Ballons de sonde, bonneteau et troisième larron

par Dakar Matin

Ou bien nous sommes des gens qui voient le mal partout ou alors nous assistons effectivement à une stratégie bien coordonnée pour pousser le président de la République, Macky Sall, à briguer un troisième mandat en 2024. Une stratégie dont nous assistons aux premières manifestations voire aux prémices en une manière de ballons de sonde pour tester l’opinion. Selon que les réactions de cette dernière seront indifférentes ou plutôt favorables, on s’enhardira, on deviendra grave comme la petite-fille de Victor Hugo et on montera en gamme jusqu’à ce que le principal concerné lui-même, face aux demandes pressantes fusant de partout, déclare de sa propre bouche qu’il est candidat à un troisième mandat. Sinon, en cas de réactions violemment hostiles, il sera toujours temps de rétropédaler en disant « courage, fuyons ! »

Les premiers ballons de sonde sont donc lancés avec, pour la scène 1, dans le rôle du principal acteur, le président de la République lui-même. Lequel, à la faveur d’une visite-« surprise » (c’est ce qu’on a voulu nous faire croire !), le weekend dernier, dans la mairie de Wakhinane-Nimzatt, la seule qui avait résisté à la bourrasque Yewwi Askan Wi lors des élections locales de janvier dernier dans le département de Guédiawaye, s’est prêté à une mise en scène même pas digne d’un film de série B. Voire d’un navet ! Pendant que, donc, il conduisait lui-même son bolide valant au moins de 50 millions de francs sur la VDN 3, avec sa douce moitié à ses côtés, ne voilà-t-il pas qu’il est stoppé net par un citoyen prétendument lambda qui a freiné devant lui avant de débouler de sa voiture et venir engager la conversation avec notre cher président ! Et alors que ce dernier devisait avec des populations accourues, spontanément n’en doutons pas, on entend l’individu en question suggérer au Président de faire un troisième mandat qui relèverait, selon lui, d’« une demande sociale ».

Gageons que si le président de la République n’était pas demandeur, son équipe de com, pas très loin, et qui a répercuté cette forte « demande sociale » sur les réseaux sociaux, se serait bien abstenue de le faire ! Et aurait, comme Racine Talla, le distingué hôte du président de la République sait si bien le faire, censuré cet élément sans autre forme de procès ! Hélas, l’individu demandeur de troisième mandat a été démasqué ensuite par les réseaux sociaux comme étant un militant de l’APR proche de Brejnev Talla, le directeur de la RTS et maire de…Wakhinane Nimzatt. Le monde est petit…

Scène 2. Cheikh Kanté, le « Baye Fall du Président », est à la manœuvre. Dans deux sorties effectuées sur un site d’informations, et aussi dans les colonnes de ce journal, le ministre en charge du Suivi du PSE demande de « convaincre le président Macky Sall à effectuer un deuxième mandat en 2024 ». Pour l’actuel président du conseil départemental de Fatick et inconditionnel du Président Macky, en effet, le premier mandat — qui couvrait la période allant de 2012 à 2019, soit sept ans — comptait pour du beurre. Après le référendum de 2017, il fallait remettre les compteurs à zéro ! Et donc, en avant pour un deuxième mandat quinquennal du président Macky Sall. Et ne dites surtout pas que c’est un troisième mandat.

Et comme si cela ne suffisait pas, Pr Ismaïla Madior Fall, thuriféraire et théoricien du troisième mandat après en avoir été le grand contempteur — « nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs » avait-martelé trois fois avant de rejoindre le camp de celui qu’il mettait en garde alors —, Pr Ismaïla Madior Fall, donc, était sur les ondes d’une radio de la place où ses propos sur les risques de déchéance de Mimi Touré en tant que députée ont éclipsé sa position sur le troisième mandat. Mais c’est bien, pourtant, sa position sur cette question qui lui a valu son retour au Gouvernement !

Pour dire que ce n’est pas un hasard s’il y a eu toutes ces sorties en faveur du troisième mandat le weekend passé. Pour le moment, le président de la République avance masqué et se contente de pousser ses pions. Il veut présenter ce troisième mandat comme une demande émanant du bon peuple ainsi que le susurre le Dr Cheikh Kanté et ainsi que le montre aussi cette vidéo maladroite tournée sur la VDN 3 (tiens, 3 comme ce mandat supplémentaire dont rêve le Président !) ce weekend. Cela nous rappelle ces scènes grotesques auxquelles nous avait habitués le défunt président tchadien Etienne Gnassingbe Eyadema, père de Faure actuellement au pouvoir, lorsque, régulièrement, il faisait mine de vouloir abandonner le pouvoir. Aussitôt, des dizaines de milliers de Togolais se mobilisaient « spontanément » devant son palais pour supplier le « miraculé de Sarékéwa » — en référence au crash d’avion dont il avait survécu — de ne pas les abandonner !

Pour en revenir à notre cher pays, trêve de ballons de sonde car il faudra bien que le président de la République se découvre et franchisse le Rubicon en disant « oui, je veux faire un troisième mandat ! » A ce moment-là, et après lui, le Déluge !

