Dictatures d’éléphants, démocraties de buffles

par pierre Dieme

Un dictateur est plus prompt aux erreurs qu’un démocrate. Diouf a été perdu parce qu’il ne lisait, semble-t-il, que Le Soleil et Wade n’écoutait plus personne d’autre que son bon vouloir. Qui Macky écoute-t-il ?

Savez-vous que les comportements collectifs sont simples à produire, particulièrement lorsque les individus ne diffèrent pas trop entre eux dans leurs motivations ?

Prenons le cas des oryx.

Observez-les brouter. Ils adaptent leurs comportements afin de maximiser leurs chances de survie (AKS ou d’autres prédateurs peuvent être dans les parages).

Première stratégie : le regroupement. Vivre en groupe permet de multiplier le nombre d’yeux, d’augmenter les chances de détecter une attaque surprise et in fine de diviser les probabilités de se faire manger. Les pulaar disent « Sa telii ciogè daa »*

C’est ainsi la vie des oryx : chaque fois qu’on double le nombre de potes qui mangent à coté, on divise de beaucoup les risques d’être soi même un repas.

Remarquez la similarité avec les hommes politiques : chaque fois qu’ils sont plus nombreux à « manger », ils ont moins de chances de se faire prendre. Il faut multiplier les scandales pour qu’ils apparaissent comme étant la normalité. Si vous êtes ministre ou DG et que vous n’êtes pas riches, vous êtes une singularité, on vous regarde de travers.

Si vous sortez du rang, vous êtes la cible de votre ex-clan. Mimi constitue l’exemple récent. Avant elle, bien d’autres en furent victimes. TAS, Abdoul Mbaye, etc.

Revenons à nos amies les bêtes…

Deuxième stratégie : Si vous observez les oryx paitre vous remarquerez qu’ils lèvent la tête tous en même temps et qu’ils mangent tous en même temps. Chaque oryx est tiraillé entre le besoin de manger et l’envie de copier le comportement du voisin.

ll n’y a pas d’oryx sentinelle qui surveille pour la communauté. Chacun adopte une stratégie de « copie du voisin » : « s’il lève la tête pour guetter, je fais la même chose, s’il la baisse c’est qu’il est rassuré, je fais pareil ». Cette stratégie simple – copie du voisin – et répétition de nombreuses fois – de voisin à voisin – explique des comportements complexes à l’échelle d’un groupe.

Observez nos politiciens de BBY. Pourquoi sortent-ils tous du bois ces derniers temps pour dire tous à l’unisson que Macky Sall a droit à une troisième candidature ? N’est-ce pas là une stratégie de « copie du voisin » des oryx ?

On comprend alors mieux comment un groupe de personnes supposées intelligentes adopte ce comportement complexe suicidaire et crée des vagues de bêtises collectives. N’oublions pas qu’ils ont tous vu ce qui s’était passé avec Wade, qu’ils l’avaient même combattu.  Ils ne peuvent donc pas dire qu’ils ne savent pas. Des morts ont jonché le macadam suite à l’éruption populaire contre le troisième mandat.

Chaque sortie favorable au troisième mandat de l’un d’entre eux entraine une autre sortie favorable au troisième mandat et tout le groupe BBY, mû par les mêmes motivations, se copie les uns les autres aveuglément et produit le phénomène « auto-organisé » de demande sociale fictive du troisième mandat.**

Dépassons le cadre de BBY et plongeons-nous dans le milieu politique sénégalais dans son ensemble. Que se passe t-il lorsque nous faisons face à des groupes d’individus aux intérêts différents ou aux opinions dissemblables ?

Comment, dans ce cas, s’accordent les individus ? Nous avons un continuum avec à un bout les despotismes très fréquents, et à l’autre bout un consensus équitablement partagé, sorte de démocratie où chaque individu participe au choix final.

En ce qui concerne le despote, chez nos amis les animaux, beaucoup d’espèces optent pour ce mode avec bonheur. C’est le cas des éléphants. Les groupes de femelles et leur petits sont dirigés par une vieille femelle dominante à vie : la matriarche. Elle sait diriger son clan à travers la savane et lui éviter les nombreux pièges.

Nous ne sommes pas loin de ce comportement dans nos différentes (et nombreuses) coalitions où, le chef de file prend les décisions pour les autres. Les dernières législatives ont vu Khalifa et Sonko, seuls, décider de la liste de Yewwi, et Macky, seul, décider de la liste de BBY et du président de l’Assemblée nationale.

Et pourtant, un groupe ne devrait accepter d’être dirigé par un despote que, lorsqu’il existe un écart très important entre l’information que celui-ci possède et celle que les autres possèdent. Dans cette situation, suivre le chef est une meilleure option. Cela est vrai pour les éléphants. La matriarche les mène vers de meilleurs pâturages et leur évite les prédateurs. Est-ce vrai pour les politiques ?

Assurément non, si l’on considère la zizanie qui s’est installée dans les deux camps à la suite de la publication des listes et de la nomination du président de l’Assemblée nationale.

Que se passe-t-il à l’autre bout du continuum, là où règne la démocratie où, chaque individu participe également au choix final ?

Chez les animaux, il existe plusieurs sortes de méthodes pour voter : à la majorité pour les gorilles, en moyennant les votes chez les buffles, par seuil ou quorum chez les abeilles. Comme quoi nous n’avons rien inventé !

Chez les politiques, si le président décidait de prendre la décision d’y aller pour une troisième candidature ou de ne pas y aller sur la base d’un vote à la majorité et qu’il procédait de la manière suivante : Convoquer 101 Sénégalais (pour simplifier) tirés au sort parmi la population et demander à chacun d’eux de voter pour ou contre la troisième candidature. Chaque individu ayant 40% de chance de se tromper dans son choix, eh bien dans ce cas, on verrait que la majorité (51) des 101 votes aurait raison dans 99 cas sur cent !***

Ainsi, sous certaines conditions, un ensemble d’individus est plus précis qu’une seule personne. C’est d’ailleurs le principe qui sous-tend le jugement sous l’arbre à palabre.

Les bénéfices qu’aurait le président à soumettre sa décision au vote plutôt que de la prendre seul, comme l’y encourage les membres de son clan sont notoires.

Un dictateur est plus prompt aux erreurs qu’un démocrate. La principale raison est qu’on ne lui dit que ce qu’il veut entendre. Il a donc en réalité moins d’information qu’on ne le pense. Diouf a été perdu parce qu’il ne lisait, semble-t-il, que « Le Soleil » et Wade n’écoutait plus personne d’autre que son bon vouloir.

Qui Macky écoute-t-il ?

Il lui serait, en tout cas plus sage de s’inspirer de nos amies les bêtes et, de pratiquer une démocratie de buffles plutôt qu’une dictature d’éléphants.

Dr. C. Tidiane Sow est coach en Communication politique.

Notes :

-*Sa telii ciogè daa : Citation pulaar « Qui s’isole sera dévoré » pour souligner la force du groupe

-** Le modèle est simplifié. Il suppose que les individus accomplissent leurs choix en toute indépendance d’esprit, sans aucune concertation entre eux.

-***Résulte de la loi binomiale, celle qui prédit le résultat de succès pour une épreuve de Bernoulli.

-Leo Grasset : Le coup de la girafe – Seuil

PAR L’ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, TIDIANE SOW

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