Ces faits qui fragilisent les arguments du pouvoir sur la déchéance de Mimi Touré

par pierre Dieme

La disposition constitutionnelle brandie par la majorité pour déchoir Aminata Touré de son mandat de députée ne saurait lui être applicable. D’autant qu’elle n’a jamais déposé une lettre ou annoncé sa démission ni de l’APR ni de la coalition BBY

L’ancien Premier ministre, Aminata Touré, qui n’était plus en odeur de sainteté avec le régime en place depuis sa mise à l’écart du poste de présidente de l’Assemblée au profit d’Amadou Mame Diop, le 12 septembre dernier, a été finalement déchue de son mandat de député. Pour justifier leur décision, des responsables du régime en place convoquent les dispositions de l’article 60 de la Constitution mais aussi la pratique parlementaire avec les cas du professeur Issa Sall du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur), de Mbaye Ndiaye et de Moustapha Cissé Lô, membres du parti au pouvoir, l’Apr. Seulement, la lecture comparée de ces différents cas évoqués avec celui d’Aminata Touré laisse entrevoir un grand fossé.

Le régime en place a finalement obtenu gain de cause dans le bras de fer qui l’oppose à l’ancien Premier ministre, Aminata Touré, depuis le 25 septembre, jour où elle a annoncé sa démission du groupe parlementaire de la majorité, Benno Bokk Yakaar à la suite de sa mise à l’écart à la dernière minute, le 12 septembre dernier, du poste de présidente de l’Assemblée au profit d’Amadou Mame Diop. En effet, saisi d’une demande signée par le Secrétaire administratif national du parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (Apr), Augustin Tine, introduite par Oumar Youm, président du groupe parlementaire Benno bokk Yakaar, le bureau de l’Assemblée nationale s’est réuni en urgence le mardi 24 janvier dernier et a voté à la majorité de 10 membres la destitution de Mme Aminata Touré. Interpellés sur cette décision qui va désormais permettre au régime en place de retrouver la majorité absolue de 83 voix sur 165 sièges de l’Assemblée nationale qu’elle avait perdue à cause de la dissidence de l’ancien Pm, Me Oumar Youm, président du groupe parlementaire de la majorité et son collègue et camarade de parti, Abdou Mbow par ailleurs président de la Commission des lois, ont jugé conforme à la loi cette mesure. Pour justifier leur argumentaire, les deux parlementaires de la majorité évoquent les dispositions de l’article 60 de la Constitution et la pratique parlementaire en citant entre autres, les exemples du professeur Issa Sall du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur), de Mbaye Ndiaye et de Moustapha Cissé Lô membres du parti au pouvoir, l’Apr. Seulement, une lecture comparée de ces différents cas évoqués par des membres du régime en place dont notamment Me Oumar Youm et son camarade de parti, Abdou Mbow pour justifier le coup de force contre Mme Aminata Touré laisse entrevoir un grand fossé avec ces cas.

L’interprétation de l’article 60 de la Constitution

Interpellé par nos confrères de la Rfm (privée) sur la base légale de l’éviction de sa collègue, Aminata Touré, de son siège de député, Abdou Mbow par ailleurs, président de la Commission des Lois a convoqué les dispositions de l’article 60 de la Constitution. Lequel article stipule qu’« un député qui quitte son parti est automatiquement déchu de son mandat ». Il est donc clair que cette disposition de la Constitution qui parle de démission ne peut être applicable à Aminata Touré qui n’a jamais déposé une lettre ou annoncé sa démission ni du parti de l’Apr ni de la coalition Benno Bokk Yakaar dont elle a été d’ailleurs la tête de liste aux dernières élections. Le seul acte qu’elle a posé depuis le 12 septembre, jour où elle a été écartée de la présidence de l’Assemblée nationale par le chef de l’Etat au profit de l’actuel président, Amadou Mame Diop, a été sa démission du groupe parlementaire de la majorité pour devenir une députée non-inscrite. On voit bien que ce cas n’entre pas dans le champ d’application de l’article 60 de la Constitution.

