La pratique peu administrative des préfets à l’encontre de l’opposition

par pierre Dieme

L’intervention des Gendarmes sur ordre du préfet de Mbour contre le cortège du leader de Pastef, Ousmane Sonko le week-end dernier, remet au goût du jour le débat sur la posture de certains administrateurs civils

L’intervention des Gendarmes agissant sur ordre du préfet de Mbour contre le cortège du leader de Pastef, Ousmane Sonko, remet au goût du jour le débat sur la posture de certains administrateurs civils. Prompts à sévir contre les responsables politiques de l’opposition sous prétexte de risque de trouble à l’ordre public, les préfets sont pourtant souvent inactifs quand il s’agit des manifestations impliquant des responsables du pouvoir en place.

Annoncée le samedi 15 octobre lors de sa déclaration diffusée sur les réseaux sociaux, la première journée du « némékou Tour » (tournée politique) du leader de Pastef, Ousmane Sonko, entamée, le dimanche 16 octobre dans le département de Mbour, s’est terminée en queue de poisson à Joal. Arrivé dans cette ville natale du premier président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, le maire de la commune de Ziguinchor a vu son cortège être dispersé à coup des tirs de grenades lacrymogènes de la Gendarmerie alors qu’ilrendait des visites de proximité à des proches, des guides religieux et des responsables de son parti. Dans une déclaration diffusée sur les réseaux sociaux quelques heures après, le leader de Pastef est revenu sur les faits qui ont précédé l’intervention en force des Gendarmes positionnés dans les croisements et autres lieux stratégiques menant vers Joal. Il a expliqué que peu avant les tirs, un officier de ce corps brandissant une réquisition du préfet de Mbour demandant de maintenir et de rétablir l’ordre dans la période du 16 au 23 octobre, était venu jusque dans le salon du presbytère où il s’entretenait avec le Curé de la paroisse pour lui demander de quitter les lieux. Il faut dire que cette situation mettant en scène un excès de zèle de l’autorité préfectorale du département de Mbour n’est pas une première au Sénégal. D’ailleurs, la plupart des tensions politiques notées dans notre pays ces dernières années sont alimentées soit, par le comportement peu républicain de certains administrateurs civils et autres commissaires de Polices ou chefs de brigades de Gendarmerie nationale soit, par les réactions à géométrie variable du procureur de la République.

La distribution de flyers de Aar Sénégal interdite par le préfet de Tamba

Le leader de Pastef n’est pas la seule victime du zèle de certaines autorités préfectorales. Au mois de juillet dernier, Dr Abdourahamane Diouf et la coalition AAR Sénégal qui étaient en tournée politique à l’intérieur du pays dans le cadre de la pré-campagne pour les législatives prévue à la date 31 de ce même mois de juillet, avaient eux-aussi vu leur campagne de distribution des flyers stopper sur instruction de l’autorité administrative. « Nous sommes à Tambacounda. Ce que nous faisons, c’est le contact, une visite de proximité et discuter avec les gens. Nous avons une bonne délégation qui distribue nos flyers. Le parti au pouvoir est en train de le faire. Toutes les coalitions le font. C’est le commandant qui m’a interpellé dans un premier temps, et nous a demandé d’arrêter. Je lui ai dit que nous ne pouvons pas arrêter parce que nous sommes dans nos droits. Nous n’avons pas médiatisé, nous avons juste distribué des flyers. Il m’a dit de lui donner 5 minutes, il va appeler le commissaire. Quand ce dernier m’a appelé, il m’a dit que c’est le préfet en personne qui l’a appelé pour nous demander d’arrêter », avait déclaré Dr Abdrahmane Diouf.

