L’amnistie permet de brouiller les pistes quant au troisième mandat

par pierre Dieme

Jean Charles Biagui, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Ucad se prononce sur le cas Karim Wade-Khalifa Sall

La demande soudaine adressée par le chef de l’Etat, Macky Sall, au Garde des Sceaux, ministre de la Justice, « d’examiner dans les meilleurs délais les possibilités et le schéma adéquat d’amnistie pour des personnes ayant perdu leurs droits de vote », lors de la première réunion du Conseil des ministres, avec le nouvel attelage gouvernemental piloté par le non moins nouveau Premier ministre Amadou Ba, le mercredi 28 septembre, est tout sauf un fait anodin. L’avis est de l’Enseignant-chercheur en Sciences politiques à la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Interpellé sur la question en effet hier, jeudi 29 septembre, Jean Charles Biagui, Maître de Conférence assimilé, a qualifié cette décision du Président Macky Sall de « stratégie politicienne » visant à le faire revenir au cœur du jeu politique après les défaites enregistrées cumulativement aux élections locales de janvier et aux Législatives de juillet dernier.

«La question de l’amnistie en faveur de Karim Wade et Khalifa Sall était dans les tuyaux depuis un moment. La récente décision du président de la République d’aller dans ce sens n’est donc pas une surprise. En revanche, le contexte dans lequel s’inscrit cette volonté d’amnistie nous pousse à penser qu’il s’agit encore une fois malheureusement d’une stratégie politicienne visant à revenir au cœur du jeu politique après les nombreuses défaites aux élections locales de janvier et aux législatives de juillet dernier. Parler d’amnistie au moment où le débat volontairement soutenu par le pouvoir sur le 3ème mandat bat son plein est un moyen de brouiller les pistes quant aux réelles intentions du président Macky Sall. Il est encore trop tôt pour connaître les motivations profondes de cette volonté d’amnistie. Mais la stratégie et les propositions du ministre de la Justice nous renseigneront très prochainement. Pour l’heure, je reste convaincu du souhait actuel du chef de l’Etat de briguer un 3ème mandat contrairement à la lettre et à l’esprit de la Constitution sénégalaise. Seule la pression des Sénégalais pourrait lui faire changer d’avis. Après avoir instrumentalisé la justice pour éliminer des adversaires politiques, après avoir dépensé des millions de CFA du contribuable dans des procès qui n’honorent pas l’Etat de droit, je doute de la bonne foi du pouvoir ».

UN OUTIL DE SÉDUCTION POUR BROUILLER LES PISTES QUANT AU 3ÈME MANDAT!

« Macky Sall a eu au cours de ses deux mandats plusieurs opportunités pour pacifier l’espace politique et faire ainsi rentrer le Sénégal dans une dynamique démocratique irréversible. Il a malheureusement cherché à verrouiller le jeu politique en limitant par exemple les candidatures aux élections avec le parrainage, en éliminant des candidats jugés sérieux par une judiciarisation de la politique, en réduisant au minimum les mobilisations collectives par l’interdiction des manifestations et les arrestations arbitraires. A côté de cela, le pouvoir n’a jamais montré sa fermeté dans l’instrumentalisation de plus en plus notoire de l’identité. Les dernières défaites stratégiques aux élections montrent un pouvoir à bout de souffle, à la fin proche. Je ne suis pas sûr que l’amnistie qu’il veut accorder à Karim Wade et Khalifa Sall va changer cette réalité. Il est néanmoins évident que la question de l’amnistie est un outil de séduction et permet aujourd’hui de brouiller les pistes quant au 3ème mandat ».

 KARIM WADE ET KHALIFA SALL COMME PRÉTEXTE POUR ÉVITER DE FUTURES POURSUITES AUX MEMBRES DU RÉGIME ACTUEL?

« Si le pouvoir choisit une loi d’amnistie, il est clair qu’elle ne pourra pas viser uniquement Karim Wade et Khalifa Sall. La règle de droit est générale et impersonnelle. Dès lors, le cas de ces deux hommes politiques pourrait servir de prétexte pour éviter de futures poursuites aux membres du régime actuel comme dans le cadre de la loi Ezzan en 2005. Ce serait un autre exemple de la réalité de l’impunité dans un pays où les fonctionnaires et les hommes politiques s’enrichissent en se servant sans scrupule de l’Etat et où 2000 personnes environ peuvent périr dans un naufrage sans qu’il y ait de responsables malgré les lourdes fautes humaines constatées. »

Nando Cabral GOMIS 

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