Sur le terrain, aucun agent des Eaux, Forêts n’a encore vu les armes que devait livrer le Nigérien Aboubakar Hima dit Petit Boubé.

par pierre Dieme

UNE COMMANDE DE 45 MILLIARDS DE FRANCS D’ARMEMENTS QU’AUCUN BESOIN NE JUSTIFIE

Sur le terrain, aucun agent des Eaux, Forêts, Chasse et Conservation de la Nature n’a encore vu les armes que devait livrer le Nigérien Aboubakar Hima dit Petit Boubé. Ce contrat d’achats d’armes de guerre avait-il sa raison d’être ?

Sur le terrain, aucun agent des Eaux, Forêts, Chasse et Conservation de la Nature n’a encore vu les armes que devait livrer le Nigérien Aboubakar Hima dit Petit Boubé !

L’Organised Crime and Corruption Reporters Project  (Occrp) — repris par nos confrères « Libération » et « Les Echos » — a révélé récemment un nébuleux contrat d’armement d’un montant de 45 milliards cfa signé par le ministère de l’Environnement et un marchand international d’armes, le Nigérien Aboubakar Hima, dit « Petit Boubé ». L’ affaire est loin de livrer tous ses secrets. En effet, « Le Témoin » est en mesure de révéler qu’aussi bien les agents des Eaux et Forêts que ceux des Parcs nationaux n’ont pas encore réceptionné les matériels militaires ou de guerre listés dans le contrat en question. Et même dans le cas où il y aurait eu une réception de ces matériels militaires, elle serait « partielle » et ne serait pas encore distribuée aux agents sur le terrain. Surtout que, depuis plus de trois ans, l’Armée s’est substituée à ces agents des Eaux et Forêts en zone sud pour lutter contre le trafic illicite de bois. Ce contrat d’achats d’armes de guerre avait-il sa raison d’être ? Selon certains experts militaires et spécialistes de l’environnement forestier, il souffre d’une absence de cause. Ou, plutôt, n’aurait été signé que pour les besoins d’une cause d’enrichissement sans frais et sent  dans tous les cas un  parfum de surfacturation et de corruption. Rien de moins !

Entre le ministère sénégalais de l’Environnement et la société La Vie-Commercial Brokers créée pour l’occasion par le Nigérien Aboubakar Hima dit « Petit Boubé », un gros contrat d’armes d’un montant de 45 milliards cfa a été signé. Il concerne l’achat de véritables matériels de guerre destinés à nos agents des Eaux & Forêts et Parcs nationaux chargés de la protection et du développement des ressources forestières aussi bien végétales qu’animales. Ils sont également chargés du maintien de l’intégrité du domaine forestier du Sénégal, de la lutte contre les feux de brousses, du trafic illicite de bois etc. Des missions qui, pour importantes qu’elles soient, justifient difficilement l’achat de tout un arsenal de guerre composé de fusils d’assaut, de munitions, de véhicules pick-up, de citernes, de motos, de drones et autres d’une valeur de 45 milliards de francs ! Et d’ailleurs, même dans le cas extraordinaire où le ministère de l’Environnement aurait eu besoin d’armes aussi sophistiquées en procédure d’urgence, donc sans appel d’offres, le ministère des Forces armées n’était-il pas mieux indiqué pour passer cette commande sous le sceau du « Secret Défense » ? En tout cas, le contrat conclu entre le ministère de l’environnement et un le marchand d’armes nigérien, Aboubakar Hima, dit « Petit Boubé », objet de mandats d’arrêt international de son pays et du Nigeria, semble dépourvu de cause. Autrement dit, les achats de matériels de guerre qui fondent son objet n’avaient pas leur raison d’être. Car, selon les spécialistes, rien ne peut pour le moment justifier un tel surarmement du ministère de l’Environnement. D’ ailleurs depuis la signature de ce contrat, les agents des Eaux et Forêts que ceux des Parcs nationaux n’ont encore réceptionné les matériels listés dans la commande.

Les interlocuteurs du « Témoin » sont formels sur ce point. Aucune arme et pas la moindre munition ne sont encore parvenues aux brigades de l’environnement sur le terrain. Une lenteur dans la distribution — à supposer qu’elle ait lieu un jour ! — qui traduit le caractère non urgent si ce n’est l’absence de besoin d’un tel arsenal puisque nos braves agents des parcs nationaux ne sont pas encore enlisés dans une guerre sous-régionale. Et n’ont pas encore mission de lutter contre le terrorisme comme le prétend le porte-parole du Gouvernement ! Car jusqu’à présent, en tout cas jusqu’à la semaine dernière, chacune des 163 brigades des Eaux, Forêts et Parcs nationaux de notre pays, forte chacune de de 3 ou 5 éléments, n’est dotée que d’une seule arme qui peut être soit un fusil M4 ou un Mas 36. « Lors des opérations de patrouille, un seul agent est armé. Pour le moment, on n’a reçu aucune arme et autres matériels issus de ce contrat de 45 milliards cfa révélé par la presse » se désole un cadre des Eaux et Forêts.

