Nous en appelons à tous les citoyens sénégalais, surtout à certains membres de l’élite politique à taire leurs querelles d’égo et à unir leurs efforts pour mettre fin aux entreprises de dévoiement de notre démocratie par la Benno
Durant les évènements du 16 mars dernier, le monde entier a pu assister, en direct, aux brimades et agressions physiques sur le leader du Pastef, sa garde rapprochée et son avocat, d’une manière irrespectueuse de la dignité humaine et évoquant une sorte de fascisme tropical à ciel ouvert. Ces actes méprisables symbolisent, à souhait, cette volonté de saper les bases de la respiration démocratique initiée, il y a 23 ans jour pour jour, en somme, un désir chimérique de passer du paradigme d’alternance démocratique à celui de présidence à vie.
Survivances de la culture du parti-État
En réalité, pour bien comprendre l’impasse politique dans laquelle se trouve le système politique sénégalais, il faut remonter à la première alternance de 2000.
A l’époque, le président Wade, au lieu de démanteler le système du parti-Etat, qui constituait un verrou à l’approfondissement de la démocratie, a préféré se l’approprier en le réajustant aux conditions de la post-alternance. Se servant d’outils tels que la corruption, la transhumance politique ou l’entrisme qu’ils avaient déjà expérimenté, dans les années 90, en s’acoquinant avec le parti socialiste, le président Wade et ses frères libéraux allaient remodeler le paysage politique sénégalais.
On assista alors à une déréglementation de la vie politique similaire à celle survenue en France, après l’accession de l’Union de la Gauche au pouvoir en 1981. Elle s’était traduite, principalement, par un affaiblissement des organisations politiques et syndicales de gauche, liées au mouvement populaire, particulièrement le PCF et la CGT.
L’action politique, elle-même, allait s’en trouver dénaturée, en perdant sa vocation initiale de défense d’intérêts de classes bien identifiées, pour devenir un instrument de promotion sociale individuelle ou au bénéfice de groupes de pression.
Il y eut ainsi un éclatement des courants de pensée libéraux, pro-capitalistes (ou pro-occidentaux), issus du parti socialiste historique et du PDS lui-même, en plusieurs nouvelles entités. C’est ce qui explique l’explosion exponentielle du nombre de partis, dont la plupart lilliputiens et cette option résolue et irréversible pour les grandes coalitions, découlant de la mort des grands partis.
Malheureusement, la voie de sortie de crise qu’aurait pu constituer la dynamique des Assises nationales allait tourner court et empêcher la mise en œuvre de véritables ruptures d’avec le système politique néocolonial, à cause de deux facteurs :
– l’absence d’une volonté politique réelle des mouvances socio-démocrate et libérale et
– le manque de courage politique des partis de gauche pris au piège de l’électoralisme et de la démocratie représentative bourgeoise.
Une méga-coalition grégaire et unanimiste
Après sa victoire au deuxième tour de la présidentielle de 2012, Macky Sall, à la tête d’un parti embryonnaire, était conscient que, non seulement son accession au pouvoir était accidentelle et fortuite, mais encore que la condition sine qua non de survie de son nouveau régime était la mise en place d’une vaste Coalition, selon la devise « gagner ensemble et gouverner (ou piller) ensemble ».
De fait, la garantie d’impunité et la collusion d’intérêts allaient conférer à Benno Bokk Yakaar une longévité aussi démesurée que néfaste et en faire l’une des Coalitions les plus massives et les plus unanimistes de l’histoire politique. Mais ses premiers tests électoraux (législatives de 2012, locales de 2014) furent loin d’être concluants, avec, au finish, de courtes majorités ou de lourdes défaites dans les grandes villes, dans un contexte de fort taux d’abstention. Visiblement, le peuple sénégalais n’était pas emballé par la rhétorique fumeuse et prétentieuse sur l’Emergence de la part de celui qui refusait de mettre en œuvre la refondation institutionnelle préconisée par les Assises nationales.
