Scandale des « Story Killers » en Afrique : une machine à désinformer payée pour influencer les élections présidentielles

par pierre Dieme

L’enquête fait peu de bruit pour le moment. Mais elle révèle l’ampleur de la désinformation et un scandale qui n’épargne pas le continent africain. Dénommée « Story Killers », ses conclusions expliquent comment une agence de désinformation israélienne, dirigée par des anciens de l’armée et ses services secrets, opère dans le monde, notamment en Afrique allant même jusqu’à travailler au report de scrutins électoraux.

A l’aune de l’exploitation des ressources en hydrocarbures ou de la présidentielle au Sénégal, voici une enquête qui devrait faire réfléchir plus d’un. Elle prouve la vulnérabilité des pays africains dans de pareils contextes. C’est une enquête de la cellule investigation de Radio France, avec le consortium Forbidden stories, qui dévoile une vaste campagne de manipulations dont seraient victimes des pays africains. Au cœur du système, une société illégale israélienne et son promoteur « Jorge », chantres de l’intox. Leur crédo : désinformer sur tout et à tout prix pour toucher le pactole. Seuls trois domaines « échappent » à leurs filets de contre-vérités : la politique nationale américaine, la Russie et l’Israël.

Dans les colonnes de l’enquête, le mystérieux « Jorge » révèle que la société en question et son équipe sont « intervenus dans 33 campagnes électorales présidentielles dont les deux-tiers concernent l’Afrique anglophone et francophone. » L’un de ses collègues repris par nos confrères ajoute que « les vingt-sept ont été un succès ».

Un travail de l’ombre mais lucratif. « Pour obtenir le report d’un scrutin dans un pays africain, la société a facturé sa prestation six millions d’euros » découvrent les journalistes d’investigation. Le modus operandi des fossoyeurs de l’information : une recherche et une analyse très profondes pour savoir si le résultat du scrutin aurait des répercussions dans d’autres pays (aux Etats-Unis ou en Europe) pour au final évaluer comment ils peuvent servir les intérêts de leur client. Mais ce n’est pas tout. L’entreprise fantôme place des cibles sur écoute note l’enquête qui a réuni pendant plus de 6 mois une centaine de journalistes travaillant pour une trentaine de rédactions internationales. En effet, pour 50.000 euros, la structure a prêté ses services afin d’espionner des personnes pour semer la discorde au sein des « clans qui contrôlent les leviers du pouvoir ». C’est pourquoi le « Team Jorge » fait appel à des compagnies téléphoniques pour mettre sur écoute des cibles dans le but de provoquer par exemple « des heurts entres généraux et leurs familles ». Du feu attisé également grâce aux réseaux sociaux.

La désinformation à outrance sur la toile
La société basée en Israël a développé tout un système de désinformation numérique. L’enquête de la rédaction investigation de Radio France, avec le consortium Forbidden stories, l’explique. Sur la toile, elle a créé des milliers de faux profils à sa guise pour atteindre ses objectifs. Une plateforme dénommée AIMS « Advanced Impact Media Solutions » que la compagnie a vendue à plusieurs services gouvernementaux de renseignements. Un logiciel redoutable dans la fausseté qui permet de produire des avatars (des gens qui n’existent pas), de faux profils pour influencer les internautes, twittos principalement. Rien qu’en janvier 2023, plus de 39.000 comptes du genre, de profils différents et de nationalités différentes ont été exploités. Les media « classiques » en sont également victimes. Jorge et son équipe peuvent recruter des journalistes au sein des « grands médias » pour faire le boulot. Et pas pour une modique somme.

Selon l’enquête, une publication peut être facturée 20.000 euros au client dont 3.000 seraient réservés au journaliste-complice. En France, une grande chaine comme BFMTV en a fait les frais. Et d’ailleurs son présentateur de JT, Rachid M’Barki, a été suspendu pour avoir diffusé des « informations biaisées et orientées ». Des informations loin de la réalité des choses sur les oligarques russes, le Qatar, le Soudan, le Cameroun, ou encore le Sahara Occidental pour le compte de clients étrangers. Pire, le journaliste en question les aurait passées à l’antenne, à dessein et sans l’avis de la rédaction. Au-delà de la France, le cerveau du système de désinformation « Jorge », un ancien militaire de l’État Hébreu, dispose de contacts dans pratiquement les quatre coins du globe. Un carnet d’adresses fourni qui va sans doute continuer de l’aider à sévir sur le continent africain.

Pape Ibrahima NDIAYE

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