Le Parti socialiste est miné actuellement par une crise interne. Deux de ses responsables aux profils différents manœuvrent pour prendre le contrôle de la formation fondée par le premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor
Vers la fin d’un compagnonnage dans Benno avec une double incertitude (déclaration de candidature et réélection) autour d’un troisième mandat de Macky Sall, nécessité de se repositionner sur l’échiquier politique national, émergence de Khalifa Sall et Barthelemy Dias au sein de l’opposition… Face à ce contexte à multiples inconnues, émerge au PS un sujet dominant. Après Aminata Mbengue Ndiaye, qui pour hériter des rênes du parti ? L’autre question a trait aux retrouvailles de la famille socialiste. En tout cas, au sein cette formation politique qui a dirigé le Sénégal durant ses 40 premières années en tant que pays indépendant, de rudes empoignades se dessinent déjà. Sauf miracle, elles vont opposer les deux seuls actuels ministres de ce parti, à savoir Serigne Mbaye Thiam et Alioune Ndoye pour la direction du parti du président Senghor. Des spécialistes politiques livrent leurs avis sur cette guerre fratricide.
Le Parti socialiste est miné actuellement par une crise interne. Deux de ses responsables aux profils différents manœuvrent pour prendre le contrôle fondé par le premier Président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor. Alioune Ndoye et Serigne Mbaye Thiam, ministres de la République et représentants du Parti socialiste dans le Gouvernement, ambitionnent tous les deux de succéder à l’emblématique Ousmane Tanor Dieng après une transition assurée par Mme Aminata Mbengue Ndiaye, actuelle présidente du Haut conseil des collectivités territoriales.
La bataille pour la direction du Parti socialiste a toujours été âpre. Avant le départ de Senghor, sa succession avait déjà été âprement disputée entre des responsables comme Babacar Ba, Moustapha Niass et d’autres ténors. Mais, dribblant tout son monde, le poète-président avait porté son choix sur le technocrate Abdou Diouf. A son tour, ce dernier a jeté son dévolu sur le diplomate Ousmane Tanor Dieng pour diriger le Ps en tant que Premier secrétaire alors que des poids lourds comme Moustapha Niasse — encore lui — et Djibo Kâ étaient sur les rangs. Frustrés parce choix, ces deux responsables avaient claqué la porte du Ps contribuant à sa perte du pouvoir en 2.000. Après le décès de Ousmane Tanor Dieng, au nom de la nécessité de préserver la cohésion de cette formation sexagénaire, un compromis avait été trouvé sur la nécessité de laisser Mme Aminata Mbengue Ndiaye assurer la transition. A ce titre, elle avait hérité de la présidence du Hcct qu’exerçait OTD en application du principe « gagner ensemble et gouverner ensemble » qui était à la base de la constitution de la coalition Benno Bokk Yaakar soutenant le président Macky Sall. Pour récompenser ses deux principaux alliés, à savoir les leaders du Parti socialiste et de l’Alliance des Forces de Progrès (Afp), Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse respectivement, il leur avait donné à chacun la présidence d’une institution. Le dernier nommé s’était retrouvé à la tête de l’Assemblée nationale.
L’histoire est sur le point de se répéter avec l’éventuel départ d’Aminata Mbengue Ndiaye, actuelle secrétaire générale de cette formation politique par intérim et investie présidente du Haut conseil des collectivités territoriales. Les deux ministres qui ont le plus profité du compagnonnage du PS avec l’APR dans le cadre de la coalition Benno Bokk Yakaar se positionnent pour succéder à l’ancienne mairesse de Louga.
