Après un long déclin politique et économique et la dégradation de son héritage historique, l’ancienne capitale coloniale de l’Afrique occidentale française cherche à renaître de ses cendres
Balcon finement travaillé, peinture fraiche, grandes fenêtres ouvrant sur la rue… A Saint-Louis, dans le nord du Sénégal, cette maison a retrouvé son lustre d’antan. A ses côtés, un bâtiment est éventré et un autre en passe de s’écrouler.
L’ancienne capitale coloniale de l’Afrique occidentale française, classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2000, cherche à renaître de ses cendres après un long déclin politique et économique et la dégradation de son héritage historique.
« Redynamiser la ville tout en préservant son identité », c’est le credo d’Amadou Diaw, pionnier de l’implantation de business schools en Afrique de l’Ouest et grande fortune saint-louisienne. Il rachète de vieilles maisons délabrées pour les restaurer et en faire des lieux de culture.
Sept petits musées ont ouvert leurs portes, notamment sur la photographie, « et cela va continuer », déclare le mécène qui assure avoir déjà investi quelque deux millions d’euros. « Il faut poser cette ville sur la carte culturelle du continent », clame-t-il.
Avec son plan urbain régulier, ses maisons à galerie ou à balcon et son pont métallique qui la relie au continent, l’île de Saint-Louis, dans le delta du fleuve Sénégal, garde le souvenir de l’âge d’or de la ville, enrichie par le commerce des esclaves, de la gomme arabique ou des peaux. En 1957, la capitale est transférée à Dakar. Saint-Louis, délaissée, entre en léthargie, ville du passé à l’attrait touristique certain mais largement inexploité.
Espoirs et menaces
Alors que la cité n’a jamais été aussi menacée par la montée des eaux, la perspective de voir l’important gisement de gaz découvert au large de ses côtes commencé à être exploité fin 2023 et le développement de nouvelles infrastructures font espérer aux Saint-Louisiens une renaissance. Pour les acteurs de la conservation, une dynamique s’est par ailleurs enclenchée, impulsée par des acteurs privés et suivie par des bailleurs publics.
Après la réhabilitation de la cathédrale achevée en 2020, l’Agence française de développement (AFD) a lancé des travaux de rénovation de 16 maisons appartenant au patrimoine privé pour un budget de 2,2 millions d’euros environ, auxquels s’ajoute une contribution des propriétaires de 15% en moyenne. Des travaux qui avaient convaincu le Comité du patrimoine mondial de ne pas inscrire l’île de Saint-Louis sur la liste du patrimoine en péril.
L’Unesco pointe de longue date l’état de conservation « extrêmement mauvais » de nombreux bâtiments « mettant en danger leurs occupants », les « restaurations non conformes », les nouvelles constructions « affectant l’intégrité et l’authenticité » de la ville et l’absence de mécanisme de suivi et de contrôle.
Alpha Ndiaye, 69 ans, s’arrête au milieu d’une rue, devant un bâtiment en ruine, dont les larges portes arrondies et les vastes pièces suggèrent le faste ancien. « Notre maison était là, très jolie. Vous entriez par la grande porte, puis vous montiez les escaliers en face ». Il en trace le plan du doigt dans le sable.
« Quand tout s’est affaissé, j’ai été très triste. J’aurais aimé qu’on la reconstruise comme avant, que quelqu’un m’aide, mais comment faire ? Je ne suis pas le seul propriétaire et je n’ai pas les moyens », explique M. Ndiaye, longtemps aide-pharmacien à Dakar, aujourd’hui retraité. Il vit dans les décombres d’une autre maison du centre historique.
Problèmes de succession
« Le grand problème des maisons délabrées est la succession. Parfois, on ne sait pas qui sont les héritiers et donc les propriétaires », explique la maire adjointe Aida Mbaye Dieng.
« Il y a aussi ceux qui préfèrent le confort moderne au charme des maisons anciennes, ceux qui ne respectent pas les normes parce que ça coûte moins cher et les propriétaires qui ont quitté la ville et ne veulent plus investir », souligne Fatima Fall, directrice du Centre de recherche et de documentation du Sénégal, qui insiste sur le travail de sensibilisation à mener pour que les Sénégalais prennent conscience de la richesse de leur patrimoine.
Ce jour-là, des étudiants du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) à Dakar sont en voyage dans l’ancienne capitale. Ils découvrent les richesses de la ville, comme le bateau Bou El Mogdad, qui transportait passagers et marchandises sur le fleuve et sert désormais pour des croisières touristiques.
« J’ai tout le temps entendu parler de Saint-Louis sans vraiment connaitre. Pour moi, cette ville était associée à la France. Elle souffre de cette image alors que son histoire est très riche et complexe », estime El Hadji Yadaly Ba. « Cette ville pourrait être un pont entre les cultures. Il faudrait que les Sénégalais s’en rendent compte. Saint-Louis a les moyens de faire venir tellement de touristes », pense l’apprenti journaliste de 26 ans.