Oui, nous nous sommes lourdement trompés : nous n’aurions jamais dû élire et encore moins réélire l’homme qui est à la tête de notre pauvre pays depuis le 2 avril 2012. Sa seule déclaration de patrimoine devait nous éloigner de sa candidature. Huit milliards de patrimoine pour un candidat à l’élection présidentielle dans un pays qui fait partie des vingt-cinq les plus pauvres et les plus endettés ! Oui, huit milliards qui avaient même retenu l’attention de Monsieur Alioune Ndao, alors Procureur spécial de la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CREI) !
Huit milliards de patrimoine à l’entrée, alors que celui de Jacques Chirac à la sortie, après cinquante-cinq ans de présence au cœur du pouvoir français, tournait autour de 8,3 millions d’euros, soit environ 5 milliards 410 millions de francs CFA. La France faisait alors partie des cinq à six pays les plus développés du monde. Ce qui devait éloigner encore plus les électeurs de ce candidat déjà multimilliardaire, c’est la justification facile qu’il a essayé d’en donner, celle que les milliards lui ont été donnés par le président Abdoulaye Wade. Ce que ce dernier a catégoriquement démenti. Si notre pays n’était pas ce qu’il est, le candidat Macky Sall n’aurait jamais été élu, encore moins réélu, avec ce visage hideux que nous découvrions déjà. Malheureusement il l’a été, et nous avons fait avec.
Nous avons fait avec, douloureusement, mais tout en suivant pas à pas sa gouvernance « sobre, transparente et vertueuse » depuis le 2 avril 2012. Une gouvernance meurtrie, jalonnée de scandales de toutes sortes, aussi graves les uns que les autres, mise en œuvre par un politicien pur et dur qui, sans état d’âme, nourrit et entretient au quotidien la corruption, les détournements de deniers publics, les blanchiments d’argent et autres forfaitures et garantit, partant, l’impunité totale aux hommes et aux femmes qui l’entourent. Ces membres de la famille Kumba am ndey ne se font naturellement pas prier et n’y vont pas de main morte. Le nébuleux contrat d’armement pour un coût de 45 milliards et le dernier rapport de la Cour des Comptes en donnent une toute petite idée. Ces deux scandales, bien que très graves, ne sont que la partie visible de l’iceberg des carnages financiers consubstantiels à la nauséabonde gouvernance de ce président-politicien. Combien de milliards devraient-ils rentrer dans les caisses de l’État si les dizaines et dizaines de rapports gisant sous son coude coupable et la quarantaine de dossiers dormant d’un sommeil profond sur la table du Procureur de la République étaient remis entre les mains d’une justice indépendante ? Les caisses du Trésor seraient également bien remplis, si les vingt-deux (restants) épinglés par la CREI étaient livrés à la même justice.
Combien d’autres, des dizaines voire des centaines d’autres l’État récupérerait-il si les mille (1000) milliards déclarés être investis dans les inondations comme dans ce fameux TER étaient audités ? Il pourrait en gagner bien d’autres s’il auditait les 156 milliards du stade Abdoulaye Wade, les 49 de la réhabilitation du Building administratif Mamadou Dia et du PRODAC, les 45 du contrat d’armement et peut-être de ceux qui l’ont précédés. Il en gagnerait encore beaucoup d’autres s’il auditait la gestion des hommes et des femmes de sa coalition et de sa dynastie, qui gèrent d’importants fonds publics pendant onze longues années, sans avoir jamais fait l’objet d’une seule évaluation, d’un seul audit. Et pourtant, tout le monde ou presque sait, qu’en matière de mauvaise gestion, la plupart d’entre eux/elles n’ont rien à envier à leurs collègues/camarades déjà lourdement épinglés dans des rapports et autres dossiers.
On peut se demander légitimement si ce président ne donne pas le ton dans ce carnage financier jamais puni qui caractérise sa nauséabonde gouvernance. Il serait intéressant de savoir où il en est avec son patrimoine déjà de huit milliards à l’entrée. Il s’était engagé à faire une nouvelle déclaration à la fin de son premier mandat. Plus de quatre ans après, il n’a rien fait. L’oserait-il d’ailleurs ? En tout cas moi, je ne le crois pas du tout. La différence entre les deux patrimoines risquerait d’être énorme. Je ne le crois surtout pas quand il prend la lourde décision, une fois élu, d’aller à Paris renégocier avec Arcelor Mittal, pour nous revenir avec seulement 75 milliards de francs CFA, plutôt que 2500, montant de l’amende décidée en première instance par le Tribunal arbitral de Paris. C’est Papa Diop qui a donné publiquement cette information.
Je le répète donc : nous avons eu tort d’avoir élu et réélu cet homme. En plus de laisser ses prédateurs dilapider impunément nos maigres deniers, il nous a habitués à des pratiques et à des propos parfois malsains, indignes d’un président de la République. En particulier, il n’a aucun respect pour sa parole, pour ses engagements antérieurs. Depuis le 2 avril 2012, il ne fait que le contraire de ce qu’il nous promettait, des nombreux engagements qu’il avait pris et pour lesquels nous lui avions accordé nos suffrages. La détestable transhumance ne s’est jamais mieux portée que sous son immonde gouvernance. On dit qu’il achetait carrément les transhumants sans vergogne.
