Signal d’une télévision privée coupée, accès restreint à Internet et aux réseaux sociaux, école de journalisme saccagée… Le travail des journalistes est fortement perturbé au Sénégal dans le contexte des violences qui suivent la condamnation judiciaire d’un opposant politique. Reporters sans frontières (RSF) exhorte les autorités à rétablir Internet, canal d’information indispensable au travail journalistique et à l’apaisement des tensions.
L’organisation s’est aussi exprimée sur le cas de la chaîne Walfadjri qui n’émet plus depuis ce jeudi 1er juin. Cette télévision privée sénégalaise a vu son signal coupé dans la soirée pour une durée de 48 heures alors qu’elle diffusait un programme spécial sur les violences que connaît la capitale, Dakar, et plusieurs villes du pays, à la suite de la condamnation à deux ans de prison de l’opposant politique Ousmane Sonko, prononcée le jour même.
L’accès à Internet et aux réseaux sociaux est également fortement restreint depuis jeudi, comme le confirment plusieurs journalistes. Des membres de la coalition KeepitOn, dédiée à la lutte contre les blocages d’Internet dans le monde, ont relevé des perturbations pour se connecter à WhatsApp, Twitter, Facebook, Instagram sur les réseaux Orange et Tigo.
« La coupure volontaire du signal de la chaîne privée Walfadjri et les restrictions d’accès à Internet et aux médias sociaux sont une violation flagrante de la liberté d’informer et du droit du public à l’information, s’insurge le directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF, Sadibou Marong. Il est urgent de réformer le Code de la presse. Nous demandons aux autorités de mettre fin à ces suspensions autoritaires et d’assurer la liberté de la presse et la sécurité des journalistes, dont le devoir d’informer est plus que nécessaire dans cette période troublée ».
Le président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) a dégagé toute responsabilité relative à cette coupure de signal de la chaîne Walfadjri – la troisième qu’elle connaît depuis 2021. Lors d’un point de presse jeudi soir, le ministre de l’Intérieur a justifié le choix et le maintien des restrictions d’accès aux réseaux sociaux et a rappelé aux médias « l’importance de respecter le Code de la presse » dont un des articles permet à « l’autorité administrative de prévenir ou de faire cesser toute atteinte à la sûreté de l’État, à l’intégrité du territoire national ou tout cas d’incitation à la haine ».
Ibrahima Lissa Faye, président de l’Association des professionnels de la presse en ligne (APPEL) et directeur du site d’informations Pressafrik, a rappelé à RSF que les articles du Code de la Presse qui permettent à toute autorité administrative de suspendre certains médias pour motifs exceptionnels sont « dangereux », « anachroniques » et « liberticides ». Il considère par ailleurs que les restrictions d’accès à certains réseaux sociaux sont « une atteinte grave à la démocratie », et que la nouvelle coupure du signal de Walfadjri TV relève « purement et simplement d’un abus de pouvoir ».
Les manifestations de jeudi n’ont par ailleurs pas épargné le campus de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. En son sein, les locaux de l’école publique de journalisme ont été attaqués, et au moins deux véhicules du personnel brûlés, selon le directeur du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) Mamadou Ndiaye. Une situation qui a créé l’émoi chez les journalistes qui l’ont fortement dénoncée.
Le contexte politique est tendu au Sénégal à l’approche de l’élection présidentielle de 2024. Le chef de file de l’opposition a été condamné, jeudi 1er juin, à deux ans de prison ferme et l’actuel président ne s’est pas encore prononcé sur son intention de briguer ou non un troisième mandat.
Depuis un an, les journalistes et les médias subissent des pressions multiformes témoignant d’une escalade des restrictions au droit d’informer. Le 8 juin 2022 à Dakar, une équipe de reporters de la chaîne de télévision du Groupe Futurs Médias (GFM, privé) a été empêchée de couvrir les préparatifs d’un rassemblement de l’opposition, par certains de ses membres. En juillet, le contenu des unes de cinq journaux sénégalais a été remplacé par des messages de propagande politique sur les réseaux sociaux. RSF avait dénoncé ces tentatives de désinformation.
Le journaliste d’investigation Pape Alé Niang a passé près de deux mois en détention, entre fin 2022 et début début 2023. Un autre, Pape Ndiaye, chroniqueur judiciaire à Walfadjri est en détention depuis le 7 mars 2023. Serigne Saliou Gueye, directeur de publication du quotidien Yoor-Yoor Bi, est en prison depuis le 26 mai et plusieurs reporters couvrant les troubles socio-politiques ont été brutalisés.
Le Sénégal est passé de la 73e place en 2022 à la 104e place sur 180 en 2023 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.