À feu Khasset Cissokho

par pierre Dieme

Il y a parmi nous, et souvent au dessus de nous, des êtres imperméables à la honte. Insensibles au regret ! Est-ce prudent et raisonnable de confier nos sorts à de tels personnages ?

Ô pays, mon beau peuple! »

J’emprunte volontiers ce titre d’un roman peu connu d’Ousmane Sembene, paru en 1957. Écrivain et cinéaste autodidacte, pêcheur en Casamance dans sa prime jeunesse, maçon, puis Docker au port de Marseille dans les années 56-57. Ousmane Sembene est un auteur prolifique, dont chaque œuvre retrace un pan de l’histoire de notre pays. Par l’écrit et par l’image, il aura laissé à la postérité une marque indélébile. De son temps, et jusqu’il n’y a pas si longtemps, écrire et agir voulaient dire la même chose… Strictement. D’ailleurs, la vie entière d’Ousmane Sembene résume le film de la tragédie de l’Afrique et, plus particulièrement du Sénégal qui tâtonne et se cherche, vainement. Par la faute de leaderships défaillants ou peu inspirés, voire malveillants ! Conséquence : ceux qui auraient dû prendre les rênes du pays, et du continent pour leur clairvoyance et leur sincérité, sont confinés aux oubliettes par ceux qui ont une vision floue de l’Histoire, atteints d’une cécité cognitive qui renverse les priorités et sublime les avatars.

«Ô Pays, mon beau Peuple !» Pour dire, à gorge déployée et en chœur avec toute la jeunesse et le peuple du Sénégal tout entier, notre exigence ici et maintenant, de l’urgence de remettre de l’ordre dans notre pays, le Sénégal !

Promesses trahies, trahisons assumées sans vergogne, dires et dédits, mensonges et affabulations, sont devenus un art de vivre au lieu d’un pis-aller déshonorant. La honte ne tue plus. Les outranciers paradent et les braves gens souffrent en silence leur incapacité à se regarder dans le miroir de la lâcheté, au carnaval des bonimenteurs.

Heureusement qu’il y a la VAR ! Tous les menteurs sont connus, désormais reconnus ! Leurs paroles d’hier et leurs verbiages d’aujourd’hui les confondent au tribunal de l’Histoire. On se partage, à grandes échelle, les flux cathodiques et numériques des histoires de petites gens qui parlent tellement faux qu’ils finissent par s’en ligoter les chevilles. Mais ils n’en n’ont cure ! Ils sauteront, au besoin pieds joints, dans toute nouvelle aventure salvatrice pour piétiner leurs amitiés reniées au profit de nouvelles subordinations… intéressées. Sans mémoire, la conscience n’existe pas.

Mais les oublieux du présent sont… à présent (!) assiégés par la VAR. La mémoire numérique et audiovisuelle qui les traque et les matraque sans répit. Mais sans mémoire, ni conscience, comment éprouver de la honte, ce sentiment si généreux et pudique quant au fond, qu’il dit le regret et la peine ?

Or, il y a parmi nous, et souvent au dessus de nous, des êtres imperméables à la honte. Insensibles au regret ! Est-ce prudent et raisonnable de confier nos sorts à de tels personnages ?

Le temps est venu de nous regarder, les yeux dans les yeux, et de rendre la Justice par des justes ! Ceux dont la conscience n’est pas alimentaire mais davantage spirituelle. Cette conscience qui nous élève et nous exhausse de la fange pestilentielle des lâchetés immédiates. Cette conscience qui scrute les horizons imprescriptibles de l’Ultime Jugement !

Et pourtant !

Le Sénégal est un pays riche ! De ses femmes et de ses hommes qui ont toujours su négocier les virages périlleux pour remettre à flot notre pirogue. Je tiens de cette certitude la foi que rien, ni personne, ne pourra mettre en péril ce pays en forme de tête de lion à la proue de l’Afrique occidentale, quasiment à égale distance entre l’Europe et les Amériques. Je dis bien, nul ne fera chavirer notre pirogue, le Sénégal ! À Dieu ne plaise !

«Il n’y a pas de destins forclos, il n’y a que des responsabilités désertées » aimait nous rappeler mon neveu Le poète et philosophe Hamidou Dia. Qu’Allah lui renouvelle Ses Grâces et Sa Miséricorde Infinie.

Pour lui, pour le Camarade Khasset Cissokho, militant intransigeant, courageux et désintéressé, pour l’avènement d’un Sénégal nouveau et de progrès, et qui sera rendu à la terre en ce vendredi, l’interpellation de Frantz Fanon dans les dernières lignes du livre Les damnés de la terre :

«Allons camarades, il vaut mieux dès maintenant changer de bord. La grande nuit dans laquelle nous fûmes plongés, il nous faut la secouer et en sortir. Le jour nouveau qui déjà se lève doit nous trouver fermes, avisés et résolus». Frantz Fanon, Les damnés de la terre.

A tous les survivants en

sursis, Jummah Mubaaracka !

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