Leurs dangers sur la population et notamment les vieilles personnes, les nourrissons et les asthmatiques…
Les lacrymogènes de la peur et de la discorde – Pour disperser des manifestations non autorisées au Sénégal et, plus généralement, maintenir l’ordre, les forces de sécurité font usage de grenades lacrymogènes.
Il est aujourd’hui admis que les forces de sécurité sont sur armées pour faire face à toutes formes de protestations. Et la première arme dont elles disposent et font usage n’importe où et n’importe comment, c’est bien sûr les grenades lacrymogènes qui sont souvent balancées avec désinvolture non seulement sur les manifestants et autres fauteurs de troubles mais aussi, souvent, à l’intérieur des habitations, établissements sanitaires et lieux de culte. Avant-hier, des élèves de Mbacké, qui protestaient contre le programme scolaire en délogeant les élèves d’autres établissements, ont reçu leurs doses de grenades lacrymogènes. Conséquences, beaucoup de ces jeunes se sont évanouis avant d’être évacuée à l’hôpital. D’où la question de l’usage de cet outil dissuasif sur la population dans un pays fortement pollué où beaucoup de personnes trainent des maladies respiratoires. Le Témoin pose le débat.
Pour disperser des manifestations non autorisées au Sénégal et, plus généralement, maintenir l’ordre, les forces de sécurité font usage de grenades lacrymogènes. Quelle que soit la nature des manifestations ou des protagonistes, les forces de l’ordre ne font pas de quartier. Elles dégoupillent des grenades lacrymogènes qu’elles balancent sur les contrevenants. On se souvient des grenades lacrymogènes jetées sur des internes des hôpitaux à l’intérieur même d’une structure sanitaire ! Les lieux de culte ne sont pas en reste. L’exemple de cette grenade lancée dans la zaouia El Hadj Malick Sy, à Dakar, alors que les fidèles y faisaient leur « khadra » est encore présent dans les mémoires. Devant la fureur du clergé de Tivaouane, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Me Ousmane Ngom, avait dû se rendre dans la capitale de la Tidjanya pour y présenter les excuses du gouvernement. Quant aux habitants de Colobane, dont le malheur est de vivre à proximité du lieu — la Place de la Nation ex-Obélisque— qui accueillent la plupart des manifestations, n’ont cessé de se plaindre de leur exposition à ces grenades qui font pleurer et tousser.
Victimes collatérales, ces habitants de Colobane n’ont cessé de se plaindre. « On prie chaque jour pour qu’une manifestation ne soit pas interdite par les autorités puisque nous sommes toujours les premiers à être exposés aux effets des grenades lacrymogènes. Des malades, des nourrissons et des personnes âgées sont souvent à l’intérieur de nos maisons. Donc les forces de sécurité doivent utiliser ces explosifs avec discernement et éviter de les balancer de façon désordonnée », recommande un notable de Colobane qui a requis l’anonymat. Dans les ruelles des quartiers populaires, où l’on assiste souvent à des courses-poursuites entre manifestants et forces de l’ordre, des innocents sont également souvent victimes. Il n’est pas rare de voir l’odeur âcre des grenades indisposer des personnes qui habitent pour tant loin des théâtres d’opérations. Ce qui revient à dire que tout le monde peut être victime des effets de ces grenades.
