L’État ne nie pas l’existence du document innocentant le capitaine Touré et envoie celui qui l’a révélé en prison

par pierre Dieme

Cruel ! Hier, Pape Alé Niang a passé sa première nuit en prison, après trois longs jours de garde à vue. Il vient ainsi prolonger la liste des journalistes envoyés en prison sous le règne du président Macky Sall pour délit de presse. Le fait est rare pour être souligné. Il a été mis en prison principalement pour avoir porté à la connaissance du public sénégalais ce que le gouvernement et particulièrement l’armée voulaient coûte que coûte lui cacher. Une arrestation qui vient nuire davantage l’image de marque de la démocratie sénégalaise, en enfonçant la justice dans le gouffre.

Pourtant, en 2015, c’est le même Macky Sall qui clamait urbi et orbi qu’il n’enverrait jamais un journaliste en prison. ‘’Vous ne verrez jamais pendant ma gouvernance, disait-il devant des journalistes étrangers, un journaliste mis en prison pour un délit de presse. Les journalistes n’ont aucun risque au Sénégal, je le dis très clairement et je ne serai pas démenti. Le Sénégal est un pays bien coté en matière de liberté de la presse…’’. Relancé sur le classement de Reporters sans frontières qui place le Sénégal à la 71e place, il s’emportait : ‘’J’aimerais bien savoir le critère de classement. Qu’ils me disent un journaliste emprisonné au Sénégal en raison de ses opinions ; cela n’existe pas. Je ne comprends donc pas sur quoi ils se basent pour faire leur classement.’’ 

Macky Sall ne s’en limitait pas. Alors que acteurs étaient en plein dans les travaux de révision du Code de la presse, il promettait d’œuvrer pour la dépénalisation des délits de presse. Non seulement les délits de presse ne seront pas dépénalisés, mais aujourd’hui, on met en prison des hommes de médias pour avoir divulgué des secrets.

Il y a une volonté assumée de bâillonner la presse, par le truchement de la justice. Une problématique qui place l’État dans une situation inconfortable, au moment de communiquer sur cette question. Cela ressemble plus à une volonté de casser du journaliste gênant, plutôt que de trouver des solutions au véritable problème : les micmacs dénoncés et jusque-là pas démentis dans l’affaire capitaine Touré. Ce faisant, ils n’ont réussi qu’à susciter l’intérêt des journalistes d’ici et d’ailleurs pour le document en question.

C’est la conviction du journaliste Daouda Sow, Rédacteur en chef de Medi 1 à Dakar. ‘’En enfermant Pape Alé, ils n’ont réussi qu’à attirer davantage l’attention des journalistes soucieux d’enquête et de l’éclatement de la vérité. Voilà ce que le public attend de la presse comme de ses dirigeants’’, fulmine-t-il sur sa page Facebook.

Selon le journaliste de la chaine marocaine, cette arrestation n’est ni plus ni moins qu’une tentative d’intimidation et la communication gouvernementale en est une parfaite illustration. ‘’Avancer la question « … nuire à la défense nationale » pour enfermer un journaliste d’investigation, cela renvoie plus à une forme d’intimidation de la presse en général et du journalisme d’investigation en particulier. Les hommes et les femmes de médias ne devraient pas se laisser faire’’, peste M. Sow.

Pour lui, ‘’ces concepts comme «secret défense», «nuire à la défense nationale», «confidentiel» ou «ultra confidentiel», si l’on y prend garde, risquent de devenir, pour les journalistes, des sortes d’épée de Damoclès et pour les gouvernants la porte ouverte à toutes formes de dérives autoritaires et de musellement de la presse’’.    

À ceux qui pensent que le journaliste n’a pas le droit de parler de certaines affaires, même militaires, il oppose le principe 3 de la Charte des journalistes du Sénégal qui enjoint aux journalistes ‘’de défendre l’indépendance et la liberté de la presse dans tous les aspects, notamment en ce qui concerne la liberté d’information, d’expression, de commentaire, de critique, d’enquête et de l’interdiction de la censure’’.

Aussi, estime-t-il, c’est un devoir pour tous les journalistes de se mobiliser autour du confrère injustement envoyé en prison. ‘’Il est grand temps que toutes les consœurs et tous les confrères se mobilisent et fassent bloc autour de notre confrère. Cette affaire dépasse la personne de Pape Alé Niang. Elle doit être le combat de tout journaliste soucieux d’une presse libre au Sénégal. Aux organisations de presse d’ici et d’ailleurs, ainsi qu’aux organisations de défense des droits humains, nous disons que c’est maintenant plus que jamais que Pape Alé a besoin de notre soutien’’.

Douleurs lombaires chez Pape Alé Niang

Chez les avocats, on se la joue rassurant et confiant, à l’instar du journaliste qui a fait montre, selon eux, de courage et beaucoup de sérénité dans cette épreuve. Confirmant ce calme et cette sérénité relevés par les avocats, ce proche du journaliste attire l’attention sur un fait. ‘’Pape Alé ne va peut-être jamais dire à ses geôliers qu’il est malade, mais, j’attire l’attention sur le fait qu’il se plaint très souvent de douleurs lombaires. Nous attirons l’attention de l’opinion publique nationale et internationale sur cet aspect et demandons aux autorités judiciaires d’en tenir compte’’.

Rappelons que le directeur du site internet Dakarmatin a été placé hier sous mandat de dépôt pour, officiellement, divulgation d’informations non rendues publiques par l’autorité compétente de nature à nuire à la défense nationale, recel de documents administratifs et militaires et diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur les institutions publiques.

En fin de semaine dernière, il avait fait un live sur sa chaine, dans laquelle il avait révélé le contenu du fameux document interne à la gendarmerie relatif à l’affaire capitaine Touré. Un document qui innocente totalement l’ancien officier de la gendarmerie nationale. 

Mor Amar

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