Après douze années d’exercice sans partage du pouvoir, le président Macky Sall semble aujourd’hui rattrapé par ses engagements non tenus. En effet, son régime fait aujourd’hui face aux démons qui avaient fortement ébranlé la fin de règne du président Wade.
C’est un secret de polichinelle, l’image de la démocratie sénégalaise a pris un sacré coup ces dernières années. Nonobstant les assurances des autorités en place, la situation actuelle du pays est loin de cette « démocratie apaisée », souvent citée comme un exemple dans une région ouest-africaine en proie aux coups d’Etat et autres changements anti démocratiques à la tête du pouvoir exécutif. La preuve, à moins d’un an de l’élection présidentielle du 25 février prochain, une incertitude totale règne autour des candidats à ce scrutin aussi bien dans le camp du pouvoir que celui de l’opposition. Contrairement aux précédents scrutins, le débat sur le processus électoral pour une première fois de l’histoire politique du pays est relégué au second plan. Toutes les attentions sont tournées vers la tension politique actuelle alimentée par le débat sur la controversée troisième candidature de l’actuel chef de l’Etat.
Pourtant, opposant en 2012, le Président Macky Sall avait farouchement combattu la troisième candidature de son prédécesseur et ex-mentor, le Président Abdoulaye Wade. Avec ses anciens camarades de l’opposition d’alors dont Moustapha Niasse, leader de l’Alliance des forces de progrès (Afp), Abdoulaye Bathily, parton de la Ligue démocratique, feu Ousmane Tanor Dieng ex-Sg du Parti socialiste et feu Amath Dansokho, ex-leader du Pit, entre autres, il avait pris part aux manifestations contre cette 3ème candidature de Wade qui avait plongé le Sénégal dans une profonde crise politique. Aujourd’hui, douze ans après, voilà le Sénégal de nouveau confronté à cette même tension autour de la 3ème candidature.
A cela, il faut également ajouter les procédures judiciaires initiées contre le leader de Pastef et maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko, que ses partisans voient comme un moyen visant à barrer la route de la présidentielle de 2024 à leur leader par le biais d’une condamnation judiciaire, forçant les militants de Pastef à se radicaliser un peu partout.
Conséquence de cette tension : pas un jour, voire tout au plus un mois ne passent, sans que des voix autorisées au niveau national ou international ne s’élèvent pour alerter sur le danger qui guette la paix civile au Sénégal. Toutefois, il faut souligner que si l’actuel chef de l’Etat s’était conformé à ses engagements lors de la campagne électorale en 2012, notamment dans le domaine de la gouvernance politique et économique à travers son slogan de « gouvernance sobre et vertueuse » et en positionnant les intérêts de la patrie avant ceux du parti, le Sénégal n’en serait pas là aujourd’hui.
Non-respect de la charte des conclusions des Assises nationales et des conclusions de la commission de réforme des institutions (Cnri)
Candidat de la coalition « Macky 2012 » à la présidentielle de 2012, Macky Sall avait signé le 29 mai 2009, au même titre que les 12 autres candidats qui se réclamaient de l’opposition lors de présidentielle de 2012, les conclusions et la Charte de bonne gouvernance démocratique des Assises nationales. Ce document issu des larges concertations qui ont regroupé des organisations de la Société civile, des syndicats, des partis politiques, des organisations non gouvernementales, des organisations religieuses, professionnelles, féminines, patronales, entre juin 2008 et mai 2009, proposait une nouvelle vision de la gouvernance du pays avec une nouvelle Constitution. Ainsi, il s’était engagé une fois élu à appliquer toutes les recommandations de cette Charte de bonne gouvernance démocratique qui promeut une nouvelle République moderne avec notamment une séparation et un équilibre entre les pouvoirs, l’incompatibilité de la fonction de président de la République avec celle de chef de parti politique pour ne citer que ces réformes. Seulement, une fois élu président de la République, Macky Sall n’a pas mis du temps à revenir sur cet engagement en déclarant que «la Charte des Assises nationales n’est ni la Bible ni le Coran ».
Ainsi, en lieu et place de l’application des conclusions des Assises nationales, il a choisi de mettre sur pied la Commission de réforme des institutions (Cnri) à la tête de laquelle il a placé le doyen Amadou Makhtar Mbow, président des Assises, à qui il a confié la mission de lui faire des propositions de réforme des institutions, un travail déjà effectué par les Assises nationales. Là aussi, une fois le travail effectué, son ministre conseiller juridique d’alors, le Pr Ismaïla Madior Fall, s’est empressé de monter au créneau pour accuser le doyen Amadou Makhtar Mbow et son équipe de la Cnri d’avoir outrepassé leur mission en proposant un projet de Constitution. S’exprimant depuis la Chine où il était en visite d’Etat sur ce rapport de la Cnri, le président Macky Sall annonçait qu’il ne prendra, dans le rapport de la Cnri que ce qu’il jugera bon. Il faut dire que l’application des conclusions des Assises nationales ou même de la Commission de réforme des institutions, aurait pu consolider le ciment de la démocratie sénégalaise en la mettant à l’abri de toutes les tribulations actuelles.