Contrairement à son engagement à être le président de tous les Sénégalais, il a divisé le pays en deux entités diamétralement opposée : kër Kumba am ndey composée de son parti, de ce qu’on appelle la dynastie Faye-Sall, de sa coalition, et dont les membres peuvent tout se permettre en toute impunité et l’autre, kër Kumba amul ndey, où il suffit de lever le plus petit doigt pour risquer un mandat de dépôt. Les membres de Pastef en savent quelque chose. Lors de sa première comme de sa deuxième prestation de serment, il avait juré de respecter la loi et de la faire respecter, et que tous les citoyens seraient égaux devant cette loi. La réalité est tout autre, et je ne prendrai pas de temps pour en administrer la preuve. Cette réalité, nous la vivons pratiquement tous les jours.
La Constitution lui reconnaît des droits comme elle en reconnaît à l’opposition. Et pourtant, il n’a pas hésité à se fixer publiquement pour objectif prioritaire, « de la réduire à sa plus simple expression ». Ce n’est que dans un pays comme le Sénégal qu’un président de la République peut se permettre de tenir sans risque de tels vilains propos. Et il ne s’est pas contenté de les tenir ; il ne rate aucune opportunité pour les traduire en réalité. C’est dans cette perspective qu’il a modifié à sa convenance le Code électoral consensuel de 1992 sans lequel le Parti socialiste pourrait être encore pouvoir, avec pour objectif de se choisir les candidats qui doivent lui faire face lors de l’élection présidentielle. Il n’y a aucun doute que c’est dans cette logique qu’il tient coûte que coûte, avec son clan, à éliminer Ousmane Sonko de la course vers l’élection présidentielle de février 2024, Ousmane Sonko qui les empêche de dormir.
Il craint, en effet, comme la peste, de se faire succéder par un Ousmane Sonko. Lui comme les grandes gueules du troisième mandat qui l’entourent. La seule modification du Code électoral ne le rassure peut-être pas suffisamment, ni d’ailleurs la fidélité sans faille de l’homme qu’il a nommé à la tête de l’important ministère de l’Intérieur, qui regroupe l’essentiel des services jouant un rôle déterminant dans l’organisation de toutes les élections. Pour ne courir aucun risque, il mobilise « ses » forces de défense et de sécurité ainsi que quelques-uns de « ses » magistrats. Il achète ainsi beaucoup d’armes et recrute des centaines, voire des milliers de gendarmes et de policiers. Partout à Dakar, ce sont des chars, des blindés et autres moyens de défense, avec autour des gendarmes et des policiers lourdement armés. Il est ainsi prêt à mater, au besoin jusqu’au sang, tout mouvement qui s’opposerait à une décision d’un magistrat pouvant conduire à l’élimination d’Ousmane Sonko.
Comme ils (les membres de Bennoo Bokk Yaakaar) sont sûrs de l’issue des deux procès du président de Pastef, ils bombent déjà le torse. « Li fi amoon dóotu fi am », se plaisent-ils à rappeler. En d’autres termes, ce qui s’est passé au Sénégal le 8 février 2021 ne s’y passera plus. Les plus remarqués dans cette histoire ce sont, entre autres, Mame Mbaye Niang et Abdou Mbow. Si c’en est terminé, selon eux, pour des manifestations comme celles du 8 février 2021, ce ne sera point de leur fait. Si ce n’était qu’entre eux Bennoo Bokk Yaakaar et Pastef, ils fuiraient comme des lapins et iraient se cacher quelque part à Dakar ou dans la banlieue, comme ils l’avaient fait le 8 mars 2021 et les jours suivants. Ils ne comptent que sur les forces de défense et de sécurité, comme si elles étaient leurs forces à eux.
Ils n’ont pas tout à fait tort car, depuis quelque temps, ces forces donnent l’impression de n’être au service que du président-politicien et de sa coalition. Ce qui n’a rien de républicain. Elles sont les forces du Sénégal, leur vocation étant d’assurer notre sécurité et non de nous imposer cet homme dont elles n’ignorent rien de la gestion désastreuse de notre pays depuis onze longues années. Elles savent qu’il est entouré d’hommes et de femmes qui dilapident impunément nos maigres ressources de toutes catégories. Elles savent à quel point le président-politicien pur et dur a politisé notre administration et en particulier les régies financières. Il a fait disparaître la compétence et le mérite personnel de ce pays au profit de l’appartenance politique ou de la proximité avec le couple présidentiel. Sous son régime, les valeurs cardinales qui faisaient notre fierté ont terriblement reculé pour laisser la place aux pires des vices. Si elles étaient encore à leur place naturelle, personne ne songerait à un troisième mandat, encore moins à appeler publiquement à le défendre.
Cet homme, personne ne devrait seulement penser à nous l’imposer. Lui qui, réélu dès le premier tour de l’élection présidentielle de février 2019, a osé déclarer qu’il « n’était plus dans le temps des manœuvres » ! Cet homme qui, dans l’affaire Petro-Tim et BP a déjà donné une idée peu rassurante de comment il va gérer notre pétrole et notre gaz, si toutefois sa gouvernance allait au-delà de 2024 (Dieu nous en garde) ! Cet homme, presque toujours flanqué d’un Farba Ngom qui se comporte comme un vice-président ! Cet homme-là, vous n’avez pas le droit de nous l’imposer, vous forces de défense et de sécurité, magistrats, autorités administratives, si toutefois c’était là votre intention. Le pays ne lui appartient pas et, en avril 2024, il aura fait vingt (20) au cœur du pouvoir. Vingt ans avec une gouvernance jalonnée de scandales de toutes sortes, dont le moins grave pourrait lui valoir de gros déboires judiciaires, comme ses deux anciens collègues Ould Abdel Aziz de Mauritanie et Jacob Zuma de la République d’Afrique du Sud.
Dakar, le 9 février 2023