Vilénies d’un pouvoir finissant

par pierre Dieme

« On associe les dictateurs à la terreur. On les croit forts, ils sont faibles. On les pense invincibles, leurs pouvoir tient à quelques murs protecteurs, des palais, le culte de la personnalité, une loyauté sans faille, une police efficace, un système aux ordres. Leur chute dévoile leur faiblesse cachée et l’imposture originelle ». (F. G. Lorrain)

Etant hors du Sénégal, c’est avec peine et colère que j’ai suivi les évènements du 16 mars qui ont révélé à la face des Sénégalais, de l’Afrique et du monde les forfaits et méfaits d’un régime autoritaire tyrannique qui a décrété la fin de l’Etat de droit au Sénégal, piétiné notre démocratie et les libertés consacrés par la Constitution et conduit à une psychose sécuritaire généralisée. Une seule explication à cette situation dangereuse pour le pays et le peuple : la volonté du Président Macky Sall de briguer un troisième mandat à tout prix, en violation de notre Constitution qui indique clairement que « Nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs » mais aussi de la parole donnée (VAR à profusion).

Pour parvenir à ses fins, il a usé de tous les moyens pour assécher et décrédibiliser son opposition dont Ousmane Sonko est la figure de proue. En 2019, il ne voyait pas venir Sonko et s’est acharné sur deux adversaires qu’il craignait le plus : Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade dont le parti disposait encore d’un appareil électoral redoutable ; et Khalifa Ababacar Sall qui avait le vent en poupe. Il a manœuvré pour les faire emprisonner et leur faire perdre leur droit civique.

Dans la logique du « jamais deux sans trois », il cherche à faire de même pour éliminer Ousmane Sonko, le président du parti PASTEF. Mais cette fois-ci, il se heurte à plus fort que lui par la volonté de Dieu et du peuple souverain.

Sonko est conscient de l’espoir que le Sénégal et l’Afrique placent en lui mais sa popularité qui déborde les frontières de son pays fait peur au pouvoir. Jamais opposant sénégalais n’a été aussi persécuté, diffamé, violenté et humilié que Sonko. Mieux, par panique et à la lumière de ce qui s’est passé le jeudi 16 mars, le pouvoir ne cache même plus sa volonté de le liquider physiquement. Par la magie de l’internet, LES DERIVES SECURITAIRES DES FORCES REPRESSIVES qui exécutent « sans hésitation ni murmure » des ordres d’autorités politiques en rupture de ban avec leur peuple sont désormais connues du monde entier et c’est triste pour l’image du Sénégal.

Ces dérives et forfaitures ont entrainé une psychose sécuritaire jamais vécue au Sénégal, du fait d’une oligarchie qui crée des milices, non pour leur propre sécurité (les forces de sécurité leur sont prioritairement dédiées) mais pour faire les sales besognes. Ce qui est désastreux, c’est que ces milices opèrent en intelligence avec les forces de l’ordre. « Silence, on tue ! » serait-on tenté de dire. Sous le régime actuel, les morts suspectes se multiplient : François Mancabou emprisonné dans le cadre des ‘farces spéciales’ et mort en prison dans des circonstances mystérieuses ; Sergent Fulbert Sambou, un sous-officier de l’armée en service à la Délégation Générale du Renseignement déclaré mort par noyade après avoir été porté « mystérieusement » disparu avec un autre frère d’armes, l’adjudant Didier Badji de la gendarmerie, toujours pas retrouvé. Ils ont été tous les deux inhumés sans autopsie.

La tentative d’assassinat de Dame Mbodji dont la voiture qu’il conduisait le 15 mars 2023 a reçu 7 impacts de balles qui seraient tirées par des nervis postés sur la corniche ouest, à quelques encablures de la ‘mosquée de la divinité’, n’est pas pour rassurer les Sénégalais sur la prise en charge de leur sécurité. Comme pour les décès suspects, il est peu probable que les enquêtes sur ce ‘crime’ aboutissent à des résultats probants.

