Il n’est pas courant dans une démocratie, on l’admettra, d’assister à l’élection d’un président de l’Assemblée nationale sous l’arbitrage de gendarmes présents dans l’hémicycle en nombre à peine moins réduit que celui des députés !
Il n’est pas courant dans une démocratie, on l’admettra, d’assister à l’élection d’un président de l’Assemblée nationale sous l’arbitrage de gendarmes présents dans l’hémicycle en nombre à peine moins réduit que celui des députés ! c’est pourtant cette image lamentable et digne des pays sous régimes militaires que notre pays a offerte au reste du monde ce lundi.
Une des causes du désordre constaté, c’est le refus des députés de l’opposition de permettre que les ministres en exercice élus députés prennent part au vote. Il a fallu plusieurs heures de débats passionnés, d’invectives, d’empoignades, d’insultes et autres chahuts pour que l’ont pût enfin procéder au vote. Après l’appel à la rescousse des gendarmes pour qu’ils arbitrent les opérations électorales !
Si une telle situation était inédite c’est parce que, tout simplement, dans les précédentes législatures, les usages voulaient que le Gouvernement fût formé d’abord et l’Assemblée installée après. Hélas, parce qu’il voulait contrer d’éventuelles frondes dans son camp et donner des raisons d’espérer aux ténors de celui-ci en leur faisant miroiter la possibilité de devenir ministres en cas de non-présence dans le bureau de l’institution sise Place Soweto, le président de la République a cru devoir chambouler ces usages qui avaient si bien fonctionné jusque-là. En inversant le calendrier c’est-à-dire en faisant procéder d’abord à l’installation des députés nouvellement élus avant de former son Gouvernement. C’est cette inversion qui a donné le triste charivari de lundi dernier.
Selon donc l’excellente tradition qui prévalait jusque-là, les députés nommés ministres envoyaient leurs lettres de démission un ou deux jours avant la date prévue pour l’ouverture de la législature. Les services de l’Assemblée nationale convoquaient alors les suppléants des démissionnaires qui patientaient dans une salle attenante le jour J. A l’ouverture de la séance, le doyen d’âge procédait à l’appel nominal des députés. Après quoi, il déclarait à peu près ceci : « j’ai reçu les lettres de démission de nos collègues X, Y et Z. L’Assemblée prend acte de leurs démissions. » Puis, on demandait aux huissiers de faire entrer les suppléants devenus députés qui étaient accueillis avec des applaudissements par les collègues. L’élection du président de l’Assemblée nationale pouvait intervenir à la suite de ces formalités. Inutile de dire que, dans le passé, il n’y avait pas beaucoup de candidats au Perchoir en raison de la supériorité écrasante de la majorité présidentielle. De ce point de vue, une candidature de l’opposition relevait de la prétention. Une seule fois, peut-être, il y a eu un challenger au candidat de la majorité et c’est lorsque feu Abdoulaye Faye du Parti démocratique sénégalais (Pds) avait décidé de défier Youssou Diagne désigné par les instances du parti libéral auquel il appartenait du reste…
De sources proches de l’administration de l’Assemblée nationale, s’il y a plusieurs candidatures, les bulletins doivent effectivement comporter des noms. En cas de candidature unique, le bulletin rouge traduit le vote contre. S’il y a plusieurs prétendants, le « oui » est remplacé par les feuilles comportant les noms des candidats.
Une chose intéressante aurait pu se passer lundi dernier à l’Assemblée nationale si l’opposition avait pris part au scrutin et voté comme un seul bloc contre le candidat du pouvoir. Pour rappel, si aucun candidat n’obtient la majorité absolue au premier tour, le règlement dispose qu’un second est organisé avec les deux candidats arrivés en tête. Dans ce cas, une majorité relative suffit pour être déclaré vainqueur. Sauf que, lundi, si donc l’opposition n’avait pas boudé et si Mimi avait voté contre le candidat de son camp — on nous dira qu’avec des « si » on pourrait mettre Paris en bouteille ! —, Dr Amadou Mame Diop n’aurait pas pu être élu faute de majorité absolue. Et un second tour était impossible faute d’adversaire tandis qu’un troisième tour n’est simplement pas prévu par les textes ! Dans ce cas, il aurait fallu recommencer le scrutin un autre jour ! Hypothèse d’école, bien sûr, mais qui aurait tout aussi bien pu se vérifier il y a deux jours…
Un charivari signé Macky Sall
Pour éviter le désordre monstre noté lundi, il aurait suffi au président de la République de prendre un décret de dissolution du gouvernement avant l’ouverture des travaux de l’Assemblée nationale. N’étant plus ministres, en tout cas provisoirement, Abdoulaye Daouda Diallo, Abdoulaye Saydou Sow et Mariama Sarr auraient pu prendre part légalement au vote pour le choix du président de l’Assemblée nationale. Après quoi, en cas de reconduction au Gouvernement, ils pourraient continuer leur mission.
En fait, contrairement à ce qui a été entendu ici ou là, ceux qui ont huit jours pour démissionner après l’installation de l’institution pour démissionner, ce sont ceux qui exercent une fonction publique non élective comme le dit l’article 110 du règlement intérieur. « En conséquence, dit cet article, toute personne visée à l’alinéa précédent (souligné par nous) élue à l’Assemblée nationale est remplacée dans ses fonctions et placée dans la position prévue à cet effet dans les huit jours qui suivent son entrée en fonction… » L’alinéa précédent en question, c’est celui qui dit que « L’exercice de toute fonction publique non élective est incompatible avec le mandat de député ». Quant aux ministres, leur sort est réglé par l’article 109 qui dit ceci dans son unique alinéa : « Le mandat de député est incompatible avec la qualité de membre du Gouvernement (article LO 165 du Code électoral). » De ce point de vue, on donc dire que les députés de l’opposition avaient raison en soulevant ce point sous forme de motion préjudicielle lundi dernier. Seulement voilà, à force de faire les zouaves et de verser dans la surenchère, les bagarres et les comportements puérils, ils ont transformé ce qui aurait dû être une arme fatale pour le pouvoir en un boomerang qui leur est revenu en pleine figure ! Mais encore une fois, le responsable de cette situation inédite et scandaleuse, c’est le président de la République qui, pour des calculs politiciens, a choisi d’inverser l’agenda qui, jusque-là, était en vigueur de manière si heureuse dans l’installation des députés nouvellement élus !
Christian SENE