une opinion, sur le risque de sombrer dans une crise politique encore plus intense à cause d’un troisième mandat de Macky Sall. Mais nous interpellons surtout l’opinion internationale sur le fait que des nervis sillonnent les rues de Dakar et commettent des exactions sur la population. Des vidéos le prouvent. 

Notre démocratie est prise en otage par un groupuscule qui refuse de revenir à la raison, et les revendications vont au-delà de la libération d’un seul individu. Elles visent à instaurer un véritable changement démocratique et à garantir les droits fondamentaux de tous les citoyens.

Signataires : 

Mariame Fall : Ingénieur cybersécurité 

Fatimata Ndiaye : Ingénieur en SI 

Rokhaya Ba : Doctorant en médecine 

Moussa Dieng: Ingénieur agroalimentaire 

Mami Diouf : Etudiante  

Ndeye Dieumb Tall : Etudiante

Gacou Adjaratou Marieme Soda : Manager des Operations 

Ahmadou Diop: Project Manager 

Rama Chiova Fall : Sales assistant 

Sidy Soumaré : Ingénieur génie civile 

Betty Kane : Ingénieur en génie biologique et biotechnologies 

Aïssatou Ba : Licenciée en télécommunications et réseaux 

Massamba Fall : Ingénieur en électromécanique 

Soukeyna Guèye : Juriste 

Aïssatou Fall : Chargée service client 

Galal Ndiaye : Ingénieur en aéronautique 

Mame Adama Ndiaye : Ingénieur en électromécanique 

Sira Badiane : Consultante RH 

Ndèye Licka Dièye : Epidémiologiste 

Pape Ibrahima Fall : Etudiant et agent des impôts et domaines  

Soukeyna Niang : Data Scientist  

Manel Diallo : Comptable 

Adja Binta Niane : Etudiante

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