ENQUÊTE – Un an après son inauguration, le TER de Dakar exploité par la SNCF est très en retard sur ses objectifs financiers mais aussi de fréquentation. Tour d’horizon d’une cacophonie comme seule la France en a le secret.
Il y a un an, la SNCF ouvrait à Dakar le premier TER africain. Guillaume Pepy, l’ancien patron de la SNCF, avait en effet un objectif : réaliser à l’international 30% du chiffre d’affaires de la maison SNCF. La réalisation fut menée en un temps record après l’abandon de la RATP qui convoitait également ce réseau dakarois. C’est qu’Élisabeth Borne, à l’époque à la tête de la RATP, espérait faire de ce projet sa vitrine dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, d’autant plus que la régie n’exploitait aucun TER en France. Une ambition non poursuivie par celle qui lui a succédé à la tête de la Régie. Mais le train dakarois s’avérait tout aussi important pour les projets d’expansion de la SNCF en Afrique et dans les pays émergents. Dans un courrier commun daté du 13 novembre 2015 que Le Figaro a pu lire, Élisabeth Borne et Guillaume Pepy vantaient chacun les mérites et le savoir-faire de leurs entreprises respectives auprès du président sénégalais Macky Sall. La SNCF se retrouvant seule, elle a aussitôt créé sur place la SETER (Société d’exploitation du TER) appartenant à 100% à la SNCF et adossée à une coquille vide appelée « SNCF International » dirigée par Diego Diaz. En seulement trois ans, les équipes de la SETER vont procéder au lancement de ce train reliant Dakar à Diamniadio. Selon les prévisions de la société, la ligne transporterait 100.000 passagers par jour, et trouverait son équilibre financier au bout de trois ans. Et, à la suite à ce contrat de pré-exploitation, un nouvel engagement pour trois ans aurait dû suivre.
Jean-Pierre Farandou, le nouveau patron de la SNCF a pourtant voulu durcir les conditions du nouveau contrat. Le président de la SETER Stéphane Volant, Franco-sénégalais et ancien secrétaire général de la SNCF s’y est opposé. Il a été immédiatement remercié, pour être remplacé par Pierre Boutier ancien directeur territorial Occitanie, sans que le gouvernement sénégalais n’ait son mot à dire. Dans un courrier du 12 mai 2022 adressé à Jean-Pierre Farandou, le ministre sénégalais des infrastructures et des transports terrestres Mansour Faye contestait la légalité de cette nomination, car, disait-il, elle enfreignait« les articles 29, 30 et 31 des conditions générales». Ce courrier fut l’équivalent d’une déclaration de guerre entre le Sénégal et la SNCF. D’autant qu’au terme de cette première période avec ce nouveau dirigeant, la SETER affichait des résultats bien en deçà des prévisions : les voyageurs n’étaient pas au rendez-vous. Les licenciements se sont enchaînés à la SETER, dont celui de son directeur général Frédéric Bardenet. La SNCF ayant rencontré des difficultés à trouver son successeur parmi son personnel, elle a pris la décision de confier l’intérim de ce poste à deux intervenants extérieurs, Patrick Tranzer et Marc Burger. Ces derniers, malgré leur manque d’expérience significative dans le ferroviaire, facturent leur prestation à hauteur de 84.000 euros par mois via Valtus Transition. Sans compter les frais externes : chambre à demeure à l’hôtel Pullman pour l’un, et allers-retours hebdomadaires vers Nouakchott pour l’autre.
Contractuellement, le déficit de la SETER est à la charge de l’État sénégalais. Mais, en raison de la situation internationale et de la forte augmentation du prix des matières premières, celui-ci s’est retrouvé en difficulté et a multiplié les retards de paiement. Le ton a lors continué de se durcir. Dans un courrier du 24 juin 2022, adressé au ministre des transports, Pierre Boutier et Diego Diaz insistent sur la nécessité de signer le contrat sur trois ans (le contrat de pré-exploitation prenant fin) « pour percevoir les sommes dues à hauteur de 25,78 milliards de Francs CFA TTC » et pour éviter, poursuit le courrier, « une dégradation inévitable du service ». La menace d’interrompre les circulations en cas de non-paiement est à peine voilée. Dès lors, la presse locale va faire ses choux gras de la guerre entre la SNCF et Sénégal. « Le déraillement général », titre Libération le 05 août, « le TER vire au rouge » pour le Quotidien le 2 août, « la direction générale déraille encore» … Et pour ne rien arranger, la presse s’est aussi emparée de l’affaire de la mise en demeure de la Commission pour la protection des données personnelles à la suite de la requête faite par le responsable comptable Lamine Camara qui a aussitôt été, lui aussi, remercié. « La situation est de plus en plus délétère » écrit à nouveau Libération le 22 septembre.
Profitant de cette situation inextricable, la société Meridiam fait alors une offre spontanée de reprise des activités à travers une concession sur 25 ans, assumant ainsi l’entier déficit des premières années. Cette entreprise française a par ailleurs été choisie par le Sénégal pour mener à bien le projet de Bus à haut niveau de service en cours à Dakar. Un véritable « irritant » pour les consultants de la SNCF qui ont multiplié les allers retour entre Paris et la capitale Sénégalaise pour tenter d’imposer leurs conditions à l’État sénégalais. « Avec arrogance », n’a pas manqué de souligner un membre du cabinet du premier ministre rencontré sur place.
Vu coté sénégalais les principaux points d’achoppement de ce nouveau contrat étaient la remise en cause par la SNCF de sa garantie « maison mère », son refus de faire entrer au capital le fond souverain Sénégalais Fonsis, sa demande d’une garantie de subvention pendant trois ans et son manque d’entrain à nommer un président sénégalais.
Pour ne pas risquer de perdre le contrat, Jean-Pierre Farandou a tenté le tout pour le tout et s’est envolé lundi dernier pour Dakar en compagnie de Muriel Signouret et Diego Diaz. L’ambassadeur de France a pu organiser en dernière minute un rendez-vous non prévu à l’agenda du Président Macky Sall. Pendant une grosse demi-heure, les deux hommes ont tenté de trouver un «terrain d’entente», qui se révèle n’être pas à l’avantage du Sénégal. Cet accord reste encore à formaliser avec le blanc sein du conseil d’administration de la SNCF, qui n’a pas répondu aux sollicitations du Figaro. Mais surtout celui de la Commission des marchés public sénégalaise très jalouse de son indépendance. Reste le fond du problème : à savoir améliorer le service et faire venir des voyageurs pour que ce TER n’ait plus besoin d’argent public pour rouler. Or rien dans le nouveau contrat pousse l’opérateur SNCF à améliorer ses résultats. Bref, le projet TER de Dakar servira, sans doute, de modèle aux régions françaises pour négocier plus et mieux avec la SNCF. Sans se laisser impressionner.
Par François Delétraz
Le Figaro