L’histoire allait donner raison à ceux qui doutaient de la bonne foi du successeur de Me Abdoulaye Wade, car l’opinion découvrira plus tard, toutes les combines du nouveau pouvoir (Arcelor Mittal, scandale Petrotim, port minéralier de Sendou, attribution d’un marché de pétrole à Total…).
On comprit, alors, a postériori, pourquoi le pouvoir apériste était resté très frileux envers les mesures consignées dans les conclusions des Assises nationales, le projet de nouvelle constitution et les autres recommandations de la C.N.R.I et visant aussi bien à améliorer la gouvernance sociopolitique qu’à instaurer l’équilibre et la séparation des pouvoirs.
Pour se mettre à l’abri de toute mauvaise surprise, le président allait s’atteler à faire le vide autour de lui, en affaiblissant ses adversaires tout en vampirisant et neutralisant ses alliés. De telle sorte que son régime devenu ultra-minoritaire ne tient plus que grâce au concours des F.D.S, (qui, sans vraiment être un parti politique même s’ils ont fait élire le président du Parlement), constituent, en association avec certains secteurs de la Justice, un ersatz d’outil politique sur la voie d’une dictature émergente, tentant de plonger notre pays dans une ère de glaciation autocratique. Il ne reste plus qu’à prier pour qu’elles n’imitent pas leurs collègues putschistes des pays frères voisins.
Heureusement que nous assistons à la création de divers groupes politiques constitués des nouvelles générations de cadres politiques, qui sont en train d’occuper les espaces libres délaissés par les anciens combattants de la gauche historique.
De nouvelles forces politiques contre l’instauration d’une autocratie pétrolière
Au-delà des divergences de points de vue politiques, qui étaient loin d’être décisives, l’alternance de 2012 était également révélatrice d’un désir de changement de génération acté par le remplacement du quasi-nonagénaire Abdoulaye Wade par le presque jeune cinquantenaire Macky Sall, né juste après les indépendances.
Par ailleurs, la jeunesse sénégalaise, comme celles de plusieurs pays limitrophes, souffrant de plusieurs maux et outrée par la gouvernance désastreuse des pontes de la Coalition APR-Benno, était touchée par une lame fond anti-impérialiste cherchant à rompre les amarres avec les anciennes puissances coloniales, particulièrement la France.
Elle est incarnée par plusieurs entités politiques, dont la plus représentative, actuellement, est le Pastef, victime d’une persécution impitoyable et catalogué comme ennemi public numéro 1 par les relais locaux de la Françafrique, avec le président Macky Sall comme chef de file.
Quoiqu’on puisse dire, le Pastef, fondé par des hauts fonctionnaires peu connus sur la scène politique est devenu la locomotive de l’opposition sénégalaise et est progressivement en train d’apprendre de ses erreurs et bénéficiant de l’accompagnement d’éminents hommes politiques provenant de Yonnu Askan Wi, du RND et même du PAI historique. Cette formation politique cristallise les espoirs de larges secteurs de la jeunesse sénégalaise, qui apportent leur fougue et leur engagement qui fait tant défaut à la vieille classe politique, qui ne s’est pas suffisamment renouvelée. Elle a également fait des percées remarquables dans le milieu des dommu daara, ce qui contribue à contrebalancer l’influence d’une certaine aristocratie maraboutique friande de mallettes de billets, de passeports diplomatiques, de 4 x 4, ne craignant pas de cautionner certaines formes de parjures émanant de représentants du pouvoir temporel.
En ce jour anniversaire de notre première alternance démocratique, nous en appelons à tous les citoyens sénégalais, surtout à certains membres de l’élite politique à taire leurs querelles d’égo et à unir leurs efforts pour mettre fin aux entreprises de dévoiement de notre démocratie par la Coalition Benno Bokk Yakaar, sous la houlette de leur président, qui pourrait encore sortir par la grande porte en respectant aussi bien sa parole que la Constitution (dont il est censé être le gardien).
Il doit décliner le projet insensé de troisième mandat que lui proposent des mercenaires politiques, qui n’hésiteraient pas à le sacrifier et à bruler notre cher Sénégal pour la sauvegarde de leurs intérêts égoïstes.