Le dialogue comme instrument de chantage : ce qu’on gagne vaut-il ce qu’on perd?

par pierre Dieme

« Kou gued sa yaye mo ayé » dit le chef de l’État, tel Louis XIV infatué de sa toute-puissance. Ne cherchons pas des définitions compliquées puisées dans la cosmogonie de la formation historique singulière du Djolof pour donner aux termes utilisés une forme sociologiquement acceptable. La définition est aussi simple que celle que lui donnent les oripeaux de son apparence. Cela signifie simplement dans les mots du président : « c’est à prendre ou à laisser »! Le langage utilisé à la limite irrespectueux à l’endroit de ses interlocuteurs aurait dû braquer ces derniers et les amener à refuser la main tendue. Mais le président sait que certains de « ses opposants » ne refuseront pas. C’est ce qui lui donne toute cette assurance, c’est ce qui justifie toute cette condescendance. Et, ainsi donc, Karim Wade et Khalifa Sall accepteront de dialoguer parce que, dans la perception clairement déclinée du chef de l’État, ils n’ont pas le choix.

Mais que gagneront ils dans le dialogue? Ce qu’ils gagneront vaudra-t-il ce qu’ils perdront? C’est la question quasi dilemmatique à laquelle ils feront face; pour paraphraser l’auteur de l’aventure ambigüe, il n’y a pas de tête lucide face aux termes du choix! Ce que gagneront Karim et Khalifa, c’est de voir leurs candidatures légalisées. C’est une certitude. Ce que Karim gagnera en plus, c’est la fin de son exil forcé, et de facto non de jure, l’effacement des sommes (138 milliards de francs cfa) qu’il reste normalement devoir aux contribuables sénégalais après décision de justice; il ne gagnera pas plus, autrement dit, il n’aura pas de révision de procès comme il le souhaite. Ce que gagnera le président sortant en échange, c’est l’acceptation a postériori par ces derniers de sa 3e candidature, laquelle est a priori illégale et illégitime. Ce que gagnera en plus le président et avec lui, surtout ses proches qui seraient présument auteurs de délits économiques, c’est l’absolution définitive de faits potentiellement délictuels, et par conséquent, l’impossibilité d’éventuelles poursuites, grâce à une loi d’amnistie dont la portée sera étendue – pour raison – au-delà de la période couverte pour les faits dont on accuse Karim et Khalifa. En balayant devant les portes de Karim et Khalifa, le président en profitera donc pour nettoyer son arrière-cour. Et les honneurs (pardon les déshonneurs) seront saufs! Ce que perdront Karim et Khalifa en revanche, et avec eux le président, c’est en quelque sorte, une délégitimation populaire définitive de leurs candidatures en apparence négociées aux prix de compromissions douloureuses qui les placeraient devant le jugement du NOUVEL ELECTEUR, à la place peu enviable de « dealers » déconnectés d’une société en pleine mutation technologique, démographique, sociologique et politique. Eh oui, on ne peut tout obtenir dans la vie, tous les choix ont leur revers, il faut savoir faire les bons à temps opportun. Comme disait l’autre, en politique, c’est comme en amour, « toutes les fautes s’expient et bien peu se réparent ».

Ndiaga Loum, professeur titulaire, UQO

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