Macky confronté au syndrome de Wade

par pierre Dieme

Agitation autour de la question du troisième mandat, rébellion au sein de la mouvance présidentielle… Mamadou Sy Albert, Abdoulaye Mbow et Ibrahima Bakhoum décortiquent

Le débat sur une candidature du président Macky Sall en 2024 refait encore surface sur la scène politique. Récemment, le ministre de la Justice, Ismaël Madior Fall, sur les antennes d’une radio de la place, avait esquivé la question sur une possibilité de candidature du président Macky Sall en 2024. Pourtant, c’est ce même Ismaïla Madior Fall qui avait disqualifié en 2011 l’actuel Président, faisant savoir que la Constitution a été très claire et que « Nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs ». Du coté de la majorité, on assiste à une montée en puissance des souteneurs du troisième mandat. Parmi eux, Dr Cheikh Kanté, ministre chargé du suivi du Plan Sénégal Emergent et d’autres responsables politiques de Benno Bokk Yaakar (BBY). Le président de la République lui-même pose des actes allant dans le sens d’accréditer sa volonté de se représenter en 2024 comme la sanction qui s’est abattue sur ses partisans qui ont invalidé sa candidature ainsi que la promotion de ceux qui la soutiennent. Il y a aussi le projet de loi pour l’amnistie de Khalifa Sall et Karim Wade, l’appel à la remobilisation des troupes à travers la vente d’un million cinq cent mille cartes de l’Apr… Autant d’actes posés par l’actuel locataire du Palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor qui font douter de l’intention du président Macky Sall de quitter le pouvoir en 2024.

Selon Mamadou Sy Albert, la question du troisième mandat, agitée dans le camp de la majorité, c’est pour contrer ceux qui invalident la candidature du président Macky Sall en 2024. Cependant, prédit le politologue, il y aura une forte résistance pour empêcher l’actuel chef de l’Etat de se représenter en 2024. Des franges de l’opposition et de l’opinion publique antitroisième mandat de Macky sont prêtes à lui barrer la route. Ces responsables politiques de l’Apr, explique l’analyste, se positionnent contre les gens qui défendent que le président n’a pas droit à un troisième mandat. Une stratégie qui, à l’en croire, participe à préparer la candidature de Macky Sall en 2024. Les animateurs de ce courant sont des ministres ou des directeurs généraux. La couleur est ainsi annoncée dans l’Apr. L’idée d’une troisième candidature fait déjà son chemin. « Ils se battent sur deux fronts. En interne, ils préparent la candidature de Macky Sall et à l’externe ils veulent faire face à cette vague montante qui veut que le président Sall ne soit pas candidat en 2024. C’est clair que le fait que Macky Sall invite l’Apr à initier la vente des cartes, à structurer le parti et à chercher un million cinq cent mille militants, est un mot d’ordre politique qu’il lance pour réorganiser son appareil politique. Conscient que l’Apr traverse des difficultés internes, il met en place un dispositif pour que son parti se prépare à des prochaines joutes électorales. S’il y a réorganisation de l’Apr, le parti va porter sa candidature à la présidentielle de 2024 » se dit convaincu le politologue.

Mamadou Sy Albert : « Le flou sur la question du troisième mandat est un scénario totalement maitrisé par Macky Sall pour neutraliser l’Apr et le Benno »

Au vu de tout ce qui est en train de se dérouler, Mamadou Sy Albert estime que l’Apr prépare une troisième candidature du président Macky Sall comme l’avaient fait avant lui les responsables politiques du Parti démocratique sénégalais (Pds) en 2011 à ce stade. « L’Apr n’a pas de numéro deux. Macky Sall ne veut pas d’un second. Là, il va vers une présidentielle. Pratiquement, on peut dire qu’il n’y aura pas de débat à l’intérieur de son parti sur la candidature. Donc, ils vont aller directement vers la décision que Macky Sall va prendre. Au niveau de Benno, c’est encore pire. Parce que l’Apr est alliée avec l’Afp et le Ps qui sont aussi muselés. Le Ps ne peut pas, dans le contexte actuel, prendre la décision de discuter sur son candidat en 2024. C’est pareil pour l’Afp. Macky Sall, qui a muselé son parti, n’aura pas de dauphin. Il muselle également le Benno pour que cette coalition n’ait pas le temps de discuter sur une candidature unique ou pas. Ce qui veut dire qu’on va vers un scénario totalement maitrisé par Macky Sall. Soit il va confirmer sa candidature soit il va imposer son dauphin. En tout cas, il est en train de positionner des responsables de l’Apr au cas où il ne se présenterait pas. Je pense que Macky Sall prépare son dauphin » estime l’enseignant chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) Mamadou Sy Albert.

La descente « aux enfers », de Diouf Sarr, une pilule amère qui peine à être avalée !

