Et la liberté d’expression !

par pierre Dieme

Au moment où les grands penseurs de la politique espèrent que le temps est passé où il aurait été nécessaire de défendre la liberté d’expression sous toutes ses formes, comme une sécurité contre tout gouvernement oppressif ou tyrannique, au Sénégal, il est noté une tendance de plus en plus marquée à contrôler l’expression de l’opinion par l’emprisonnement de journalistes, de lanceurs d’alertes et de simples citoyens.

Cette situation, ajoutée à l’affaire politico-judiciaire qui est à l’origine des événements du mois de mars 2021, a fini par installer des populations dans une attente inquiète qui tend même à se transformer peu à peu, en une peur instinctive.

Dans la mesure où cet état de fait prend de l’ampleur au fur et à mesure que l’année 2024 approche, il est à craindre que le pays finisse par sombrer dans ce que Montesquieu appelle une tyrannie d’opinion qui va plonger les populations dans une sorte d’inhibition maligne qui faciliterait toutes sortes de dérives. Déjà, beaucoup parlent de recul démocratique, mais à notre sens, c’est cette

radicalité de punir qui est en train d’étouffer cette démocratie qui a toujours fait la fierté de notre pays. Il est évident que la liberté d’expression ne peut pas être absolue dans un État de droit.

Mais, si la liberté d’expression n’est pas absolue, les limitations qui la cantonnent ne le sont pas davantage, et il appartient à la loi de définir clairement les limites existantes.

À cet égard, il est regrettable de constater que les limitations relatives à la liberté d’expression contenues dans la loi du 13 juillet 2017 et le code pénal, désignent une aire extensive et vague qui donne raison à M. Daouda Mine lorsqu’il dit dans un article paru dans la presse le 11 décembre 2022 que « la contrainte à laquelle les journalistes sont soumis, les éloigne des standards internationaux ».

À cette occasion, M. Assane Dioma Ndiaye réagissant, avait bien cerné la problématique, lorsqu’il a rappelé qu’il « est important de s’interroger sur les risques qui pèsent sur le journaliste d’investigation appelé à traiter des informations secrètes voire confidentielle, mais dont la publication est utile à la société ».

Tout le monde est d’accord sur ce que le « secret défense » doit être considéré comme un rempart vital pour un pays. Cependant, il ne doit jamais être un écran de fumée malsain qui rend inaccessible à de justes sanctions contre un délinquant avéré.

Les journalistes d’investigation et les lanceurs d’alerte ne sont pas des délateurs. Ils agissent de bonne foi et sont mus par des considérations éthiques.

La liberté d’expression est un droit fondamental garanti par la Constitution et les traités internationaux. Elle vaut en toute matière : politique, société, justice, santé, environnement, culture, littérature, etc.

Cette liberté est un droit essentiel. Elle doit être maximale et valoir non seulement pour les idées et les informations qui plaisent au pouvoir, mais aussi et surtout pour les idées différentes, originales, minoritaires, qui fâchent, choquent ou inquiètent l’État.

Ainsi, le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquelles il n’est pas de société démocratique.

Museler les journalistes d’investigation, les lanceurs d’alerte, et la presse d’une manière générale, c’est priver l’opinion publique, donc le Peuple, d’un moyen de contrôle qui lui permet de s’assurer que les magistrats, les agents de l’État et tous ceux qui ont un mandat électif, s’acquittent correctement de leurs missions.

En Europe, comme aux USA, le caractère fondamental de la liberté d’expression bénéficie d’une attention particulière de la part des cours et tribunaux.

C’est ainsi que, statuant le 26 avril 1979, dans une affaire opposant le Sunday Times aux Royaume-Unis, la cour européenne des droits de l’Homme a estimé

que : « pour qu’il y ait poursuite, il ne suffit pas de dire que les limites de la liberté d’expression ont été franchies. Il faut que ces limites aient été clairement définies par la loi (c’est le principe de légalité), et que la sanction corresponde concrètement à un besoin social impérieux ».

Aux USA, dans la célèbre affaire des « Pentagon Papers », Daniel Ellsberg, poursuivit par le gouvernement Nixon, parce qu’en tant qu’analyste au Pentagon, il avait fait publier par le New-York Times des documents secrets montrant que le gouvernement américain avait caché au Peuple que l’intervention au Vietnam a été envisagée et préparée bien avant l’intervention du corps expéditionnaire français dans ce pays.