Une stratégie politique de conservation du pouvoir basée sur le choix de ses adversaires.
Outre la non-application des conclusions des Assises nationales et de la Commission de réforme des institutions, la tension actuelle que traverse le Sénégal peut être expliquée également par cette nouvelle stratégie politique de conservation du pouvoir basée sur le choix de ses adversaires, érigée en règle par Macky Sall consistant à vouloir « réduire l’opposition à sa plus simple expression ». En effet, en sept ans de gouvernance (2012-2017), l’actuel régime s’est positionné comme celui qui a le plus opéré des modifications tendancieuses dans le Code électoral consensuel de 1991. Grâce à sa majorité très confortable obtenue sous la douzième législature (2012-2017), le régime en place est parvenu au gré des réformes déconsolidantes des règles du processus à dénaturer ce Code électoral consensuel de 1991. Saisissant le prétexte des nombreuses listes enregistrées lors des législatives de 2017, le Président Macky Sall a fait adopter à quelques mois du dépôt des candidatures pour la présidentielle de 2019 deux lois très controversées. Il s’agit de la loi généralisant le parrainage citoyen à tous les candidats à l’élection présidentielle et celle modifiant l’article L.57 en 2018 avec le rajout du mot « électeur » candidat.
En 2019, cette généralisation du parrainage a permis au régime en place d’invalider 22 dossiers de candidatures dont celui de Malick Gakou, leader du Grand parti. S’agissant du nouvel article L.57, il est à l’origine de l’invalidation des candidatures de Karim Wade et Khalifa Ababacar Sall lors de la présidentielle de 2019. Aujourd’hui, c’est le leader de Pastef qui est dans le viseur du régime en place. En effet, arrivé 3ème à l’issue de la présidentielle de 2019, Ousmane Sonko, grâce à sa position d’opposant radical au Président Sall et son discours très captivant chez les jeunes mais aussi chez certains adultes se positionne comme le potentiel successeur de Macky Sall au Palais de la République. Un pronostic que le pouvoir en place semble déterminé à déjouer par tous les moyens, quitte même à faire «brûler» le pays avec cette tentative d’imposer une troisième candidature du président Sall.
Instrumentation de la justice à des fins d’élimination de potentiels adversaires
Depuis son avènement, le président Sall et son régime ne se sont pas seulement contentés à modifier à leur faveur des textes législatifs à l’Assemblée nationale. En effet, parallèlement à ses agissements au niveau de l’Assemblée nationale, le régime en place s’est illustré ces dernières années dans des opérations de liquidation politique de potentiels adversaires sur fond d’instrumentation de la justice. Le Parti démocratique sénégalais (Pds) et son candidat, Karim Wade, ont été les premiers à faire les frais de cette nouvelle démarche politique consistant à profiter des dossiers judiciaires pour écarter de la course à la présidentielle de potentiels sérieux concurrents avec l’affaire de la traque de biens supposés mal acquis. En effet, sur une liste de 25 personnalités visées au départ par le procureur de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), seul Karim et complices ont été condamnés. La plupart des autres mis en cause dans cette procédure ont vu leur dossier classé, dès leur ralliement au camp du pouvoir, dans les tiroirs de cette juridiction spéciale créée en 1981 et réactivé en 2012.
Étoile montante de l’opposition après son refus de renoncer à son ambition présidentielle, Khalifa Ababacar Sall, tout puissant maire de Dakar d’alors dont la gestion est citée en exemple par des rapport de corps de contrôle public, s’est vu soudainement accusé d’escroquerie et de détournement de l’argent de la caisse d’avance de sa mairie par un rapport secret de l’Inspection générale d’Etat qui n’est toujours pas rendu public. Condamné en 2017 à 5 ans de prison, il a été ainsi écarté de la présidentielle de 2019 sur la base de cette condamnation avant d’être gracié la même année. Aujourd’hui, c’est le leader de Pastef qui est dans le collimateur du pouvoir en place qui semble plus que jamais déterminer à rééditer le même coup ko de justice qu’il avait infligé à Karim Wade et Khalifa Ababacar Sall avec cette affaire de diffamation opposant Ousmane Sonko au ministre Mame Mbaye Niang. D’ailleurs, cette traque des partisans du maire de Ziguinchor arrêtés pour diverses infractions un peu partout à travers le pays semble confirmer cette thèse. En effet, tout porte à croire que le régime en place cherche à faire le vide autour du leader de Pastef, Ousmane Sonko comme il l’avait fait avec Karim Wade et Khalifa Ababacar Sall avant son acte fatal. La preuve, à en croire les responsables de Pastef, ils sont plus 400 militants et responsables de ce parti à être incarcérés aujourd’hui.
NANDO CABRAL GOMIS