Est-ce une raison suffisante pour que je sois ostracisé, caricaturé, catalogué, humilié, déshonoré, et jeté en pâture par les miens ?
Simplement parce que je suis né en Casamance ?
Aujourd’hui, je vis avec deux étiquettes collées, une sur mon front, une autre sur mon dos. Je fais profil bas pour ne pas céder à la funeste tentation de verser dans des querelles ethnicistes et identitaires.
Je garde espoir qu’un jour chaque sénégalais m’identifiera pour ce que je suis et/ou me caractérisera par les actes que je pose : un humain avec de petites qualités et certainement de gros défauts.
J’ai levé les bras, tendu les pieds pour qu’au loin on me reconnaisse SENEGALAIS.
Mais c’est avec souvent une déception contenue que je constate que certains compatriotes persistent à vouloir inscrire dans la mémoire collective universelle, une collusion sémantique entre ma casamancité et la rébellion.
Ceux sont les mêmes qui de par leurs agissements me font comprendre que pour eux, tout Casamançais est avant tout, un rebelle.
Ces assertions d’apparence innocentes renvoient à une autre conception insidieuse celle-là, qui voudrait que la plupart des casamançais serait à la recherche d’une indépendance. Ce qui expliquerait, leur propension à la cruauté, à la violence, à la déloyauté vis-à-vis des institutions du Sénégal et au crime contre les citoyens.
Des œillères sont montées pour ne pas voir que je suis tout autant victime que d’autres sénégalais de cette funeste page de notre histoire commune, même si ces mêmes personnes pensent à tort, n’être en rien concernés.
Il est tellement courant dans les causeries mondaines entre sénégalais, de nous entendre apostropher par « rebelle » Et c’est généralement en riant qu’on vous dira que ce n’était qu’une boutade. Il suffit qu’un non natif de la Casamance y séjourne pour qu’il s’entende surnommer « le rebelle ».
Des amis comme Ndukur Kacc Ndao sont souvent catalogués dans les réseaux sociaux de « rebelle », juste parce qu’ils ont choisi soit d’y vivre soit d’y travailler.
Nos accusateurs préfèreront enter dans les ouillères, s’enivrer d’alcool, pour se dédire avec l’excuse d’avoir confondu sans le vouloir, les victimes avec les acteurs de cette foutue guerre sénégalo-sénégalaise de Casamance.
Avec le recul je me rends compte que ceux sont les mêmes, qui ont inscrit dans le subconscient national, un narratif d’indexation de Casamançais comme les coupables des crimes commis sur le champ politique national car « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère ». Quand bien même il n’y aurait aucun « frère » dans les environs immédiats, la translation est vite faite, comme pour aller jusqu’au bout de cette fable du loup et de l’agneau de Jean de la Fontaine « c’est donc quelqu’un des tiens »
Je ne cherche pas à justifier tous les casamançais. Non, je n’ai ni légitimité encore moins l’intention.
Loin de moi, une volonté de vouloir victimiser les Casamançais. Non je pose un débat qui je l’espère permettra dans un futur proche de lever la foultitude d’équivoques sur la casamancité des citoyens tout autant sénégalais.
Je ne suis pas aussi dans des raccourcis qui voudraient que tous les casamançais soient des enfants de cœur ou des saints. Loin s’en faut ! Dans cette Casamance si « lointaine pour beaucoup de sénégalais » on y trouve toute la nomenclature de l’espèce humaine comme partout ailleurs dans le monde. De très mauvais, des voyous, des bandits, de très bons, des moins bons………
Et donc, je voudrais affirmer que ces « égarements verbaux » vont parfois très loin, jusqu’au gravissime crime d’atteinte à la sureté de l’état. Et pour crédibiliser chaque assertion, un nom de famille ou de lieu en Casamance, est balancé sur la place publique.
Conséquemment des personnes sont interpellées, stigmatisées, brutalisées, martyrisées, et quelques fois, emprisonnées puis oubliés dans les cachots sans que personne ne s’en émeuve car aux yeux de l’opinion ils seraient déjà génétiquement coupables.
