Un siècle après son rappel à Dieu, Elhadji Malick SY est l’absent le plus présent lorsqu’il s’agit de parler du prophète (PSL), mais aussi de la confrérie Tidiane. Maodo, c’est le réformateur de l’islam. Il constitue à lui seul une école, un esprit mais aussi une méthode. Ce soufi a été un acteur majeur de la décentralisation et de la déconcentration de l’islam au Sénégal.
Érudit de l’islam, Elhadji Malick Sy a été déterminant dans l’implantation de l’islam dans le milieu urbain et rural. Né vers 1855, à Gaya une commune du département de Dagana, il mémorisa le coran avant d’assimiler les savoirs islamiques et d’être initié au « wird » de la Tarîqa Tijâniyya dès l’âge de 18 ans. Ce fin lettré devait user de méthodes pour propager l’islam. La colonisation française, bien que poursuivant son œuvre de pacification de l’intérieur du pays, s’attachait plus aux villes : centres économiques et culturels vitaux. Ainsi, les centres urbains demeuraient un véritable enjeu pour l’Empire colonial. Dans le cadre de sa résistance « passive et culturelle », El Hadj Malick Sy aura d’ailleurs compris cette stratégie et s’intéressera aux villes où la Tijâniyya compte, encore aujourd’hui, la majorité de ses disciples. D’ailleurs, feu le professeur Iba Der Thiam confiait : « La colonisation est à la fois une entreprise d’occupation territoriale, de domination politique et d’aliénation culturelle. »
C’est cette dernière forme qui focalisera l’attention des marabouts soufis tel que El Hadj Malick Sy. Il n’aura pas la tâche facile car la société urbaine à laquelle il s’adressa était, depuis plusieurs décennies, traversée par de très profondes crises. Il s’est alors appuyé sur la Tijâniyya dont il était la principale figure sénégalaise, en son temps, pour remplir cette fonction. Il a fait de la pratique de l’islam et de la vie confrérique la base de sa résistance « passive » et a vulgarisé l’enseignement islamique dans de nombreux « foyers ardents » accueillant des disciples de toutes les régions du pays. L’originalité de ce soufi fut son refus de s’attirer des disciples en accomplissant des « miracles ». La tradition orale lui attribue cette phrase : « Il n’y a rien de plus laid pour un homme de Dieu de se transformer en thaumaturge pour convaincre et séduire ».
Le propagateur de l’islam
Il s’installa à Tivaouane qui devient, alors, à l’instar de Pire Goureye au siècle précédent, un rayonnant centre de la culture islamique. La stratégie de El Hadj Malick Sy consista à enseigner, d’abord, les savoirs encadrant les pratiques islamiques (‘ibâdât) aux talibés avant de s’attaquer à la mystique, comme phase supérieure à condition que le disciple maîtrise les notions de base. Dans cette école, le Cheikh formait ses disciples qui allaient devenir les grands muqaddam de la tarîqa. Le contrôle strict qu’exerçait l’Administration sur les structures religieuses a certainement obligé le marabout à adopter un système de décentralisation. Au lieu d’agrandir son école de Tivavoane, cette « université populaire » dont parlait Paul Marty- ce qui pouvait lui attirer des ennuis de la part des autorités coloniales -, El Hadj Malick a préféré renvoyer, dans leurs régions d’origine, ses anciens disciples. Ces derniers étaient suffisamment versés en matière religieuse et pouvaient, par les enseignements de la tarîqa qu’ils incarnaient, représenter chez eux, le cheikh et la Tarîqa Tijâniyya et en prolonger l’action. La revue égyptienne Al-Azhar, dans une présentation de El Hadj Malick Sy et de son œuvre, soutient que « grâce à lui, l’Islam a connu son épanouissement dans ce pays (Sénégal) en créant des écoles, des mosquées, des zâwiya, et, poursuit la revue, il a aussi formé « de brillants érudits qui se sont éparpillés dans tous les coins du pays telle l’expansion de la lumière dans l’obscurité ».
Les foyers d’éducation spirituelle
Le cheikh, comme pour contrecarrer la politique d’assimilation menée par les colons, chargera à des muqaddam, de représenter la tarîqa partout où il l’estimait nécessaire. Ainsi, il envoya son ancien disciple, Serigne Alioune Diop Maïmouna, à Gaya, Serigne Birahim Diop à Saint-Louis, l’un des fleurons de la colonisation française en Afrique occidentale. El Hadj Abdoul Hamid Kane sera détaché à Kaolack, en plein centre du bassin arachidier sénégalais (centre-ouest du pays). D’autres disciples seront envoyés dans plusieurs pays de la sous-région. On peut en citer quelques-uns. Il s’agit de El Hadj Amadou Bouya Gueye en Côte d’Ivoire, El Hadj Madior Diongue au Congo, Serigne Ndary Mbaye au Gabon, El Hadj Babacar Dieng en Centrafrique et El Hadj Abdou Ndiaye à Bamako. D’après, Serigne Abdou Azîz Sy AL Amin, « Maodo avait envoyé tous ses ténors de la Tijâniyya en leur demandant d’aller faire un sacrifice en continuant son œuvre d’éducation spirituelle ». En somme, il développa toute une stratégie d’islamisation décentralisée sans mouvements.
Tivaouane en 1902
Et Docteur Mamarame Seck « En1889, il effectua le pèlerinage à la Mecque. Après plusieurs séjours dans plusieurs localités du pays, il finit par s’installer en 1902 à Tivaouane, dans le Cayor, une ville de commerce très accessible, mais dans des circonstances non encore élucidées. Elle est aujourd’hui le centre de la Tijaniyya au Sénégal. Il y initia le gamou annuel. Il mène aussi une cohabitation pacifique des centres urbains avec le colonisateur français, même s’il joue une place importante dans l’aliénation et l’expansion islamique au Sénégal. À la fermeture de la ferme agricole de Ndiarndé, les muqqadams se sont répartis partout au Sénégal et même dans la sous-région dans le cadre de l’expansion islamique. La réforme de El Hadj Malick Sy inclut, entre autres, le rejet des pratiques traditionnelles tel que le mysticisme débordant, les mises en garde de ses coreligionnaires contre les « pièges » du soufisme, l’adresse aux « faux » marabouts, entre autres. Elle porte surtout sur la vie sociale et « la pratique de l’islam pur dans la société. »