Selon que vous serez un opposant français ou sénégalais poursuivi pour diffamation dans l’Hexagone ou à Dakar…
Ceux qui s’attendent à voir Ousmane Sonko ce jeudi à la barre du tribunal correctionnel de
Dakar devront sans doute prendre leur mal en patience. Attrait devant cette juridiction par le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, qui l’accuse de l’avoir diffamé en disant qu’il
avait été épinglé par l’Inspection générale d’Etat (IGE) pour sa gestion lorsqu’il dirigeait le PRODAC (Programme des domaines agricoles communautaires), le leader de Pastef peut choisir de ne pas se présenter demain. Et il n’aurait en rien violé la loi. Parole du « Témoin » qui reste à ce jour le journal le plus poursuivi pour diffamation dans ce pays ! Et qui, donc, connaît cette procédure comme sa poche au point d’avoir pu parfois conseiller ses propres avocats! Sans préjuger du fond de cette affaire, ce que nous pouvons affirmer ici c’est que, s’agissant d’une affaire de diffamation portée devant la juridiction de jugement par le biais d’une citation directe, le prévenu, ou la partie défenderesse,
n’est pas tenu de se présenter à la barre lorsque l’affaire est appelée pour la première fois. En effet, le jour de cette première audience, le juge fixe le montant du cautionnement à verser par la partie civile et renvoie le procès à une autre date.
Le dossier ne peut être valablement retenu que lorsque ce cautionnement obligatoire s’agissant d’une citation directe est versé. Ce n’est qu’après que l’affaire peut être jugée. Et même là, le prévenu peut demander plusieurs renvois. Il nous est arrivé, de renvoi en renvoi, d’être jugés souvent six mois voire un an après la première évocation d’une affaire ! Tout dépend des talents procéduriers, ou manœuvriers, des avocats, de leur disponibilité, de l’engorgement du
rôle, de l’importance de l’affaire (le nombre d’avocats peut être tel, par exemple, qu’il faille programmer une audience spéciale), de la bienveillance des juges qui peuvent accorder des renvois autant de fois que souhaité etc. Autant de choses qui font que, sauf accélération exceptionnelle de la cadence due à la personnalité du plaignant ou enjeux extrajudiciaires comme une volonté de faire juger et condamner en mode fast-track un sérieux candidat à la présidentielle, l’affaire Mame Mbaye Niang/Ousmane Sonko
pourrait être partie pour durer.
Le procès en diffamation, un piège…
Cela dit, même si le procès devait se tenir dans un an, le prévenu, lui, est tenu de notifier ses moyens de preuve à la partie adverse et au procureur de la République dans un délai de dix jours. C’est ce qu’on appelle l’exceptio véritatis ou preuve de la vérité des faits. S’il les donne après ce délai, ne serait-ce que le 11ème jour, il est déchu de la possibilité qui lui est offerte de fournir ses preuves.
Et peut être sûr, donc, d’être condamné le jour de l’audience car n’ayant pas pu prouver la véracité du fait réputé diffamatoire ! Encore une fois, il importe peu, à ce moment-là, qu’il dispose de preuves solides, le simple fait de ne pas les avoir communiqués dans le délai étroit qui lui est accordé entraîne sa condamnation. Ce qui fait que le procès en diffamation au Sénégal est un piège au quel bien peu peuvent échapper s’ils sont attraits devant nos tribunaux. Ousmane Sonko dispose d’avocats comme Me Koureyssi Ba, Ciré Clédor Ly, Demba Ciré Bathily qui ont l’habitude de plaider des dossiers de diffamation. Cela dit, s’il n’a pas produit ses moyens de
preuves à temps, nous lui souhaitons bien du plaisir ! Mais bon, si c’est le cas, ses conseils pourront toujours plaider la bonne foi…
S’il vivait dans un pays comme la France, Ousmane Sonko pourrait même ne pas comparaître face à Mame Mbaye Niang et il ne lui arriverait rien. Mais ici, avec Ismaïla Madior Fall qui rêve par tous les moyens de le disqualifier pour la présidentielle de 2024 afin de faire plaisir à son chef, gare ! Preuve qu’il aurait pu traiter cette plainte par-dessus la jambe s’il était en France, cet article daté du mercredi 04 janvier dernier que nous avons lu dans le « Canard Enchaîné » et concernant Jean-Luc Mélenchon.
Dans ce papier intitulé « Mélenchon : dix ans c’est long », on peut lire ceci : « Ça y est le camarade Meluche jette l’éponge. Il se désiste d’une procédure en appel contre un ex-journaliste du « Monde » d’origine brésilienne, Paulo Paranagua, qu’il poursuit de sa vindicte obsessionnelle depuis
dix ans. En le traitant régulièrement de « tu€ur repenti » et de « provocateur » sur son blog depuis 2012 tout en se dérobant sans vergogne à ses assignations en diffamation, ce qu’il a fait une demi- douzaine de fois… » On ne voit guère Ismaïla Madior Fall et son procureur permettre à Sonko de se dérober à l’assignation en « diffamation » de Mame Mbaye Niang autant de fois sans envoyer la force publique le quérir ! Or, encore une fois, il en aurait bien le droit.
Si Sonko avait la chance d’être jugé…
Mais continuons avec le papier du « Canard » : « Ex-militant d’extrême gauche actif au Brésil puis
passé par l’Argentine, où il a été emprisonné et torturé entre 1975 et 1977, réfugié et France et de-
venu journaliste, Paulo Paranagua avait à ses (Ndlr, Mélenchon) yeux le tort d’écrire des articles trop critiques et informés sur Hugo Chavez et Fidel Castro… Dans une première procédure en diffamation, Mélenchon, qui n’a pas répondu aux convocations pendant trois ans (c’est nous qui soulignons !), a fini par user les juges, qui, de guerre lasse, ont prononcé un non-lieu ». N’en jetons plus.
En France, les juges de la 17ème chambre correctionnelle de Paris, spécialisé dans les affaires de diffamation, ne se sont pas émus
outre mesure du fait qu’un leader de l’opposition, Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise, n’a pas voulu déférer à ses convocations pour un procès en diffamation. Gageons que leurs collègues sénégalais des chambres correctionnelles du tribunal de grande instance de Dakar ne feront pas preuve de la même mansuétude à l’égard du dangereux opposant Ousmane Sonko, poursuivi lui aussi pour « diffamation » !
Ah, nous allions oublier : Ayant recommencé ses attaques contre Paranagua, Mélenchon s’est vu une nouvelle fois traîner en justice pour diffamation. Après deux absences, il a fini par comparaître. Jugé, il a été condamné à 1000 euros (650.000 francs CFA !) de dommages et intérêts et 3000 euros (deux millions CFA) de frais de justice. Dire que Mame Mbaye Niang réclame des milliards pour son honneur. Comme diraient les avocats, il veut battre monnaie.
Ah, si Sonko avait la chance d’être jugé par les magistrats de la 17ème chambre correctionnelle de Paris !
Christian SENE, LE TÉMOIN