Ils sont nombreux ces casamançais accusés d’atteinte à la sureté de l’état qui payent en ce moment un lourd tribut dans l’indifférence totale sans qu’aucun élément factuel ne vienne confirmer leur culpabilité. Ils seraient coupables de fait car ils sont casamançais.
Souvenons nous, il y a juste un an, notre pays avait été secoué par un événement politico-social qui malheureusement avait causé 14 morts. (Que Dieu les accorde un repos éternel !)
Dans un discours officiel, la bavure avait été attribuée à un supposé convoi de REBELLES venus spécialement de la Casamance pour un carnage programmé.
Tout le peuple sénégalais avait entendu le narratif et les éléments de langages posés et scellés pour justifier la tournure gravissime des événements.
J’avais fait une sortie publique pour demander à une personnalité de la presse de rendre publique la liste des membres et leurs instigateurs dont il se targuait de détenir. Il m’avait paru indispensable de voir les auteurs de la barbarie, démasqués et traduits devant les juridictions nationales de notre pays, car nul ne pouvait commettre de telles atrocités et laissé en liberté ne serait-ce qu’une minute.
Un an après, nous attendons toujours. Je n’ose pas croire que le seul fait de citer la Casamance aurait valeur de jugement.
A ces mamans de Dakar, qui pleurent la disparition de leurs enfants chaque soir dans la dignité et dans l’intimité de leurs chambres, on ne daigne même plus à les consoler ne serait-ce qu’avec la bonne version des circonstances de la disparition de leurs enfants.
Devraient elles se contenter d’une assertion qui prétend que les auteurs viendraient de la Casamance ?
Trop insuffisant, à mon avis ! Ces mamans ont besoin de regarder en face « ces répugnants criminels casamançais » qui ont ôté la vie de leurs enfants pour qu’enfin elles puissent faire leurs deuils.
Quid de ces familles de Bignona et Ziguinchor, que les supputations ont tellement embrouillées au point de ne plus savoir exactement comment leurs enfants sont morts. Pudiquement, elles s’en sont remises à Dieu car il leur semble que pour le reste du peuple sénégalais ce n’est que « vous dans vous. »
Des Casamançais qui tuent des casamançais, il n’y a pas de quoi s’en émouvoir surtout que les rumeurs disent à tort ou à raison que ce serait des armes létales qui avaient été utilisées dans le cadre d’un maintien de l’ordre.
Que ce soit clair, ma préoccupation du moment est cette inscription insidieuse dans la conscience populaire de l’amalgame qui allie toutes les personnes, vivant ou de passage en Casamance à la rébellion armée et conséquemment à la violence.
Depuis quelques mois, j’écoute les narratifs publiques (comme tout le monde) sur les destins tragiques de François Macabo, de Fulbert Sambou et sur la disparition de Didier Badji tous originaires de cette même Casamance.
J’ai déjà écouté sur les plateaux (comme bon nombre de sénégalais), ces multiples spécialistes en tout qui avaient élucubré pendant des mois sur les causes et les dessous de ces affaires scabreuses. Qu’en est-il réellement ? Seules les enquêtes en cours devraient édifier l’opinion. De Dakar aux iles Bliss en passant par toutes les agglomérations populaires du Sénégal, la conscience nationale attend les résultats des enquêtes en cours pour se forger une opinion.
En attendant j’ai eu le temps de visionner et d’écouter toutes ces vidéos en circulation sur la toile.
Dans ma mémoire est gravée une particulière qui montre de vieilles mamans de Niomoul, toutes de noir vêtu en procession, pleurant leurs fils dans un rite funéraire inhabituel pour porter un deuil.
Les images me parlent d’une désolation inextricable et inexpiable de communautés entières. On y voit les visages ridés par l’âge et l’émotion de vielles personnes qui malgré leurs expériences de la vie semblaient complétement larguées par la tournure que prenait leur parcours sur terre.
Leurs regards lointains semblaient parler aux preneurs d’images : « qu’est-ce qui s’est réellement passé ? ».
