Motion de censure, diversions parlementaires

par pierre Dieme

Renverser un Premier ministre dans un régime hyper-présidentialiste, ne peut avoir, tout au plus, qu’une valeur symbolique. Cet épisode anecdotique de la vie parlementaire indique tout de même la possibilité d’un ralliement tactique de Wallu à Macky

La crise est le moment où l’ancien ordre du monde s’estompe et où le nouveau doit s’imposer en dépit de toutes les résistances et de toutes les contradictions. Cette phase de transition est justement marquée par de nombreuses erreurs et de nombreux tourments.  Antonio Gramsci

Depuis son arrivée au pouvoir, le régime du président Macky Sall se caractérise par une inclination avérée pour l’unanimisme grégaire et l’hégémonisme intolérant. En ces derniers mois de son second mandat, sa gestion du pouvoir persiste à vouloir se parer d’atours hideux évoquant des dictatures de triste mémoire.

De fait, malgré l’entrée en force des députés de l’opposition au sein du Parlement, on n’a jamais observé autant d’atteintes aux libertés, de disparitions inexpliquées de citoyens, de graves entorses aux règles de bonne gouvernance (vente d’armes secrètes, scandale du fonds Covid-19…).

Pour rappel, l’opposition politique a, depuis février 2021, renversé la vapeur, en s’inscrivant, dans une dynamique de résistance farouche, de « mortal kombat » contre les velléités dictatoriales de Macky Sall. Elle semble, depuis lors, avoir le vent en poupe, engrangeant des succès électoraux significatifs. Tant et si bien que le camp présidentiel est devenu minoritaire dans le pays, en termes de nombre d’électeurs, lors des dernières législatives, en ne recueillant que 46,6% du nombre de suffrages exprimés. Même du point de vue du nombre de députés, la coalition Benno Bokk Yakaar a perdu la majorité, car n’ayant finalement obtenu que 82 élus, même si elle n’en n’était pas éloignée, à cause de ratés dans le report de voix au sein de l’Inter-coalition Yewwi-Wallu et au prix de fraudes de dernière minute.

Pour garder le contrôle du Parlement, le pouvoir a procédé à l’enrôlement du chef de la Coalition Bokk Guiss Guiss, faisant mine d’ignorer que l’extrême vulnérabilité parlementaire risque désormais d’être le lot d’un régime en fin de parcours, comme l’a montré la défection, peu après, de la tête de liste de Benno Bokk Yakaar.

Malgré ces signaux de détresse pour le régime APR, la victoire est loin d’être acquise pour ses adversaires.

En témoigne la multiplication des bisbilles entre les députés de l’opposition couronnées par l’échec de la motion de censure de Yewwi Askan Wi contre le Premier ministre Amadou Bâ. En dehors des problèmes de coordination entre groupes parlementaires de l’opposition, il y a lieu de s’interroger sur la pertinence même de cette initiative, car renverser un Premier ministre dans un régime hyper-présidentialiste, ne peut avoir, tout au plus, qu’une valeur symbolique, le chef de l’État, qui définit la politique de la nation ayant la latitude d’en nommer un autre, dès le lendemain.

Mais, de manière plus fondamentale, cet épisode anecdotique de la vie parlementaire, monté en épingle par une certaine partie de la presse, indique tout de même clairement la possibilité d’un ralliement tactique de la coalition Wallu au pouvoir de Macky Sall. Cela s’explique, du fait que le PDS et l’APR proviennent, tous deux du vivier libéral, qui, à priori, n’a pas vocation de porter des politiques de rupture radicale avec l’Occident impérialiste ! N’oublions pas également l’obsession du Pape du Sopi de faire de son fils adoré, son héritier politique, lui taillant visiblement un habit trop grand pour lui.

Il en est de cette motion comme de beaucoup d’autres questions, où nos braves parlementaires de l’opposition font preuve d’une débauche d’énergie superflue, qui gagnerait à être investie dans des initiatives politiques plus prometteuses. De fait, l’affaiblissement politique du camp du pouvoir à l’Assemblée nationale n’a de sens, que s’il permet un contrôle effectif de l’exécution des politiques publiques, ce qui n’a pu prospérer, durant toutes ces années, où les coalitions au pouvoir disposaient de majorités parlementaires écrasantes.

S’il est vrai qu’empoignades et joutes verbales font partie du lot quotidien des parlements, un peu partout dans le monde, une véritable alternative sociopolitique ne saurait exclusivement résulter d’épiques querelles de chiffonniers, durant lesquelles la légèreté se le dispute à la vulgarité voire à la violence verbale et même physique.

Paradoxalement, notre vie politique semble avoir perdu en qualité et en maturité, malgré les percées fulgurantes de l’opposition. À titre de comparaison, au sortir des élections législatives du 24 mai 1998, le parti socialiste avait remporté 93 sièges sur les 120, ce qui n’a pas empêché la survenue de l’alternance de 2000. De même, la coalition Sopi avait, au sortir des législatives du 3 juin 2007, boycottées par les plus grands partis de l’opposition, obtenu 131 élus sur 150 et une nouvelle alternance a quand même eu lieu en 2012. (voir chiffres en photo d’illustration 2)

Il n’est pas trop tard pour redresser la barre en dotant les structures de coordination politique, qu’il s’agisse de coalition ou d’intercoalition de socles programmatiques et en cessant de confondre le jeu politique à un cirque parlementaire.

Le travail parlementaire – surtout dans un régime hyper-présidentialiste – ne peut servir que de levier de mobilisations et batailles politiques et citoyennes pour arracher de nouvelles victoires, qui au-delà des questions électorales soient en phase avec les luttes et préoccupations populaires.

Il ne faut pas perdre de vue que les nombreux scandales, qui rythment le quotidien de la nation sont de nature systémique et ne disparaitront qu’avec le système qui les a enfantés, grâce au recouvrement de nos souverainetés et à une refondation institutionnelle bien comprise.

Ces questions prises en compte par les conclusions des Assises nationales et les recommandations semblent, hélas, céder le terrain face à des scénarii politico-judiciaires, agrémentés de feuilletons érotiques et qui foisonnent  dans les sites d’hébergement de vidéos, aux confins du dark web.

Il est vrai, que la responsabilité principale de cette dégérescence de nos mœurs politiques incombe, en premier lieu, au régime du président Sall irrémédiablement engagé sur une pente glissante menant vers une autocratie oscillant entre le modèle congolais et celui haïtien. Néanmoins, l’opposition gagnerait à tracer des perspectives claires sur la base d’un programme commun dont les larges masses devront s’approprier.

Ce sera la plus sûre garantie, que les nouvelles équipes qui accèderont au pouvoir, n’auront pas le champ libre pour manigancer une nouvelle et maléfique saison de la macabre série (néo)coloniale, qui pourrit la vie des masses africaines depuis des siècles.

PAR NIOXOR TINE

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