À ces forfaitures sécuritaires, il faut ajouter un fait grave survenue le 16 mars avec ce qui semble être une tentative de liquidation physique du Président Ousmane Sonko. Il est actuellement hospitalisé parce que gazé puis embarqué de force dans un véhicule de la Brigade d’Intervention Polyvalente (BIP) de la police, sans masque là ou les agents avec lui étaient protégés. Aurait-t-il inhalé une substance nocive à l’intérieur du véhicule blindé de la police ? Rien n’est à exclure car à la suite de son isolement dans le véhicule de la BIP, son état de santé s’est fortement détérioré et, au lieu de faciliter son evacuation sanitaire, on le force à rester chez lui en bloquant l’ambulance de SAMU Assistance venu le chercher. Le Président Sonko souffrant n’a été autorisé à prendre l’ambulance qu’après plusieurs heures d’attente. Pourquoi ? Dans l’hypothèse d’une inhalation de toxiques nocives (lacrymogènes exclus), a-t-on voulu laisser à une éventuelle substance toxique que Sonko aurait inhalé le temps de faire effet ? Il faut reconnaitre que l’empoisonnement pour éliminer des adversaires politiques ou des personnalités gênantes est une réalité bien connue avec de nombreux exemples. On se souvient de l’assassinat de Kim Jong-Nam, demi-frère du leader Nord-Coréen Kim Jong-Un par le biais d’un agent neurotoxique (VX) projeté sur son visage par deux femmes alors qu’il était dans un aéroport. C’était en février 2017. En avril de la même année, la figure de l’opposition russe, Alexei Navalny tomba malade et fut évacué dans un état comateux à Berlin, en Allemagne où il a été hospitalisé pendant deux semaines pour empoisonnement avec l’agent toxique Novichok. Il y a aussi le cas du dissident bulgare Georgi Markov, en 1978. Il s’est fait piquer par la pointe d’un parapluie qu’a laissé tomber un passant alors qu’il était à un arrêt de bus à Londres. L’autopsie révèlera qu’il a été empoisonné par 0.2 mg de ricine. Un autre cas d’empoisonnement politique en 2004 est celui de l’Ukrainien Louchtchenko, leader de la Revolution orange et principal opposant à Lanoukovitch, favorable à Moscou. Il est tombé gravement malade en pleine campagne électorale et un examen médical révèlera un empoisonnement à la dioxine. Il a survécu malgré tout et a gagné les élections présidentielles tenues en janvier 2005.

Ce rappel est fait pour montrer que la piste d’un empoisonnement n’est pas à écarter. La suspicion est d’autant plus grande que personne n’arrive à s’expliquer l’agressivité des forces de l’ordre qui vont jusqu’à briser les vitres du président Ousmane Sonko pour l’y extirper de force et le mettre dans leur véhicule. L’argument selon lequel elles veulent le protéger malgré lui est fallacieux. Toute dictature, nous dit Frank Dikötter, oblige tout le monde à mentir pour qu’on ne sache plus qui ment. Des forces professionnelles et neutres sauraient bien comment escorter un convoi de VIP. Rien ne les autorise à agir de la sorte. On ne joue pas avec la sécurité de quelqu’un qui incarne l’espoir de millions de personnes, qui plus est, a toutes les chances de diriger son pays. Sonko est en territoire ennemi chaque fois qu’il est séquestré dans un véhicule des forces de l’ordre et c’est en ces moments où le risque d’administration de poison est très élevé. En vertu de ce qu’il représente dans ce pays, Sonko doit être traité avec respect. Avoir toujours à l’esprit qu’aucun pouvoir n’est éternel aiderait les agents de l’Administration à préserver leur dignité dans la neutralité.

La paix ne prévaudra dans ce pays que si celui qui en a les destinées respecte les sénégalais de tout bord. Il devrait être le premier acteur de la paix, or il en est le fossoyeur. La force, l’arrogance, l’impunité et l’(I)njustice ne contribueront qu’à renforcer les rancœurs et radicaliser les opprimés.

C’est le lieu de féliciter les jeunes patriotes, cette jeunesse consciente, ardente et vibrante, capable des plus grands sacrifices en se dressant en rempart contre les dérives autoritaires du régime qui leur a volé leur avenir pour protéger le Projet incarné par Ousmane Sonko.

En tout état de cause, il est de la plus haute importance que Sonko soit évacué dans les meilleurs délais hors du pays dans la mesure où les hôpitaux sous l’emprise de l’Etat sénégalais ne sont plus sûrs pour les opposants (Je m’incline ici devant la mémoire de l’Imam Ndao et de ABC, deux porte-voix du peuple). La restitution de son passeport est exigée afin qu’il puisse aller se faire soigner dans un pays de son choix.

La résistance ne faiblira pas tant que le pouvoir persistera dans sa logique d’intimidation et de répression, dans ses vilénies.

Dr Colonel (er) Abdourahim Kebe

Enseignant-chercheur

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