Tous les spécialistes contactés par nos soins sont unanimes à reconnaitre le caractère nocif de ces lacrymogènes sur la santé publique. Selon le commissaire Cheikhna Keita, retraité de la police, chaque groupe qui intervient sur un lieu de manifestations comprend des officiers et sous-officiers. Ces derniers tiennent le commandement et jugent de ce qu’il faut faire du point de vue de l’utilisation des moyens dont ils disposent. D’après notre interlocuteur, les fumigènes sont faits pour brouiller la vue, créer une atmosphère insupportable en provoquant la présence de la fumée. Autrement dit, les lacrymogènes sont faits pour gêner les gens dans leur respiration et leur vue afin de faciliter la dispersion des foules. « Maintenant, on peut ne pas avoir le but qu’on cherche avec des moyens. Et on se dit qu’on ne va pas l’atteindre ou on va nuancer. Y a pleins de types de grenades qui ont pour objet de provoquer de la gêne chez l’individu. C’est fondamental que les gens se dispersent d’eux-mêmes, plutôt que de recevoir des coups. Le besoin n’est pas de les tuer ou de les blesser mais de les gêner dans leur comportement et leurs attitudes. C’est aussi d’isoler un secteur en faisant de sorte que ceux qui l’occupaient ne l’occupent plus », explique le commissaire de police à la retraite Cheikhna Keita.
D’après lui, il y a forcément des conséquences pour les asthmatiques exposés à ces fumées. L’ancien cadre de la police estime cependant que ces personnes doivent engager leurs responsabilités. « Ces fumigènes peuvent gêner la respiration, faire étouffer ou quelque chose comme ça. C’est un accident qui arrive à un sur dix mille. L’échelle est tellement énorme qu’on ne peut pas dire que les gens sont venus là pour tuer ou pour blesser. En général, on peut faire toute une série d’interventions pendant un mois, jeter des grenades et personnes n’en meurt. Les lacrymogènes sont faites pour disperser les foules. On gêne les manifestants en leur faisant verser des larmes, couler leurs narines, faisant en sorte qu’ils ne voient pas bien. Et ça, c’est technique et c’est un moindre mal. On utilise principalement des fumigènes et des lacrymogènes mais il y a des multitudes de types de lacrymogènes », précise-t-il.
Cependant, avertit l’ancien commissaire, ceux qui sont malades gagneraient à ne passe retrouver dans des foules et doivent éviter de s’exposer. Car, estime-t-il, le contact avec les lacrymogènes pourrait provoquer des conséquences sanitaires. « On peut manifester sans résister. On peut manifester sans faire de la violence. Quand la manifestation est régulière et ordonnée, on n’a pas besoin de résister comme c’est en vogue. C’est un droit, on l’exerce dans le cadre des lois et règlements qui l’encadrent », a tranché commissaire Keita.
Quant au Dr Racine Thiam, pneumologue, il renseigne qu’à la base, la fumée de la grenade lacrymogène, c’est quelque chose d’irritant qui n’est pas censé être respiré. La configuration de la muqueuse bronchique n’est pas adaptée pour respirer tout type de gaz. Selon le pneumologue, une personne ayant une altération de sa muqueuse bronchique de base est beaucoup plus sensible lorsqu’elle respire des gaz irritants qu’une autre qui n’a aucune pathologie sur le plan respiratoire.
Généralement, insiste Dr Racine Thiam, les asthmatiques ne sont pas plus exposés que les autres mais ils ont déjà une mycose bronchique anormale qui est le siège d’une inflammation chronique. Donc, être exposé à ces gaz irritants peut induire à des crises d’asthme très sévères qui peuvent conduire à des hospitalisations en réanimation ou autres. L’utilisation de ces gaz irritants quel que soit le motif n’est pas l’idéal. Elle expose les personnes à l’inhalation de gaz très nocifs, très irritants sur les voies respiratoires. «Au cas où un sujet subit cette inhalation, on propose un plan d’action en cas de crise ou, si les choses ne s’améliorent pas, on propose d’aller aux urgences », explique le pneumologue.
Ainsi, Dr Racine Thiam recommande aux personnes asthmatiques d’éviter de s’exposer à ces gaz lacrymogènes. Pour cause, ce sont des produits très irritants qui entraînent une inflammation aiguë des voies aériennes supérieures. Sur le plan des symptômes, indique-t-il, ce n’est pastrès agréable et une exposition répétée ou chronique peut avoir des conséquences respiratoires, un remodelage de la mycose bronchique.
Zaynab SANGARÈ