Alioune Ndoye, un enfant du parti bénéficiant d’un réel ancrage
Le ministre Alioune Ndoye, qui cherche à freiner les ardeurs de Serigne Mbaye Thiam, a un ancrage politique très solide dans le parti des Verts de Colobane. Dynamique et moins jeune que son concurrent, son statut de ministre rigoureux dirigeant une mairie au cœur de la capitale pourrait lui donner beaucoup plus d’atouts pour prendre le dessus dans ce combat pour la conquête du Ps. L’homme a gagné sa commune de Dakar Plateau aux locales et a même réussi le tour de force de rempiler à sa tête. Investi tête de liste départementale lors des dernières élections législatives, même si BBY a perdu Dakar, Alioune Ndoye avait fait gagner sa coalition à Dakar-Plateau lors de ce scrutin. Et d’après certains spécialistes, il aurait un meilleur profil que Serigne Mbaye Thiam pour succéder à Aminata Mbengue Ndiaye.
Serigne Mbaye Thiam, bénéficiaire des largesses de Tanor
Serigne Mbaye Thiam, qui s’engage dans ce combat pour le contrôle du Parti socialiste, aurait bénéficié du soutien d’Ousmane Tanor Dieng pour être ministre. D’après certains, il doit toute son évolution administrative au défunt secrétaire général de ce parti. Abdoulaye Gallo Diao, un des poils à gratter de cette formation, a rappelé récemment dans un journal de la place que Serigne Mbaye Thiam a tout obtenu du Parti socialiste, sans rien donner en retour. D’autres, certainement ses détracteurs, estiment que l’actuel ministre de l’Eau n’a pas une base politique. Et il a été récemment très contesté par l’homme d’affaires Aly Mané qui, lui, en plus d’avoir gagné la mairie de Paoskoto avait brigué avec succès le conseil départemental de Nioro avant de réussir à se faire élire député.
Même s’il est présenté comme étant peu charismatique, voire cassant, Serigne Mbaye Thiam n’en est pas moins un brillant technocrate maîtrisant parfaitement ses dossiers. D’où sa réussite dans tous les ministères, essentiellement techniques, où il est passé. Ses partisans expliquent que tous les responsab les qui se répandent dans la presse pour déverser leur fiel sur lui et casser du sucre sur son dos sont des maîtres chanteurs ou des entrepreneurs à qui Serigne Mbaye Thiam, du fait justement de sa rigueur, a retiré des chantiers qu’il leur avait confiés du fait du mauvais travail qu’ils avaient fait. Ces derniers en auraient donc conçu une rancune tenace contre l’alors ministre de l’Education nationale. Une rancune qui le poursuit depuis.
Confidence d’un de ses proches : « Serigne Mbaye Thiam aide beaucoup de responsables et de militants dans la plus grande discrétion, conformément à sa nature. Pour autant, il ne va pas détourner l’argent des structures qui lui sont confiées pour arroser ses parents, ses laudateurs ou les socialistes qui se réclament de lui ! »
BAKARY DOMINGO MANÉ, JOURNALISTE-POLITOLOGUE : «Une personnalité froide ne peut pas diriger un grand parti de masse comme le Ps»
Selon le journaliste et politologue Bakary Domingo Mané, Serigne Mbaye Thiam est un socialiste pur et dur qui connaît bien la maison des Verts. Le ministre de l’Eau et de l’Assainissement, dit-il, a cheminé avec Abdou Diouf et Ousmane Tanor Dieng. Mais il a une personnalité un peu froide pour diriger un grand parti de masse.
Sur les manœuvres internes menées par Serigne Mbaye Thiam et Alioune Ndoye pour le contrôle du Parti socialiste, M. Mané estime que le premier n’a pas le cran nécessaire pour diriger un parti comme le Ps. En effet, soutient-il, la gestion d’un grand parti exige de l’ouverture. Et Serigne Mbaye Thiam est un technocrate. Ce qui n’est pas suffisant pour diriger un parti comme le Ps. La politique, poursuit l’ancien journaliste à « Sud Quotidien », n’est pas seulement technique. « Si on le désignait numéro un du parti, il faudrait qu’il apprenne à s’ouvrir aux autres. De loin, on voit qu’il n’est pas d’un commerce facile et la politique au Sénégal demande une connaissance profonde de la sociologie politique de ce pays », veut croire Bakary Domingo Mané.
