S’il promet d’user de tous les moyens à sa disposition pour résister aux tentatives de musellement, le leader Pastef/Les patriotes voit l’étau se resserrer autour de lui
De l’histoire politique du Sénégal, rarement un homme a été persécuté comme Ousmane Sonko. De sa radiation comme agent de l’État aux procès qui menacent de le rendre inéligible aux prochaines joutes électorales, le leader de Pastef/Les patriotes est dans le collimateur d’un régime dont les tentatives de musellement contre sa personne l’ont plus renforcé. Face à l’incertitude des affaires juridiques, politiques et morales qui le vise, d’autres alliances se nouent pour parer à toute éventualité de voir le maire de Ziguinchor accéder à la fonction présidentielle en 2024. L’important, pour ses adversaires, connus et masqués, reste une vérité immuable : le tout sauf Sonko. Même si, pour cela, il faut renouer des relations que l’on pensait perdues à jamais.
Ce n’est peut-être pas sous Macky Sall que l’on voyait Karim Wade et Khalifa Sall revenir dans le jeu électoral. Mais c’est bien le chef de l’État, lors du premier Conseil des ministres du gouvernement d’Amadou Ba, qui a demandé au ministre de la Justice ‘’d’examiner dans les meilleurs délais les possibilités et le schéma adéquat d’amnistie pour des personnes ayant perdu leurs droits de vote’’.
Depuis, Ismaïla Madior Fall s’est exécuté. Le garde des Sceaux a déjà livré le projet de loi de réintroduction, qui ne cite pas les deux ténors du paysage politique, mais dessine les schémas possibles pour le retour des bannis du fichier électoral.
Ancien conseiller puis ministre de son père l’ex-président de la République Abdoulaye Wade, Karim Wade a été condamné, en 2016, à 6 ans de prison ferme et à 138 milliards F CFA d’amende pour ‘’enrichissement illicite’’.
Quant à Khalifa Sall, ancien Maire de Dakar, il a été condamné à une peine de 5 ans de prison ferme, assortie d’une amende pénale de 5 millions F CFA. Tous les deux ont, par le biais de ces condamnations judiciaires, perdu leurs droits civiques et leur éligibilité.
Malgré des procès censés rendre justice au peuple sénégalais, aucun des deux n’a payé les sommes pour lesquelles ils ont été poursuivis. En lieu et place, ils ont bénéficié de grâces présidentielles, sans pour autant retrouver leur droit de participer à l’élection présidentielle de 2019. Des faits allant dans le sens de renforcer les visées politiques de leurs condamnations.
Il y a quatre ans, la situation avait profité au président de la République qui a obtenu sa réélection au premier tour, contre quatre candidats. Aujourd’hui, face à la menace Sonko, adulé au sein de la jeunesse, la réintroduction possible de Karim Wade et Khalifa Sall augure d’une redistribution des cartes parmi les forces en présence. Une manière plus subtile d’arriver à écarter le leader de Pastef des allées vers le palais de la République par des manœuvres politiques.
En effet, ce plan a l’avantage de porter un grand coup à l’intercoalition électorale qui a fait vaciller le pouvoir lors des deux dernières élections (Locales de janvier et Législatives de juillet 2022). Karim Wade et Khalifa Sall se sont alliés à Ousmane Sonko pour gagner la majeure partie des grandes villes du Sénégal et imposer une quasi-cohabitation parlementaire à l’Assemblée nationale. Le retour en selle des premiers nommés viendra réveiller les ambitions personnelles et partisanes, grâce au mirage d’accéder au fauteuil présidentiel.
Cette prémonition est d’autant plus à considérer qu’avec ses anciens camarades libéraux, Macky Sall a habitué les Sénégalais à des surprises. Ce fut le cas lors de la grâce accordée à Karim Wade et, plus récemment, avec la nomination d’Idrissa Seck à la tête du Conseil économique, social et environnemental (Cese). L’ancien Premier ministre sous Abdoulaye Wade entérinant ainsi sa décision de rejoindre la majorité, après avoir terminé deuxième à l’élection présidentielle de février 2019.
Rapprochement entre BBY et Wallu
Selon certaines indiscrétions, le président de la République a envoyé des émissaires au candidat annoncé pour le Parti démocratique sénégalais (PDS), leader de la coalition Wallu Sénégal. Beaucoup de choses vont dans le sens d’une possible collaboration entre Wallu Sénégal et Benno Bokk Yaakaar autour du pouvoir. Bien qu’ayant réitéré son ancrage dans l’opposition dure, au lendemain des bonnes performances lors des Législatives, la coalition a pris ses distances avec ses alliés de Yewwi Askan Wi. Deux faits pour en témoigner sont le refus de voter la motion de censure introduite par Yewwi contre le gouvernement d’Amadou Ba et l’adhésion à la déchéance d’Aminata Touré de son mandat de député lancée par la majorité.
Reste que pour éviter la perte du pouvoir par les libéraux, le rassemblement de la grande famille libérale est toujours dans un coin de la tête du pouvoir. Souleymane Ndéné Ndiaye, Pape Samba Mboup, Serigne Mbacké Ndiaye, Abdoulaye Baldé, Oumar Sarr, Pape Diop. Il ne reste pratiquement plus que les leaders du PDS, Abdoulaye Wade et Karim Wade, pour une recomposition des libéraux autour de Macky Sall. Une réelle possibilité au cas où une troisième candidature du président de la République ne passerait pas auprès du Conseil constitutionnel.
Dans une opposition qu’il avait promis de réduire à sa plus simple expression, Macky Sall n’a jamais fait face à un candidat aussi dangereux qu’Ousmane Sonko pour la prochaine élection présidentielle. Ce qui a peut-être marché pour les cas Khalifa Sall et Karim Wade ne marchera peut-être pas pour le maire de Ziguinchor. Son arrestation, en mars 2021, a provoqué l’une des émeutes les plus violentes de l’histoire du Sénégal, avec 14 morts enregistrés.
Malgré cela, les soucis judiciaires ne sont toujours pas évacués pour le leader de Pastef/Les patriotes. Son procès pour des accusations de viol a été renvoyé devant la chambre criminelle, au moment où un autre procès pour une accusation de diffamation l’oppose à un des hommes forts du régime, Mame Mbaye Niang. À chaque étape de son opposition avec le pouvoir, les Sénégalais retiennent leur souffle.
Une seule question reste valable : jusqu’où pourrait mener le pays l’invalidation de la candidature de l’idole de toute une jeunesse ? Le seul adversaire politique du régime pour lequel le peuple s’est mis sur la route des institutions judiciaires.
Lamine Diouf