En poussant ses investigations, « Le Témoin » a appris que la dernière dotation de voitures destinées aux agents de l’Environnement forestier remonte au 04 avril 2022. Il s’agit d’un lot de huit (08) Toyota Land Cruiser offertes par l’Armée. « A leur réception, ces véhicules étaient aux couleurs de l’Armée, après le ministère de l’Environnement les a repeints en vert » nous souffle-on. Pour ce qui est des drones, les gents des Eaux et Forêts en ont quatre seulement. reçus par les agents des parcs nationaux. Et seules quatre brigades basées à Dakar et dans la région de Tambacounda ont pu bénéficier de ces drones qui ne proviennent pas de la commande passée auprès du marchand d’armes nigérien Aboubakar Hima dit Petit Boubé qui n’est autre que le gendre du défunt président Ibrahim Baré Maïnassara (IBM).

Pourtant dans son « démenti » aux révélations des confrères, le gouvernement, par le biais de son porte-parole, Abdou Karim Fofana, a soutenu que le ministère de l’Environnement a fondé ces contrats d’armement au profit des Directions en charge des Eaux, Forêts, Chasses, Conservation des Sols et Parcs nationaux qui sont assimilés aux forces de sécurité et de défense. « A cet effet, le Gouvernement du Sénégal voudrait rappeler que le contexte géopolitique marqué par le développement des mouvements terroristes et le trafic illicite de bois impose une réorganisation de notre dispositif sécuritaire avec des équipements de qualité pour le rendre beaucoup plus opérationnel en termes de capacité d’intervention et de riposte le long des axes frontaliers et des zones stratégiques » a soutenu le porte-parole du Gouvernement.

Or, depuis plusieurs années, l’Armée s’est substituée à la Garde forestière dans la lutte contre le trafic illicite de bois en zone Sud. S’il en était encore besoin, « Le Témoin » renvoie le ministre Abdou Karim Fofana au discours de prise de commandement du colonel Badara Ndiaye commandant de la zone militaire n° 6 regroupant les régions de Kolda et de Sédhiou (Sud). Au cours de cette cérémonie d’installation présidée par le Chef d’Etat-major général des armées (Cemga), le général de corps d’armée Cheikh Wade, le colonel Badara Ndiaye avait déclaré ceci « J’exprime toute ma gratitude à l’endroit du commandement qui a bien voulu porter son choix sur ma très modeste personne, mais aussi j’en suis très honoré tout en ayant une parfaite lecture des responsabilités qui en découlent », a déclaré Badara Ndiaye il y a une dizaine de jours. « Aujourd’hui, une nouvelle situation géopolitique s’est installée dans la sous-région avec comme corollaire les évolutions sociales et l’instabilité dans certains pays et des turbulences de tous ordres.

Face à cette situation, le commandement a insisté sur la nécessité d’adopter une posture d’extrême urgence et de procéder à un changement de paradigme dans les unités. C’est ce qu’a compris le commandement en modifiant, depuis 2009, la structure et l’organisation des zones militaires, et en définissant les prérogatives et les attributions par le décret 2009-668 du 23 juillet 2009 », avait expliqué le colonel Badara Ndiaye. Avant d’ajouter : « Ce décret initie trois missions à la zone militaire numéro 6, à savoir la mission de protection des personnes et des biens, la participation au maintien de l’ordre et la protection de l’environnement pour le cas de la lutte contre le trafic de bois et le braconnage » avait fait savoir le nouveau comzone.

Mieux, un officier supérieur de l’Armée interrogé par nos soins fait la moue et déclare : « 45 milliards de francs en fusils et autres armements ? Mais même l’Armée régulière que nous sommes ne peut pas absorber une telle commande supérieure à tout ce que nous avons l’habitude d’acheter en termes de fusils d’assaut ! » Sous-entendu : A plus forte raison le petit corps des agents des Eaux et Forêts. Sauf, évidemment, à transformer chacune de ses 163 brigades en section (surarmée) des forces spéciales de lutte contre le terrorisme ! Et encore, il resterait toujours de gigantesques stocks dans les arsenaux…

Christian Séne

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