« Les jeunes se révoltent parce qu’ils veulent un changement. Les temps sont durs. Il n’y pas de travail et la vie coûte chère ». « Les morts et les biens détruits, mais on pouvait l’éviter si (Macky Sall ne nous l’avait pas imposé en condamnant Sonko »
Omar Diop, 20 ans, n’a pas participé aux manifestations qui ont fait neuf morts jeudi au Sénégal après la condamnation d’Ousmane Sonko. Mais il dit comprendre les jeunes protestataires « en colère contre la vie difficile et le sort injuste » fait à l’opposant.
« C’est dur ce qui s’est passé, les morts et les biens détruits, mais on pouvait l’éviter si (le président) Macky Sall ne nous l’avait pas imposé en condamnant Sonko », affirme-t-il, sur sa moto près du nouveau pont de Cambérène, dans la banlieue de Dakar.
Ils sont nombreux au Sénégal à croire M. Sonko, troisième de la présidentielle en 2019 et candidat à celle de 2024, quand il dit que les poursuites engagées contre lui pour viols contre une employée d’un salon de beauté où il se fait masser sont un complot du pouvoir pour l’éliminer.
Ils sont nombreux aussi dans la jeunesse et dans ces quartiers populaires de Dakar à placer en lui leur espoir de changement dans un contexte économique difficile.
Beaucoup se sont sentis confortés dans leur soupçon de coup monté contre leur champion par la condamnation de M. Sonko jeudi: pendant deux ans ils avaient entendu qu’il était suspect de viols et voilà que le tribunal requalifiait les faits et le condamnait à deux ans ferme pour avoir poussé une jeune femme à la débauche.
Omar Diop compatit avec un homme dans l’épreuve selon lui: « On l’accusait de viols puis on le condamne pour autre chose. C’est injuste ».
« Les jeunes aussi souffrent au Sénégal. Je suis conducteur de moto parce que je n’ai pas autre chose à faire », dit-il.Il a arrêté l’école en CM2.
La condamnation de M. Sonko, si elle est maintenue, le rend inéligible.Une injustice pour beaucoup de jeunes qui ont décidé d’en découdre jeudi.
Le président Sall « veut torpiller leur espoir pour une vie meilleure au Sénégal », affirme Aliou Faye, 25 ans.
Il habite Rufisque, près de Dakar, où la chaussée porte les stigmates des violences: traces de feu, pierres, magasins fermés tout autour, près de la gare du nouveau train rapide desservant la capitale et sa banlieue.
La ligne, un des grands projets du plan du président pour mettre le Sénégal sur la voie du développement, est suspendue depuis jeudi.
– Promesse de malheur –
« Les jeunes se révoltent parce qu’ils veulent un changement.Les temps sont durs. Il n’y pas de travail, pas d’argent et la vie coûte chère. Mais je n’ai pas participé aux manifestations. J’attends les urnes pour choisir un candidat », dit un autre jeune, Demba Faye, 25 ans.
La moitié de la population du Sénégal est âgée de moins de 18 ans, un pays jeune de plus de 18 millions d’habitants, selon des statistiques officielles.
« Même trouver un stage à la fin de ses études est difficile », dit Aida Camara une jeune formée en marketing, en quête de travail.
« Il y a chaque année au Sénégal 300.000 nouveaux demandeurs d’emploi, des jeunes, mais le marché n’en absorbe que 26.000 et c’est surtout dans le privé », explique Tamba Danfakha, un accompagnateur de projets.
Le président Sall a lancé plusieurs projets pour l’insertion des jeunes.Des milliers d’entre eux ont trouvé du travail dans la fonction publique ou par l’entreprenariat privé financé par l’Etat, selon les autorités.
Le président Sall fait aussi miroiter la promesse de l’exploitation, annoncée à partir de fin 2023, des nouvelles ressources en pétrole et en gaz du Sénégal.
M. Sonko affirme que l’Etat a bradé les richesses du Sénégal aux compagnies étrangères en signant les contrats.
Le long de l’autoroute menant aux Parcelles assainies, une autre zone de banlieue, des jeunes allument des feux près des installations du futur Bus Rapid Transit (BRT), un bus en site propre censé aider à décongestionner la capitale, autre grand chantier de la présidence Sall.Des installations du BRT ont été saccagées ces derniers jours sans jamais avoir été mises en service.
Aux Parcelles, des jeunes désignent un porte-parole pour parler à la presse et acquiescent d’un murmure ou d’un hochement de tête quand il dit, sous le couvert de l’anonymat : « Le malheur va s’abattre sur ce pays le jour où Sonko sera mis en prison. Nous n’allons pas l’accepter ».