Repenser la démocratie en Afrique en particulier, quelle besogne ! D’emblée, il faut reconnaître que cette question est un véritable serpent de mer, parce que la démocratie est un processus continu de réinvention.
L’expression est de l’éminent sémiologue Alioune Tine, président d’Afrika Jom Center structure initiatrice d’un séminaire de trois jours (du 8 au 10 Mars, à Dakar), sur les problématiques des démocraties en Afrique. Séminaire qui a réuni des intellectuels, spécialistes, et hommes politiques venus de tout le continent et d’ailleurs.
Repenser la démocratie en Afrique en particulier, quelle besogne ! D’emblée, il faut reconnaître que cette question est un véritable serpent de mer, parce que la démocratie est un processus continu de réinvention. Dans la théorie et dans la pratique. Une réinvention qui, bien évidemment, ne saurait faire abstraction du référentiel culturel, entendu que la démocratie est avant tout une culture.
C’est d’autant plus vrai que les sociétés africaines en général sont des sociétés d’inégalité et de domination. Arriver à l’idée d’une conception de l’homme, de la femme, du citoyen, comme des unités d’égale importance est déjà en soi un défi.
Depuis les indépendances, on essaie mais n’y arrive pas. Et c’est cela le problème. On y arrive pas parce qu’on a cru qu’il fallait un système autoritaire pour effacer les différences et créer un «homme sénégalais», un «homme ivoirien», un «homme burkinabé», etc, pour un projet commun. L’on a oublié qu’effacer ces différences serait contreproductif dans la mesure où c’est précisément dans la différence que germe l’unité.
En reconnaissant que les personnes sont d’égale dignité, cela les amène à délibérer et à porter un projet discuté et accepté par tous. Cet «autoritarisme développementaliste», selon le concept du professeur Mamadou Diouf de l’Université de Columbia (Etats Unis d’Amérique), n’a rien donné. Aujourd’hui, on vit dans des démocraties de papier. Institutionnelles, certes, mais qui ne sont pas portées par une culture démocratique. Les 3èmes mandats sont l’illustration parfaite de ce décalage entre la décision institutionnelle et la culture qui doit la porter. De ce point de vue, l’éducation est-elle en cause ? Au Sénégal, on injecte des milliards dans l’école mais on peine à éduquer nos gosses. De là à dire qu’il y a un problème éthique, c’est clairement répondre par l’affirmative. Cela dit, ce dont notre pays et les pays africains en général ont besoin, essentiellement, c’est d’une refondation morale. Les bases morales de nos sociétés sont pourries. Et à tous les niveaux : de l’individu à la famille, de la feuille à la communauté, et de la communauté à la Nation.
Les intellectuels, eux, sont souvent pointés comme des défaillants. Mais force est de reconnaitre que l’intellectuel n’est pas le Messie. Un projet démocratique doit être porté par tous, et selon les modes d’appréciation différents. C’est cela qui permet de conjuguer ensemble. Il est vrai que nos intellectuels posent aussi problème puisqu’ils ont généralement tendance à utiliser leur statut pour accéder à des privilèges, à légitimer des pouvoirs corrompus, et/ou à justifier des décisions impopulaires, voire anti-démocratiques. Ils se muent ainsi en sujets frénétiques et obséquieux. La crise socio-politique que nous vivons, ici au Sénégal en particulier, résulte en partie de tout ce qui est dit. Le système est bloqué dans une démocratie inachevée et dont, pourtant, tout le monde se targue dans l’ignorance qu’on est en train de semer les graines d’un futur chaotique et grave de dangers.
Enfin, la «pensée est morte» pour reprendre le mot de M. Tine. Les marabouts et la classe religieuse dans son ensemble sont discrédités. Ceux qui, hier, étaient capables d’arrêter les hommes politiques n’en sont plus capables aujourd’hui. Ils avaient un crédit moral à présent épuisé. Parce que pris au piège de la manipulation et de l’instrumentalisation par les politiciens. Mais comme on dit, quand on n’a plus de vision d’avenir, le peuple est incontrôlable.
Félix NZALE