De ministre à vice-président de l’Assemblée nationale, l’ancien ministre de la Santé, Abdoulaye Diouf Sarr, a été rétrogradé. Fragilisé par la liste parallèle de Mame Mbaye Niang et la non implication de certains responsables politiques de Benno durant la campagne électorale des locales de janvier dernier, le candidat malheureux de la majorité présidentielle à la mairie de la ville de Dakar s’est vu démettre de ses fonctions de ministre de la Santé suite au drame survenu à l’hôpital Mame Abdoul Aziz à Tivaouane. Lequel avait emporté 11 bébés brûlés dans un incendie. Il a été remplacé par Dr Mary Khemess Ndiaye. Député appartenant toujours à la majorité présidentielle, l’ancien maire de Yoff a récemment mis en place son propre mouvement politique. Selon Mamadou Sy Albert, il n’est pas l’aise à l’Assemblée nationale. Il ne l’est pas non plus au sein de l’Apr.

A en croire Abdoulaye Diouf Sarr, son ambition n’est pas d’être un parlementaire. Le fait qu’il ait monté son mouvement politique pourrait faire douter de son éventuelle volonté de soutenir le troisième mandat comme le font déjà quelquesuns de ses camarades de parti. Le politologue est d’avis qu’il y a de fortes chances que le patron des cadres du parti présidentiel prenne le même chemin qu’Aminata Touré. « On ne peut dire qu’actuellement, il prépare quelque chose. Mais je crois que Diouf Sarr n’est pas à l’aise à l’Assemblée nationale. Son ambition, ce n’est pas d’être un parlementaire. Il a brigué la mairie de Dakar. Donc il est mal à l’aise à l’Assemblée. Il est mal à l’aise au niveau de l’Apr parce qu’il n’a pas eu le soutien des responsables de son parti quand il a voulu être maire de la ville de Dakar. C’est quelqu’un qui est déçu par les résultats des élections locales, par le manque de soutien de ses camarades de parti. Je crois que le président n’a pas voulu de lui au gouvernement. C’est quelqu’un qui est mal à l’aise mais et mijote quelque chose », conclut Mamadou Sy Albert.

Aboulaye Mbow, journaliste et analyste politique : « il n’y a pas de nouvelle Constitution autorisant un Président à faire plus de deux mandats consécutifs »

Selon le journaliste et chroniqueur politique Abdoulaye Mbow, la majorité de ceux-là qui entretiennent un débat autour d’une troisième candidature de Macky Sall sont intéressés par des prébendes politiques. L’un dans l’autre, ce qu’il faut s’avoir, précise-t-il, c’est que l’Apr ne sera plus la même le jour où le président Macky Sall fera sa déclaration officielle de candidature. Qu’il soit candidat ou pas en 2024, le Benno sera un autre Benno le jour où le président Macky Sall détermina clairement sa position concernant la présidentielle de 2024. A en croire notre interlocuteur, ce jour-là, des personnalités politiques vont quitter l’Apr et Benno.

Mimi Touré sera le réceptacle des prochaines frustrations. Elle sera également le réceptacle des anti-troisième mandat qui attendent le bon moment pour se décider. « Si l’on se rappelle de la jurisprudence de l’ancien chef d’Etat, Me Abdoulaye Wade, entre 2011 et 2012 et qui avait conduit à la mort de 11 Sénégalais, je crois bien que ce sont ceux-là qui sont aujourd’hui au pouvoir qui combattaient la troisième candidature d’Abdoulaye Wade.

Ils combattaient aussi pour la défense de la Constitution à tous les niveaux et à toutes les échelles. Il ne s’agit pas de parti politique. Mais c’était une participation active de la société civile qui avait donné naissance aux évènements du 23 juin à travers le mouvement M23. C’est à l’appel du M23 que le jeune Mamadou Diop a été tué à la place de l’Obélisque. Le président Macky Sall y était avec d’autres ténors qui sont aujourd’hui au pouvoir avec lui », rappelle Aboulaye Mbow. Autant de choses, selon l’analyste, à prendre en compte pour éviter que l’histoire se répète avec un forcing pour une éventuelle candidature de Macky Sall en 2024.

« Le professeur Ismaïla Madior Fall avait répété la phrase trois fois pour soutenir, clamer et déclamer qu’un président ne pourra pas briguer plus de deux mandats consécutifs. Le porteparole du gouvernement de l’époque, Seydou Guèye, l’a soutenu de même que l’ancien Premier ministre Boun Abdallah Dione.

Que veulent-ils que les Sénégalais retiennent sinon leurs déclarations ? Il n’y a pas de nouvelle Constitution. La seule qui existe c’est celle adoptée par le peuple sénégalais lors du référendum de 2000. Ce qui a donné à la naissance à la Constitution de 2001 qui est toujours en vigueur. Il n’y a que 15 points qui ont été changés lors du referendum de 2016. Donc c’est la même Constitution qui avait dit que « Nul ne peut exercer plus deux mandats consécutifs » martèle le journaliste et chroniqueur politique.

Mettre en avant la stabilité politique du pays !

