Macky, en quête de sésame !

par pierre Dieme

Promenade du couple présidentiel suite aux manifestations, position de ni oui ni non du chef de l’état dans l’entretien avec le quotidien français « L’Express », Jean Charles Biagui et Momar Diongue livrent leurs éclairages

Observateurs de la scène politique sénégalaise, Jean Charles Biagui, enseignant chercheur en sciences politiques (Ucad) et Momar Diongue, journaliste et analyste politique, se prononcent sur les dernières sorties publiques du président de la République au lendemain des manifestations violentes du 16 mars dernier et qui ont causé la mort de 2 personnes à Dakar. Interpellés par la rédaction de Sud quotidien, les deux observateurs de la scène politique sénégalaise nous livrent leur regard croisé sur la promenade du couple présidentiel et la sortie du chef qui a réaffirmé dans un entretien accordé à nos confrères du quotidien français «L’Express» sa position de ni oui ni non au sujet de sa candidature controversée en 2024 pour un 3eme mandat.

JEAN CHARLES BIAGUI, ENSEIGNANT CHERCHEUR EN SCIENCES POLITIQUES (UCAD) : « La promenade du couple présidentiel donne l’image d’un dirigeant qui banalise les récents événements »

La promenade ou la balade du couple présidentiel dans certaines rues de Dakar est une mauvaise stratégie de communication politique au lendemain de deux jours tragiques ponctués par de nombreuses destructions et par la perte de vies humaines. Elle donne l’image d’un dirigeant qui banalise les récents événements. Au lieu de calmer le jeu par des initiatives concrètes comme la libération des détenus politiques ou l’annonce d’enquêtes pour faire la lumière sur cette répression inacceptable, Macky Sall préfère opter pour une stratégie visant à montrer que tout est finalement sous contrôle. Par ailleurs, un dirigeant politique doit être proche de son peuple et ce n’est certainement pas sur le siège de sa voiture rutilante qu’il prend le pouls des populations. Pourquoi ne sort-il pas de sa voiture pour prendre un bain de foule ? Pourquoi ne va-t-il pas au contact direct des citoyens ? La stratégie consistant à fer mer les yeux sur la situation politique de plus en plus crisogène est contre-productive. Mais tout cela n’est pas nouveau. C’est le propre des systèmes politiques autoritaires. Aujourd’hui, n’en déplaise aux partisans du régime, nous sommes dans le contexte d’un régime autoritaire, répressif et à bout de souffle.

 «NOUS SOMMES TOUJOURS DANS CETTE STRATEGIE TRES CLAIRE DE LEGITIMATION D’UNE CANDIDATURE CONTRAIRE A LA LETTRE ET A L’ESPRIT DE LA CONSTITUTION»

« La sortie du chef de l’Etat dans le quotidien français « Express » n’a rien de surprenant. Nous sommes toujours dans cette stratégie très claire de légitimation d’une candidature contraire à la lettre et à l’esprit de la constitution du Sénégal. Macky Sall sait très bien qu’il doit partir. Mais il ne le veut pas. J’ai le sentiment que les Sénégalais ont compris. Ils ont aussi compris la place que Macky Sall accorde à la France. Lorsque le chef de l’Etat parle de paternalisme occidental, il oublie que ce paternalisme est accepté y compris par son propre régime et ses différentes actions. Macky Sall reste figé dans ses certitudes. En 2009, au Niger, le président Mamadou Tandja n’avait pas non plus mesuré le fossé qui le séparait des Nigériens. Tout le monde connaît la suite. Encore une fois, Macky Sall doit partir conformément à la Constitution. Si les Sénégalais se mobilisent, il n’aura pas le choix. Je suis persuadé qu’il en est conscient ».

MOMAR DIONGUE, JOURNALISTE ET ANALYSTE POLITIQUE : « Le président pouvait se passer de cette promenade »

« La promenade du Président Macky Sall et de la première dame appelle 3 observations dont la première est que, ce n’est pas la première fois que le président adopte une attitude comme celle-là. Pour rappel, après les incidents de mars 2021, il s’était également offert une promenade. Mais à l’époque, c’était sans doute pour mesurer l’ampleur de la manifestation et des dégâts qui ont été causés. Probablement, cette fois-ci, a-t-il voulu avoir un comparatif après les incidents de jeudi dernier et pouvoir, si réellement ce qu’il a toujours dit, à savoir que ce qui s’était passé en mars 2021, ne se reproduirait pas si ça s’est avéré être le cas sur le terrain. Sans doute, il a voulu vérifier cela, mais ce n’est pas la première fois qu’il adopte cette attitude. La deuxième observation à faire, c’est que le président Macky Sall, en s’offrant cette promenade, conforte aussi cette caricature que certaines n’hésitent plus à faire, à savoir que c’est plutôt maintenant le pouvoir qui réagit aux actions de l’opposition et non le contraire. On a remarqué qu’à chaque fois que l’opposition et principalement sa figure principale, Ousmane Sonko, pose un acte, automatiquement le camp de pouvoir réagit. Donc, c’est Macky Sall qui est dans la réaction.

La 3e observation également à faire, c’est que le président Macky Sall est dans une dynamique de rapport de force comme le proclame et le revendique Ousmane Sonko. Il veut démontrer à chaque fois qu’il y a des incidents de la sorte, à la face du monde mais aussi vis-à-vis de ses adversaires, qu’il a le contrôle de la situation, qu’il maîtrise la situation et que sa côte de popularité reste intacte. Telles sont les 3 observations à faire sur cette promenade du couple présidentiel. Maintenant, à la question de savoir si le président devait-il faire une promenade à la suite des manifestations, je crois qu’il pouvait se passer de ça parce que ces partisans occupent plutôt bien le terrain politique avec toutes ces séries de meetings, de manifestations, de rassemblement, d’animation de la coalition Benno Bokk Yakaar de l’investiture du Président Macky Sall lui-même. Ensuite, la 2e raison pour laquelle le président pouvait se passer de sa promenade, c’est qu’il y a un membre de son gouvernement, en l’occurrence Mame Mbaye Niang, qui est aux prises d’ailleurs avec Ousmane Sonko dans le cadre de ce procès et qui tient la dragée haute à Ousmane Sonko et, je crois qu’à partir de là, le président pouvait se passer de descendre sur le terrain et de s’offrir une promenade ».

«LE PRESIDENT EST OBLIGE D’ETRE DANS SA POSTURE: NI OUI NI NON, JUSQU’A CE QUE LE CAS OUSMANE SONKO SOIT REGLE».

« Maintenant, pour la sortie du chef de l’Etat à propos de la 3e candidature dans le journal Express, je pense que le président ne pouvait pas faire autrement. Il est obligé d’être dans sa posture : ni oui ni non, jusqu’à ce que le cas Ousmane Sonko soit réglé. Je fais partie de ceux qui pensent que le président de la République Macky Sall se déterminera quand il y aura l’issue du dossier Ousmane Sonko. Si, au terme de ses affaires judiciaires, la candidature d’Ousmane Sonko est invalidée, c’est un large boulevard qui s’ouvre pour n’importe quel autre candidat du camp du pouvoir. Je pense que le président est bien conscient, qu’il ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Autrement dit, il ne peut pas avoir une candidature invalidée de Sonko et et se présenter lui-même pour une 3e candidature très controversée. Je crois que c’est de l’issue donc des affaires judiciaires d’Ousmane Sonko et de ses éventuelles conséquences sur sa candidature que le président va se déterminer sur la question de la candidature ».

Nando Cabral GOMIS

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