D’après l’analyste, si le Parti socialiste doit avoir un avenir, il ne se fera pas avec Aminata Mbengue Ndiaye en fin de règne. Il qu’il faut des jeunes comme Alioune Ndoye et autres pour redynamiser ce parti. « La politique du temps du Parti socialiste, de l’UPS et autres, c’est révolu maintenant. Nous sommes à l’ère du numérique. Il faudrait un profil qui puisse assimiler tout cela », insiste-t-il.
IBRAHIMA BAKHOUM, JOURNALISTE : «La posture d’Aminata Mbengue Ndiaye dérange au sein du PS
Le journaliste, politologue et formateur Ibrahima Bakhoum est d’avis que, depuis son élection à la tête du Haut conseil des collectivités territoriales, la posture de Aminata Mbengue Ndiaye, même si elle n’est pas ouvertement critiquée, dérange au sein du Parti socialiste, surtout au niveau des jeunes. Les revers de Benno durant les locales et les législatives avaient fini de pousser certains à réclamer une candidature de leur parti pour la présidentielle de 2024. Faisant une analyse fine de la situation actuelle du Parti socialiste, M. Bakhoum a évoqué les attaques contre Serigne Mbaye Thiam. Même sa reconduction au sein du nouveau gouvernement, dit-il, a été contestée au sein du Parti socialiste. Ce faisant, une rude bataille se dessine déjà entre lui et Alioune Ndoye pour le contrôle du Parti socialiste.
Le politologue rappelle que lorsque Alioune Ndoye avait été classé Pro-Khalifa Sall et avait suivi ce dernier dans sa fronde, Serigne Mbaye Thiam était resté un fidèle militant qui n’a jamais quitté le PS. Il est resté au moment de la crise du temps de Tanor Dieng. Ce choix a forgé sa crédibilité. Cela dit, concède-t-il, cela ne saurait être un motif valable pour écarter Alioune Ndoye qui était revenu très tôt dans la maison du Père.
A en croire Bakhoum, pour consolider le compagnonnage durable du Ps avec la coalition Benno, Serigne Mbaye Thiam est plus indiqué pour le poste de secrétaire général du Ps. « Le PS a un bilan avec BBY même si c’est avec des passifs et des actifs. Pour ces passifs et actifs, Aminata Mbengue Ndiaye et Serigne Mbaye Thiam sont les premiers concernés. Alioune Ndoye a aussi marqué son territoire. Durant les locales, si Benno a pu gagner quelque chose à Dakar, c’est grâce à lui. Et c’est très important. Mais la question est de savoir où est-ce que le PS est actuellement le plus fort au Sénégal ? Le compagnonnage avec Benno a aussi fatigué le Parti socialiste, car malgré son apport, ils n’a pas eu le retour mérité » poursuit Ibrahima Bakhoum.
Selon lui, avec l’usure du pouvoir, force est de reconnaître que le PS aussi a perdu de son envergure. Les socialistes, souligne-t-il, sont comptables des actifs du régime de Macky Sall. Mais aussi, de son passif. Ce qui va forcément les impacter. D’où la question des retrouvailles au sein du PS. D’après le doyen Ibrahima Bakhoum, deux options se dessinent. « Si c’est pour Dakar, Alioune Ndoye peut revendiquer sa victoire et dans la capitale où le PS a des chances de revivre. Mais, à l’intérieur du pays, la palme revient à Serigne Mbaye Thiam qui peut avoir le soutien d’autres têtes comme Abdoulaye Wilane. Et sa position au sein du gouvernement lui offre plus de visibilité », se hasarde le journaliste et politologue.
Qui est d’avis que la recomposition semble plus complexe. Puisque Khalifa Sall et compagnie portent toujours une vision du PS. Aïssata Tall Sall aussi est estampillée PS. Et même l’AFP a ses origines au sein du Parti socialiste. Mais, rappelle-t-il, c’est sa déflagration qui a fait que les rangs du parti socialistes sont aujourd’hui clairsemés. D’où la conclusion d’Ibrahima Bakhoum selon laquelle le PS a besoin de temps pour se reconstruire face à ses nombreux défis…
Zaynab SANGARE