Transparence : qui contrôle la gestion des budgets dans la justice ?

par pierre Dieme

Comment la Cour suprême, le Conseil constitutionnel, les Cours d’appel et la Cour de répression de l’enrichissement illicite gèrent-ils les fonds publics ? Dans cette enquête, on a tenté de briser le tabou dans un secteur où l’omerta et l’anonymat sont érigés en dogme. Avec la nomination hier de Mamadou Badio Camara comme président du Conseil constitutionnel, Bés bi pose le débat sur l’inexistence de contrôle dans la gestion des budgets dans les juridictions.

Lors des élections législatives, elles font l’actualité politique. Ces juridictions étaient chargées de trancher les contentieux électoraux, de rendre justice au nom du Peuple. Mais la Cour suprême, le Conseil constitutionnel, les Cours d’appel et la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) ne laissent rien filtrer sur leur gestion. Bés bi, essaie depuis des mois de percer le mystère dans ces juridictions où la culture du secret érige la question de l’exécution du budget en sujet tabou. En effet, dans la Loi de finance initiale 2022, le budget du Conseil constitutionnel est de 1 milliard 233 millions 583 mille 600 franc Cfa tandis que la Cour suprême émarge avec 2 milliards 452 millions 252 mille francs Cfa. Dans ces organes judiciaires figurant dans l’ordonnancement constitutionnel des institutions de la République, la gestion financière est soumise à l’omerta. « Le Conseil constitutionnel, la Cour suprême et la Cour des Comptes bénéficient du régime d’Institution de la République, les fonds leur sont alloués directement sur leurs comptes de dépôt et de transfert courants et gérés par l’ordonnateur avec un trésorier (à peu près comme le Hcct et le Cese) », souligne un magistrat, à la retraite et ancien fonctionnaire au ministère de la Justice.

Dans cette enquête, on s’est résolu à accepter un principe : presque tous ceux qui y parlent ont conditionné leur prise de parole au respect de l’anonymat par le journaliste. Dans un domaine où l’accès à l’information relève du parcours du combatant, les rares personnes qui brisent le tabou exigent la protection. Dans l’article 11 de la Loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel, il mentionné que cette institution jouit d’une autonomie financière. « Le budget du Conseil constitutionnel est inscrit dans un chapitre spécial et fait l’objet d’un compte de dépôt au Trésor », dispose la Loi organique. Cependant, les tâches sont dévolues au président de l’institution. « J’ai fait 6 ans au Conseil constitutionnel et je ne recevais que mes indemnités. Sinon, je ne connais rien du budget. Le président gère seul le budget », glisse un ex membre de la haute juridiction du temps du président Cheikh Tidiane Diakhaté.

Les précisions de la Cour des comptes
En écho, le budget de la Cour suprême est également géré par le président. Mais lorsque nous avons saisi le service de communication de la Cour suprême, on nous a renvoyé au ministère de la Justice. Et là, malgré de nombreuses tentatives et des messages WhatsApp, ni le ministre de la Justice ni son service de communication n’ont voulu nous édifier. Le Secrétaire d’État chargé de la Bonne gouvernance et de la protection des droits humains nous avait même promis un entretien. Depuis, Mamadou Saliou Sow ne répond plus à nos messages. Alors, le fonctionnement de la Justice sombre-t-il dans la non-transparence ? Au Tribunal de Dakar, un magistrat nous a reçu dans son bureau pour expliquer le procédé. « Il y a le Code des marchés publics et la Loi organique qui organisent l’institution. Le président ne peut pas se lever pour ordonner une dépense à l’agent comptable sans qu’il y ait une procédure préalable. Il ne peut pas se réveiller un jour et faire une dépense », explique notre interlocuteur. En 2020, le Sénégal a adopté le principe du budget-programme comme méthode de gouvernance avec comme le processus la gestion axée sur les résultats. L’une des innovations de cette approche est le renforcement de la transparence dans le volet « information au public ». Cette réforme pose le principe de l’obligation légale de la publication, dans des délais appropriés, d’informations sur les finances publiques sur la base des outils suivants. « Si on parle du contrôle juridictionnel exercé par la Cour des Comptes, celui-ci ne concerne pas directement le Conseil constitutionnel ou la Cour suprême. Mais toutes leurs opérations budgétaires sont intégrées dans la comptabilité d’un comptable public qui rend à la Cour. C’est le compte de gestion de ce dernier qui est jugé par la Cour des Comptes », explique Aliou Niane, Secrétaire général de la Cour des comptes, très laconique dans sa réponse à nos multiples questions.

Contrôle de la gestion des juridictions et la colère du juge Kéba Mbaye
À travers, la Loi n° 2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques, le Sénégal s’est engagé à plus de clarté dans la conduite des affaires publiques. « Pour le contrôle, concernant les juridictions suprêmes, l’Igaj comme l’Ige peuvent procéder à des vérifications, rien ne l’empêche ; mais dans la pratique, je n’ai pas connaissance d’une telle occurrence », signale un magistrat de la Cour des comptes. En tout cas, depuis l’indépendance du Sénégal, on n’a jamais vu un rapport de la Cour des comptes sur la gestion financière dans les juridictions. « La création de l’Inspection générale de l’administration de la justice (Igaj) fait suite à l’opposition de Kéba Mbaye à une mission de vérification de l’Ige dans les cours et tribunaux. En anecdote, le président Mbaye s’y était opposé au nom de l’indépendance de la Justice et de la séparation des pouvoirs, jusqu’à intimer au procureur à l’époque d’interpeller tout vérificateur foulant le sol du Palais de justice. À la suite, le Président Senghor a créé l’Igaj pour la Justice. Les militaires se sont engouffrés dans la brèche pour obtenir aussi leur inspection générale des forces armées (Igfa) », enchaîne notre source.

Babacar Guèye DIOP

 

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