Selon toujours Abdoulaye Mbow, le président Macky Sall entretient un flou total par rapport à sa troisième candidature au regard des actes qu’il continue de poser depuis l’entame de son second mandat. Des actes qui poussent les Sénégalais à croire qu’il s’achemine vers une troisième candidature en 2024. Or, précise l’analyste, ce qui est à retenir c’est sa déclaration du 31 décembre 2018 mais également celle faite au côté de l’ancien président burkinabé Roch Marc Kaboré où il avait soutenu devant les Sénégalais qu’il ne pouvait pas y avoir et qu’il ne fera un troisième mandat. « La chose la plus essentielle, c’est de maintenir le Sénégal dans un climat politique et social apaisé. De maintenir et de cultiver la paix qui règne au Sénégal depuis notre accession à la souveraineté internationale. De ce point de vue, il appartient aux tenants du pouvoir d’avoir un sens élevé de la responsabilité par rapport au respect de la Constitution. Nous ne devons plus être véritablement sur un débat qui nous ramène des dizaines d’années en arrière alors que la démocratie sénégalaise doit continuer d’avancer », soutient Abdoulaye Mbow.

Qui souligne que ce serait insulter les Sénégalais que de soutenir qu’en dehors du président Macky Sall, il n’y a pas un autre Sénégalais qui puisse tenir les rênes de ce pays. « C’est insulter les hauts responsables, les militants, les femmes les jeunes de valeur qui sont au niveau de l’Apr et de Bby que de leur dire qu’en dehors du président Macky Sall, vous n’êtes absolument rien. Au niveau de son parti, l’Apr, et de sa coalition, Bby, il y a un ou des potentiels candidats à la candidature de 2024 » se dit convaincu notre confrère. S’agissant du cas d’Abdoulaye Diouf Sarr, le journaliste précise que c’est le président Macky Sall qui a participé à sa liquidation.

Ceci, en laissant d’autres responsables politiques, comme Mame Mbaye Niang, mettre en place des listes parallèles à Dakar. Lesquelles ont affaibli Abdoulaye Diouf Sarr. « C’est l’une des causes de sa défaite lors des élections locales. Cde même s’il avait en face de lui un sérieux candidat de Yewwi, Barthélémy Dias en l’occurrence. Qu’il (Ndlr : Diouf Sarr) pose des actes, c’est tout à fait normal. Qu’il donne l’impression d’avoir été trahi, c’est tout fait normal. Parce que, quoi que l’on puisse dire, il a toujours été un militant discipliné. Il a toujours montré qu’il restait fidèle aux idéologies qui ont fondé l’Apr et Bby » conclut le politologue Abdoulaye Mbow.

Ibrahima Bakhoum, journaliste et politologue : « Macky Sall a failli à sa promesse de clore définitivement la question du troisième mandat »

Le doyen Ibrahima Bakhoum est convaincu que le président Sall a failli à sa promesse faite aux Sénégalais de clore définitivement le débat du troisième mandat lors de son accession au pouvoir. Ce en faisant en sorte que plus personne ne se mette à poser la question. Il voulait l’évacuer pour de bon en appelant à un référendum en 2016. « Ce débat-là avait fait perdre du temps au Sénégal entre 2011 et 2012. Le président Sall estimait avoir réglé la question définitivement. 2019devait être sa dernière candidature. C’est bien lui qui l’avait dit. Le reste, c’est la lecture de l’article 27 de la Constitution.

Certains vous disent que la durée du mandat est de cinq ans. Si la durée du mandat est de cinq ans effectivement, on dit qu’il a fait son premier mandat de 2019 à 2024 et que le second va commencer à partir de 2024. C’est une lecture du premier alinéa de l’article 27. Le deuxième alinéa de l’article 27 dit « Nul n’a le droit de faire plus de deux mandats consécutifs ». Maintenant, il faut aller voir est ce qu’il s’agit du mandat de 5 ans ou est-ce que nul ne peut faire plus de deux mandats.

Est-ce qu’un mandat, c’est à partir d’un décompte ou c’est à partir de la prestation de serment. Si c’est la prestation de serment devant le Conseil Constitutionnel, oui le premier mandat de Macky Sall c’est 2012. Et de 2019 à 2024, il a fait son second mandat » a expliqué doyen Ibrahima Bakhoum. Le journaliste et formateur précise que la création d’un mouvement politique, de quelque bord qu’il puisse advenir, de Diouf Sarr ou autres, ne contribue pas au renforcement de l’Apr encore moins de la coalition Benno Bokk Yaakar. « D’autres frustrations vont commencer à s’exprimer en douceur.

De ce point de vue, on comprend que le Président puisse se dire que si cela entraine une division, le mieux pour lui c’est de se présenter en 2024. Même s’il doit partir, il a bien envie que son successeur soit de son camp pour diverses raisons. Est-ce que ceux qui ont été sanctionnés, c’est à cause de leur déclaration sur le troisième mandat ou autre chose ? On ne sait pas. Il faut faire le rapprochement entre les deux : le moment où ils l’ont dit et le moment où ils ont été éjectés. Ces actes peuvent faire penser à cela, une intention de prétendre à une troisième candidature en 2024 » conclut Ibrahima Bakhoum.

Silèye MBODJI

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