Alors qu’un dialogue politique est annoncé en grande pompe pour le dimanche 28 mai 2023, aucun acteur politique parmi ceux qui ont annoncé leur décision d’y participer ne connait les termes de référence et l’agenda de ce dialogue qui se tient dans un contexte marqué par une répression sans précédent visant les journalistes, les activistes et les opposants politiques. Pour favoriser un dialogue inclusif et fécond, le préalable aurait été, comme gage de bonne volonté, de libérer toutes les personnes détenues pour des motifs politiques et de mettre fin aux restrictions frappant l’exercice des libertés publiques.
La crainte légitime des sénégalais est que ce coûteux dialogue n’apporte pas la décrispation attendue sur l’espace politique et social et que, comme les précédents dialogues, il accouche de deals politiques de partage de pouvoir, de réhabilitation de politiciens exclus de la compétition électorale par des condamnations pénales et exonére d’autres de toutes poursuites futures pour des actes de prévarication qu’ils pourraient avoir commis contre les deniers publiques.
De notre point de vue, ce dialogue n’apportera de plus-value par rapport aux précédents que si les questions suivantes sont prises en compte et discutées sans calculs et partis-pris politiciens :
- La jouissance des droits civils et politiques : la réforme du code électoral doit être une obligation et une priorité du dialogue. Le droit de tout citoyen de choisir ses dirigeants à travers une élection libre, démocratique et transparente et celui de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays sont garantis par la déclaration universelle des droits de l’homme, le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la constitution. Aucun citoyen ne devrait être déchu de ces droits que par une peine prononcée par un juge à l’issue d’un procès équitable et pour des infractions graves punies de peines de prison fermes. Les dispositions des articles L29, L30 et L57 du code électoral qui déchoient les citoyens de ces droits fondamentaux violent le droit international et la constitution. Elles doivent être abrogées ou amendées pour respecter ces droits fondamentaux. L’abrogation ou l’amendement pertinent de ces articles rendrait éligibles des leaders politiques comme Khalifa Ababacar Sall et Karim Meissa Wade. Par rapport à une loi d’amnistie, qui concerne des faits et non des personnes, ces mesures ont le mérite de ne pas effacer les actes délictueux qui pourraient avoir été commis par des personnes exerçant des charges publiques. La poursuite et la punition des actes de prévarication est aujourd’hui une exigence des citoyens sénégalais. Ignorer cette exigence contribuerait à miner davantage la confiance des citoyens aux autorités publiques. Dans cette même logique, le droit de vote des personnes privées de liberté, celles placées en détention provisoire et celles qui ont été condamnées mais non déchues de leurs droits civiques, doit être reconnu et respecté comme c’est le cas dans beaucoup de pays du continent et du monde.
- La réforme du code pénal et du code de procédure pénal et des lois qui restreignent la liberté syndicale : il urge de réformer le code pénal et d’abroger ou d’amender toutes les lois liberticides qui permettent à l’Etat de poursuivre et d’emprisonner ceux et celles qui exercent leurs droits constitutionnels de critiquer leurs dirigeants politiques et de manifester de façon pacifique. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (arrêt Issa Lohé Konaté contre Burkina Faso du 5 décembre 2014) et la Cour de justice de la CEDEAO (arrêt Fédération Africaine des Journalistes contre Gambie du 13 février 2018) ont demandé aux Etats membres de supprimer les peines privatives de liberté pour les délits portant atteinte à l’honorabilité des personnes comme la diffamation, l’injure publique, l’offense au Chef de l’Etat, etc. Les sanctions pécuniaires suffisent largement pour réparer les préjudices causés aux victimes. L’Etat du Sénégal ne peut ignorer les arrêts de ces hautes juridictions africaines, qui s’imposent à lui en vertu de sa constitution, au risque de nuire à sa crédibilité et à son image sur la scène africaine et internationale ; une image qui constitue un précieux héritage des présidents Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade et que le président Macky Sall a le devoir de préserver. Il importe également de créer un juge des libertés et de la détention pour protéger les citoyens contre les pouvoirs exorbitants du parquet qui peut faire arrêter et mettre en prison toute personne même lorsqu’elle présente de solides garanties de représentation. La création d’un juge des libertés et de la détention était une recommandation de la commission nationale de réforme des institutions (CNRI). Elle tenait particulièrement à cœur le président de cette commission, le président Amadou Makhtar Mbow. La liberté syndicale doit également être élargie aux catégories de fonctionnaires qui en sont privées aujourd’hui, à savoir les magistrats, les administrateurs civils, les personnels de certaines régies financières et les corps paramilitaires comme la police, la douane, les eaux et forêts, le service d’hygiène, le personnel pénitentiaire, etc. Cet élargissement de la liberté syndicale, qui existe dans la plupart des pays de la sous-région, ne pourra qu’accroître l’efficacité de ces corps et la confiance qu’ils sont en droit d’attendre des citoyens.
- La protection des droits de la femme et de l’enfant : des engagements fermes doivent être pris pour protéger l’enfance en appliquant toutes les lois en vigueur et en adoptant sans délai la loi sur le statut des écoles coraniques ou daaras et le code de l’enfant. Le code de la famille doit également être réformé pour assurer l’égalité entre l’homme et la femme dans le mariage et dans la famille comme stipulée par les traités régionaux et internationaux des droits humains dont l’Etat du Sénégal est partie.
Bon dialogue à tous les participants et participantes.
Seydi Gassama
Directeur Exécutif
Amnesty International Sénégal