Quand l’ancien préfet de Dakar, Alioune Badara Samb met la poudre au feu déclencheur des évènements de mars 2021

Dans ce registre des événements ou incidents causés par l’excès de zèle de nos autorités administratives, on peut également citer la série de manifestations qui ont provoqué la mort de 14 jeunes sénégalais et causé des dégâts matériaux énormes. Le déclenchement de ces évènements de mars 2021 est parti d’une décision inopportune de l’ancien préfet de Dakar, Alioune Badara Samb aujourd’hui promu gouverneur de la région de Saint-Louis, d’imposer à Ousmane Sonko un itinéraire pour se rendre à une convocation du juge du 8e cabinet dans l’affaire l’opposant à Adji Sarr. Puisque, face au refus du leader de Pastef qui était entouré de ses militants, Alioune Badara Samb a tout simplement demandé aux gendarmes de tirer des bombes lacrymogènes sur tout le monde, y compris la presse. La suite, tout le monde le connait.

Au volant de son véhicule sans ceinture de sécurité, le président s’est offert une promenade dans la commune de Wakhinane Nimzatt sans être inquiété

Il faut préciser que cette rigueur des préfets ne s’applique qu’aux opposants du régime du président Macky Sall. La preuve, le dimanche 9 octobre dernier, le chef de l’Etat, au volant de son véhicule sans ceinture de sécurité, s’est offert une petite balade de mise en scène dans la commune de Wakhinane Nimzatt sans être inquiété. En compagnie de la Première dame, Marième Faye Sall, le chef de l’Etat, dans une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux, a même profité de cette petite promenade de santé pour échanger quelques mots avec ses militants qui l’invitaient à briguer une troisième candidature au motif de celle-ci était d’une demande sociale.

Le préfet de Guédiawaye bannitle rassemblement de Yewwi askan wi le 17 juin et bénit celui du Directeur général de la Lonase, Lat Diop, une semaine après

En juin dernier, le Gouverneur de la région de Dakar, s’appuyant sur un communiqué du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) rappelant aux médias la période préélectorale (du 10 juin 2022 à 00 h au 9 juillet 2022 à minuit), a pris un arrêté pour interdire tous les rassemblements politiques durant cette période. La coalition Yewwi askan wi qui avait prévu un rassemblement à la Place de la Nation à la date du 17 juin refuse d’annuler cette manifestation faisant ainsi monter la tension d’un cran. Pour faire respecter cette mesure d’interdiction du Gouverneur, un important dispositif policier fut déployé au niveau de toutes les communes. A Guédiawaye, le maire de la ville Ahmed Aidara a été arrêté, déféré au Parquet et placé sous mandat de dépôt alors qu’il voulait rallier Colobane où devait de tenir cette manifestation interdite de Yewwi Askan.

Pourtant, une semaine après l’arrestation du maire Ahmed Aidara pour trouble à l’ordre public et participation à une manifestation interdite, Lat Diop, Directeur général de la Lonase et partisan du président Macky Sall a organisé le dimanche 26 juin, un rassemblement politique à Guédiawaye en pleine période de pré-campagne sans être inquiété ni par le préfet ni par le Commissaire de police centrale de la ville.

L’invalidation des dossiers de candidature de l’opposition lors des locales du 23 janvier 2022

Le zèle des préfets ne se limite pas seulement à l’interdiction systématique des manifestations de l’opposition et à fermer les yeux sur celles des partisans du régime en place. Lors des élections municipales et départementales du 23 janvier dernier, certaines autorités territoriales avaient profité de leur position, de président de Commission chargée de réceptionner les dossiers de candidature en vue de ces élections locales, pour invalider plusieurs listes de l’opposition au motif que ces derniers étaient incomplets. Il s’agit notamment des préfets et sous-préfets des départements de :c Saint-Louis, Matam, Mbour… Malgré le tollé qu’avait soulevé leur décision que certains spécialistes du processus électoral sénégalais considéraient à l’époque comme une violation des dispositions du Code électoral, préfets et sous-préfets étaient plutôt restés indifférents. Saisis par les responsables de l’opposition qui ont attaqué leurs décisions, les présidents des Cour d’appel de Saint-Louis et de Thiès ont finalement cassé l’invalidation décidée par ces préfets, tout en ordonnant la réception des listes rejetées.

Nando Cabral Gomis 

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