La Cour Suprême, qui a été saisie, avait à cette occasion rendu un arrêt historique, dans lequel elle déclarait que : « le droit à l’information prévaut sur le secret d’État, parce que le gouvernement n’avait pas prouvé le bienfondé d’une limitation de la liberté d’expression consacrée par le premier amendement ».

Par rapport à l’affaire du journaliste d’investigation Pape Alé Niang, le cas le plus illustratif est celui d’un fonctionnaire du parquet, en France, qui avait publié un article rapportant les pressions que les autorités politiques exerçaient sur le procureur et que la cour européenne des droits de l’Homme avait blanchi en se fondant sur la liberté d’expression.

Dans le même élan, le comité des ministres européens estimant que le droit de rechercher, de recevoir des informations et la liberté d’expression sont indispensables au fonctionnement d’une véritable démocratie, recommandait aux États membres d’assurer aux lanceurs d’alerte une protection contre toutes formes de représailles.

Réagissant, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, avait pris la résolution 1729 pour reconnaître l’importance des lanceurs d’alerte et toute personne soucieuse qui tire la sonnette d’alarme afin de faire cesser des agissements nuisibles au bon fonctionnement des institutions ou à l’intérêt de la société.

Au Sénégal, le journaliste d’investigation Pape Alé Niang a été arrêté et mis en prison pour avoir signalé, dans une publication Facebook, le déplacement et le positionnement d’unités de police et de sapeurs-pompiers qui étaient en mission de prévention et non d’embuscade ou de recherche d’un délinquant. Or, pour qu’une mission de prévention de cette envergure réussisse, il est nécessaire que nul n’en ignore à titre dissuasif.

Mais, selon une rumeur persistante, le journaliste d’investigation Pape Alé Niang a été mis en prison à cause de la publication d’un rapport d’enquête interne de la Gendarmerie, duquel il ressort de manière irréfutable que le procureur de Dakar avait fait falsifier un dossier relatif à un viol supposé pour charger le mis en cause dans le but de le faire encourir une condamnation pénale qui l’éliminerait de la scène politique.

Il semble que cette hypothèse soit étayée par le fait que le gynécologue qui avait refusé d’établir un certificat médical de complaisance est traqué et menacé de mort. De plus, ce dossier qui est dans son ensemble corrompu « fraus omnia corrompit » est toujours utilisé pour servir de support à la continuation de la procédure.

Si on y ajoute que le gynécologue en question a été choisi par Mamour Diallo et Pape Samba So, qui sont les principaux artisans du complot, on se rend compte que le doyen des juges a dû être soumis à de fortes pressions pour violer aussi impudemment les articles 52, 416, 165 et 166 du code de procédure pénal.

Mais tel que nous le connaissons, il n’est pas homme à renier aussi facilement la haute conscience qu’il a toujours eue de son métier.

Cependant, les conseils d’Ousmane Sonko devraient contribuer à mettre un terme à cette situation qui tient en haleine tout le pays depuis 2021, en saisissant la chambre d’accusation en vertu des articles 9 alinéa 4 de la Constitution et 166 du code de procédure pénal.

Et, puisque c’est l’approche des élections de 2024 qui semble être la cause des emprisonnements de journalistes d’investigation et de lanceurs d’alerte, il resterait à résoudre la question de l’éventualité d’une troisième candidature.

À ce propos, nous pensons que le président Macky Sall, en homme avisé, s’est déjà prononcé, et que ce sont plutôt les moucherons de La Fontaine qui s’agitent. Mais, ses amis loyaux savent que la question ne requiert ni analyse exégétique, ni décryptage de dispositions sibyllines, il suffit de rappeler la fameuse règle énoncée en une phrase : « legem patere quam facisti » (respecte la loi que tu as écrite).

Toutefois, en considération des stimuli de troubles qui s’amoncèlent à l’horizon 2024, les uns et les autres, et nous tous, devons savoir que le moment est venu de savoir que le temps est passé où l’homme politique croyait devoir conquérir ou conserver le pouvoir par n’importe quel moyen.

Et, qu’il est impératif que tous, nous nous accordions à paraphraser Cicéron pour accepter que jusqu’après l’élection présidentielle de 2024, le salut du Peuple sera, pour nous, la loi suprême.

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