 Issa Sall déchu de son mandat pour avoir créé son parti

Autre argument brandi par le régime en place pour justifier la déchéance du mandat de député de l’ancien ministre de la Justice, Aminata Touré, au-delà des dispositions de l’article 60 de la Constitution, c’est le cas du député et ancien coordonnateur du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur), Issa Sall. Seulement encore, les deux cas ne semblent pas identiques. Et pour cause, la lettre introduite par le Pur pour demander la révocation du mandat de son ancien coordonnateur fait suite à la décision d’Issa Sall de lancer son propre parti politique. En effet, élu sur la liste du Pur, Issa Sall a été par la suite rétrogradé au sein de cette formation politique par Serigne Moustapha Sy, président d’honneur dudit parti à la suite d’un différend aggravé par sa décision de prendre part au lancement du dialogue national, le 28 mai 2019, contre le gré du guide des Moustarchidines. En réaction à cette mesure du guide des Moustarchidines, l’ancien candidat du Pur à la présidentielle de 2029 a procédé au lancement de son propre parti : Parti de la paix, de l’éthique et de l’équité (Ppee). Un acte qui fait de lui un député démissionnaire de son parti d’origine, le Pur.

La réhabilitation de Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lo, une jurisprudence qui aurait coûté 327 millions au contribuable sénégalais

Au-delà de ces cas, les responsables du parti au pouvoir, l’Apr évoquent également la destitution de Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lô en 2008 comme jurisprudence pour essayer de justifier leur coup de force contre Mimi Touré qui se distingue par ses sorties contre la 3e candidature de l’actuel chef de l’Etat en 2024. Comme pour les autres cas revus un peu plus haut, ce dernier exemple est difficilement comparable au cas de Mimi. Et pour cause, exclus de l’Assemblée nationale par le régime libéral du Pds en 2008 pour avoir osé ramer à contre-courant de la volonté du président Wade, qui voulait faire débarquer Macky Sall de son poste de président de l’Assemblée nationale, ces deux parlementaires en question ont été réhabilités et semblent même être dédommagés par le régime en place.

En effet, après l’installation de la douzième législature, les responsables du parti au pouvoir qui avaient dénoncé à l’époque cette décision du président – Wade et son régime avaient annoncé leur volonté de réhabiliter non seulement leurs deux camarades de parti mais aussi leur restituer 40 mois d’indemnités et avantages parlementaires. Invité sur un plateau d’une télévision de la place, Me El haji Diouf également député de la douzième législature a révélé que les deux responsables du parti au pouvoir ont touché à leur rappel. Quelques jours après, Moustapha Cissé Lo est monté au créneau lui-même non pas pour démentir cette information mais pour essayer de justifier 163.500.000 francs CFA qu’il aurait reçus et qui, selon lui, sont repartis entre « 63.500.000 représentant le cumul de mes soldes et le carburant et 100.000.000 de Francs CFA d’indemnisation pour la parole de député qu’ils m’ont privée ». Autrement dit, c’est près de 327 millions qui ont été dépensés pour réparer cette décision qu’ils avaient dénoncée à son temps et qu’ils veulent aujourd’hui convoquer comme jurisprudence.

Quand le régime avait ferme les yeux sur le cas de Diagne Fada !

La preuve, en 2015, Modou Diagne Fada, président du groupe parlementaire « Libéraux et Démocrates » depuis 2012 qui était en conflit ouvert avec la direction du Parti démocratique sénégalais (PDS) a pu, avec la complicité du régime en place, rester à son poste jusqu’ à ce qu’il prenne lui-même la décision de partir en 2016. S’exprimant lors d’une conférence de presse, il a annoncé qu’il « quitte le Pds, mais restera membre du groupe parlementaire démocratique et libéral ». Cette annonce avait à l’époque poussé plusieurs observateurs de la vie politique sénégalaise dont l’avocat et ancien président de la Commission des Lois, Me Abdoulaye Babou, à monter au créneau pour dire sur la base de cette article 60 de la Constitution « qu’il devrait perdre de facto son mandat » de député suite sa sortie. « Le résultat de cette démission est que Modou Diagne Fada perd de facto son mandat de président du groupe parlementaire des Libéraux et démocrates. Le règlement intérieur de l’Assemblée nationale précise qu’un député qui démissionne de son parti perd son mandat de député. En clair, et malgré le jeu de mots, Modou Diagne Fada n’est plus député du Pds, il ne peut plus être, donc, le président du groupe parlementaire des Libéraux et démocrates  », avait expliqué Me Abdoulaye Babou. Seulement, le bureau de l’Assemblée nationale de l’époque n’a entrepris aucune mesure dans ce sens et Modou Diagne Fada a ainsi pu rester député jusqu’à la fin de la mandature de la douzième législature.

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