Le spectre d’un troisième mandat apparait comme une mise à mal de la démocratie sénégalaise avec risques de tensions durables menaçant la stabilité de la région
Madame la Ministre,
Comme vous le savez, la situation politique au Sénégal est de plus en plus dangereuse à mesure que s’approche son élection présidentielle.
Premièrement, la menace d’un troisième mandat du Président Macky Sall apparait selon de nombreux acteurs au Sénégal et ailleurs comme une mise à mal de la démocratie sénégalaise et créerait des tensions durables au sein de la société menaçant la stabilité de la démocratie sénégalaise, et plus largement la stabilité de la région.
Deuxièmement, les tentatives d’intimidation, les menaces et les actions judiciaires contre les opposants politiques du Président Macky Sall, dont Ousmane Sonko qui est issu de la coalition « Yewwi Askan Wi», contribuent à créer des tensions qui pourraient, au moindre accident, dégénérer de manière violente Aujourd’hui, de très nombreux Sénégalais se soulèvent face à ce qu’ils considèrent comme un harcèlement judiciaire visant à faire tomber l’opposant politique le mieux placé pour l’emporter aux prochaines élections présidentielles.
Troisièmement, selon plusieurs médias sénégalais, le Président Macky Sall aurait donné 12 millions d’euros à la députée Marine Le Pen lors de son entrevue privée avec lui le 18 janvier dernier.
Fort de ces trois éléments complémentaires, il nous semble que la France a tout intérêt à s’inquiéter de la présente situation.
Premièrement, Paris doit impérativement vérifier que le Président Macky Sall ne s’ingère pas dans la politique française en finançant un parti politique français.
Deuxièmement, la France doit intégrer dans le dialogue qu’elle a avec le Président sénégalais et les autorités de ce pays, son souhait de voir le Sénégal remplir ses obligations du point de vue du droit international au titre, notamment de son adhésion aux Nations-Unies, mais également du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Sénégal en 1978 et de tous les engagements internationaux et nationaux afférents.
Enfin, dans un contexte où les actions de la France sont scrutées de très près en Afrique francophone, dans ce qui a été autrefois appelé le « pré-carré » français, et qui laisse encore très largement des plaies à vif dans cette sous-région du continent africain, il apparait fondamental que la France soit attentive au respect de l’opposition et œuvre, dans un cadre multilatéral incluant les instances africaines à garantir des élections crédibles, c’est-à-dire sans la présence de l’actuel président Macky Sall.
Que nous le voulions ou non, force est de constater que dans cette zone d’influence, beaucoup voient la main de la France dans le soutien aux dirigeants politiques en place. Pour le dire autrement: la France est souvent vue comme préférant la stabilité politique à l’alternance démocratique, quitte à soutenir des autocrates pendant des décennies, comme c’est le cas par exemple au Cameroun ou à Djibouti.
Pour beaucoup d’opposants sénégalais, si Macky Sall se représente de manière illégale, c’est qu’il aura eu l’accord de Paris. Car selon que le pouvoir en place est proche ou non de Paris, beaucoup d’observateurs attentifs constatent que les règles semblent s’appliquer différemment.
C’est ainsi que le troisième mandat inconstitutionnel du président ivoirien Alassane Ouattara n’a pas été aussi sévèrement critiqué par Paris que le troisième
mandat du président guinéen Alpha Condé, qui a pris fin avec un coup d’État en septembre 2021 organisé par un ancien légionnaire français, ce qui, pour certains, pose question.
L’autre exemple qui trouble nombre d’observateurs du « deux poids deux mesures » de la diplomatie française en Afrique francophone porte sur la présence du chef d’État français à Ndjamena quelques jours après le décès du Président du Tchad Idriss Déby en avril 2021 afin de rencontrer le putschiste Mahamat Idriss Déby et de lui donner une légitimité de chef d’État alors qu’il a occupé la place de son père dans l’illégalité constitutionnelle la plus totale.
Madame la Ministre, les complexes relations qu’entretient la France avec les États francophones d’Afrique doivent évoluer. La France se grandirait donc à venir en soutien à toutes les initiatives utiles au bon déroulement du scrutin présidentiel à venir au Sénégal, démontrant ainsi un tournant dans cette politique trouble de la France en Afrique.
Sachant compter sur votre vision rénovée des relations entre la France et l’Afrique, et sur la capacité de la France à comprendre l’évolution de la dynamique politique africaine francophone, et espérant que la France saura prendre une part légitime et positive dans la résolution actuelle du conflit sénégalais, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de ma haute considération.
André Chassaigne
Député du Puy-de Dôme
Président du groupe de la Gauche Démocrate et républicaine
Jean-Paul LECOQ
Député de Seine-Maritime
Vice-président de la
Commission des Affaires étrangères