Ce type de rites, me dit-on, serait le plus haut niveau d’engagement spirituel dans le cadre d’une rédemption ou de la soumission à la liturgie d’Emit.
A travers les chansons, j’arrive à décrypter quelques brides de mots : Etonnamment, le message n’est ni inquisiteur, ni accusateur. Ces mamans demandent simplement au Tout Puissant de leur donner la force et la sagesse de laisser faire la nature qui inéluctablement leur délivrera du cauchemar de l’incompréhension.
Ces mères chantent pour s’armer de patience et extirper les maux qui les rongent de l’intérieur.
Elles sont déterminées à connaitre dans les moindres détails, les circonstances de la disparition de leurs enfants. Y parviendront elles ? Seul Dieu connait la réponse.
Mais une chose est sure, la communauté Mancagne, la communauté des iles Bliss, la communauté Blouff, la communauté Kassa, enfin toutes les communautés de la Casamance se sentent interpellées au plus profond de leur foi.
Une situation inique et exagérément spéciale qui ne présage rien de bon, si rien n’est entrepris pour corriger ces dérives verbales qui voudraient que les crimes et autres forfaitures funestes soient reliées à la Casamance.
Comme si cela ne suffisait pas, de nouvelles assertions sont apparues, impliquant d’autres noms de familles casamançaises dans des organisations criminelles supposées avec des appellations qui renvoient aux concepts militaires. Qu’en est-il véritablement ?
Nous avons tous intérêt à ce que lumière soit faite.
Le silence des casamançais est une invite à la paix et à la concorde nationale sénégalaise. Il ne saurait être assimilé à une quelconque faiblesse ou à une simple résignation.
Je demande à tous les Sénégalais de bonne foi, de monter au créneau pour expliquer aux hommes et aux femmes de mon pays, surtout à ceux ou celles qui ne comprennent pas encore la sacralité du vivre-ensemble que le Casamançais de souche est un citoyen à part entière et non un citoyen à part.
Qu’on dise aux pourfendeurs de la concorde nationale que c’est au pied du mur qu’on reconnait le maçon. Ce n’est pas parce que je suis Diatta, Sané, Coly, Sambou, Ntap ou Mendy que je suis forcément menuisier, moine ou membre d’un mouvement insurrectionnel. Que nous apprenions à nous connaitre pour éventuellement nous aimer ou nous détester en fonction des agissements de chacun d’entre nous.
Ce n’est pas parce certains d’entre nous sont obligés de justifier leur sénégalité (certificat de nationalité ou/et les documents d’état civils des parents ; quand bien même, ils monteraient leurs cartes expirées) chaque fois qu’ils doivent renouveler leurs cartes d’identité que forcement ils appartiendraient à une organisation terroriste ou qu’ils seraient des assassins génétiquement modifiés par leur origine.
Si la majeure partie de ceux qui comme moi se réclament sénégalais d’origine casamançaise, a gardé le silence, c’est juste par pudeur pour ne pas légitimer une hideuse haine dont les conséquences, s’avèreraient désastreuses pour notre pays et pour les générations futures alors qu’au même moment d’autres nations s’évertuent à trouver une place dans un monde mondialisé aux corollaires exigeants et rigoureux.
Si la majeure partie de ceux qui comme moi se réclament sénégalais d’origine casamançaise, a gardé le silence, ce n’est pas par peur ou par faiblesse, c’est par amour pour ce Sénégal qui nous l’espérons, continuera de nous donner tout ce qu’il a de plus cher : la Téranga, la Paix et la Concorde.
Entre sénégalais, nous pouvons compétir, nous battre, nous disputer, nous engueuler, nous aimer, nous haïr, mais faisons le, sans la stigmatisation ethnique ou communautaire. Que me soient reprochés mes actes à moi, non ceux de quelqu’un de ma tribu, de mon village ou de ma région.
Pour finir je voudrais rassurer mes lecteurs : « ma casamancité n’est porteuse d’aucun gène de la violence. Ma casamancité n’est pas synonyme d’incivisme-incivilité ou de barbarie».
Xavier DIATTA, casamançais et citoyen Sénégalais