« Bi gagne, bi perte » comme au « ñeti xob » !

Oh, bien sûr, depuis longtemps, on voyait venir. Sans remonter très loin, son dernier remaniement ministériel en date, c’est-àdire l’équipe Amadou Bâ, avait déjà donné des indications sur la direction que souhaite emprunter celui qui se qualifiait de « lion qui dort ». En effet, pour une équipe qui prétend s’attaquer d’arrache-pied aux innombrables problèmes des Sénégalais, c’est très pléthorique pour être honnête. Avec 38 ministres aux prérogatives qui se chevauchent, bonjour l’efficacité. A titre de comparaison, la Côte d’Ivoire, notre plus grand rival au sein de l’espace Uemoa, a mis en place une équipe resserrée mais hyper-compétente. Sans compter que beaucoup de membres de ce gouvernement Ba, plutôt que de l’être pour leurs compétences, semblent avoir été choisis plutôt pour leurs talents de castagneurs et de croiseurs de lances avec l’opposition. Un « gouvernement de combat », certes, mais contre Ousmane Sonko ! C’est également sous cet angle de reconquête qu’il faut lire les nominations à la tête des sociétés nationales effectuées durant les trois derniers Conseils des ministres. Des légions de responsables APR recalés du gouvernement ont été bombardées à la direction générale ou à la présidence du conseil d’administration de ces pauvres sociétés. Pauvres en ce sens qu’il faut pleurer leur sort entre des mains si inexpertes, si incultes et souvent si incompétentes. Mais riches de ressources à dilapider pour le seul objectif di moment qui vaille, la réélection du Conducator !

Et alors que partout ailleurs dans le monde, particulièrement dans les pays développés, d’Europe notamment, l’heure est à la sobriété, autre nom de l’austérité, le président Macky Sall, lui, ouvre toutes grandes les vannes des dépenses publiques. Ainsi, pour 2023, les Sénégalais auront droit à un budget record de 6400 milliards de francs dont plus de la moitié consacrée au « social ». Autrement dit, un budget d’année pré-électorale destiné à multiplier les cadeaux à l’endroit des citoyens-électeurs ! Plutôt donc que de rationnaliser les dépenses improductives, à défaut de les supprimer, le président de la République les multiplie. Normal, le Sénégal sera un pays riche à partir de cette année de grâce 2023 où débutera l’exploitation de notre pétrole et de notre gaz. Justement, par-delà toutes les circonvolutions et les programmes politiques mirifiques prétendant changer notre quotidien, ce sont en réalité ces hydrocarbures qui cristallisent toutes les passions entre le pouvoir et l’opposition et menacent de brûler ce pays. Pour le président Macky Sall et ses féaux, en effet, il est hors de question, limitation des mandats ou pas, de quitter le pouvoir au moment où l’argent du pétrole et du gaz va couler à flot dans le pays. Pour des raisons exactement contraires, on se dit dans le camp d’en face qu’il est inenvisageable de laisser la Camorra actuelle bouffer toute seule cette manne. Quitte à embraser le Sénégal, pas question de laisser le président Macky Sall et son clan en profiter tout seuls. Pendant qu’ils vont s’entretuer risque de surgir un troisième larron qui va les écarter pour profiter à lui seul de la manne ! On viendra après nous parler de « malédiction du pétrole » alors que c’est plutôt l’incurie de nos politiciens qu’il faudrait incriminer…

Déterminé, donc, à jouer les prolongations bien au-delà de 2024, Macky Sall a donc entrepris de rebattre les cartes dans une situation qui lui est pour le moins défavorable. Ainsi, comme un magicien, il a sorti de sa manche la carte de l’amnistie à Karim Wade et Khalifa Sall, histoire de les remettre dans le jeu électoral. Reste à savoir si ces deux, qui ont de vieux comptes à régler avec l’actuel président, accepteront d’entrer dans son jeu. Sans compter qu’il n’est pas sûr que les Sénégalais, experts en matière de « dégagisme », se laisseront prendre à cette manœuvre de diversion. En tout cas, comme un joueur de bonneteau — ce qu’on appelle ñetti xob chez nous ! —, le Président essaye de bluffer les Sénégalais. En une manière de leur dire : « regardez bien ces trois cartes que je tiens en main. Dans la première il est marqué : « 2012-2019 », dans la deuxième « 2019-2024 », dans la troisième « 2024 + infini ». Si je vous dis que j’ai dirigé ce pays de 2012 à 2019 année à laquelle j’ai été réélu pour diriger jusqu’en 2024, combien de mandats- ai-je fait ? Deux ? Perte nga ! car, je n’ai fait qu’un mandat et un quinquennat sama rakk ! » La Constitution parlant de mandat, il suffit de raisonner en termes de quinquennat et le tour est joué. Du bonneteau que le Président joue avec nous, qu’on vous dit. Pour lui, ce forcing, ça passe ou ça casse. Avec plus de risques de casser que de chances de passer !

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