Délabrement, projets avortés, absence d’entretien, silence des autorités, l’île symbole au large de Dakar doit sans attendre faire l’objet d’une attention particulière du gouvernement sénégalais et de l’Unesco
L’île de Gorée, il faut beaucoup, beaucoup, beaucoup l’aimer pour pouvoir la supporter.
Ou plutôt pour supporter la maltraitance dont elle est victime et dont sont victimes ceux qui l’aiment .
Aujourd’hui plus que jamais, elle a besoin de notre soutien.
Gorée n’est pas seulement « l’île aux esclaves » visitée aux heures chaudes par les touristes.
Gorée, c’est une île à nulle autre pareille, habitée par une population joyeuse et solidaire, une véritable communauté, où l’abbé de la paroisse catholique et l’imam organisent prières et randonnées communes, où le vivre ensemble est une réalité, où toubabs et locaux se retrouvent délicieusement dans l’eau le matin avant l’arrivée des chaloupes, s’invitent à l’improviste pour déjeuner, dîner, boire un thé, se soutiennent et s’entraident.
Éléphant blanc
Gorée, c’est une île à l’architecture métissée d’une beauté inouïe ; mais c’est aussi une île qui tombe en ruine en raison de l’incurie d’un gouvernement qui semble ne pas compter dans son vocabulaire le mot « patrimoine » et de l’Unesco, qui n’a peut-être pas conscience de son abandon. L’Unesco, qui préfère soutenir un éléphant blanc, le Mémorial de Gorée, déjà en construction… à Dakar ! Alors que le seul mémorial de Gorée, c’est Gorée !
L’Unesco encore, qui laisse le gouvernement attribuer l’un des plus beaux bâtiments de l’île, l’Université des Mutants, aux initiateurs de ce mémorial. Depuis cette attribution, ce lieu sublime abandonné à des squatteurs est dans un tel état de décomposition qu’il n’a plus ni portes ni fenêtres et que ses escaliers se sont écroulés.
Et s’il ne s’agissait que de cette maison là…
L’île regorge de bâtiments splendides appartenant au ministère de la Culture et à l’État sénégalais, qui les abandonnent au même sort. Parmi eux, une merveille absolue, l’ancien Palais du gouverneur, pour lequel j’ai vu naître depuis quarante ans nombre de projets toujours démesurés, toujours inaboutis.
Que faire ?
En 2013 , il y presque dix ans maintenant, tout ce que Gorée comptait de personnes concernées par leur île a tenté de créer un mouvement citoyen et de lancer un appel intitulé « Sauvons Gorée », soulignant l’urgence d’agir non seulement pour sauver le patrimoine architectural de l’île, mais aussi pour offrir à sa population des conditions de vie décentes.
Car ce sont les habitants de Gorée qui font de Gorée une île vivante ; des habitants constamment menacés d’expulsion mais qui ont, paradoxalement, permis à ces bâtiments de ne pas s’écrouler en les occupant et en les entretenant tant bien que mal, avec des ressources limitées. Des squatteurs ? Après tant d’années, les occupants de ces lieux ne sont pas illégitimes. Et ils ont d’ailleurs, pour la plupart, un compteur électrique…
Un drame va arriver, c’est inévitable
Mais, je le dis, le crie ici haut et fort, ils sont en danger. Car ils vivent dans des lieux à la limite de l’insalubre, avec des escaliers et des planchers qui s’écroulent, des enchevêtrements de fils électriques qui ne demandent qu’à provoquer des courts-circuits.
Un accident, un incendie, un drame va arriver. C’est inévitable. Personne n’a le droit aujourd’hui de l’ignorer.
Quelles pourraient être les solutions ?
Côté bâtiments, nous proposions non pas quelques nouveaux éléphants blancs, mais des solutions raisonnables de restauration, pas à pas, par et avec des fondations, pour faire de l’île non pas un musée mais une terre de vie. Avec, ici et là, un centre de formation, une résidence d’artistes, une maison de jeunes, une bibliothèque ; des cours de sport, de danse ou de capoeira par des habitants d’une île qui regorge de talents.
Il suffirait d’un bail gratuit de quatre-vingt-dix-neuf ans, assorti de conditions réglementaires – dont celle de faire travailler des Goréens. Ni cher, ni compliqué, si tant est que l’on donne un vrai pouvoir à un Comité pour la sauvegarde de Gorée, avec une participation équilibrée entre l’État, la mairie de Gorée et les habitants de l’île.
Lettres mortes
Côté population, Xavier Ricou, un architecte goréen, a proposé une réhabilitation des grands ensembles surpeuplés, appartenant à l’État, dont l’école William-Ponty, le camp des gardes, l’ancien hôpital et l’ancien pavillon des sœurs. L’opération s’effectuerait « en tiroir », à savoir qu’un autre logement disponible sur l’île serait affecté aux occupants le temps de la réhabilitation et de la réintégration des habitants, moyennant un loyer modéré.
Pour cela, il aurait fallu être entendu par les ministres de la Culture, du Tourisme et de l’Artisanat, de l’Urbanisme et de l’Habitat, de l’Environnement et du Développement durable, de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales. Marie-José Crespin, éminente personnalité de l’île, les a tous rencontrés, accompagnée d’une délégation de Goréens, et leur a donné en mains propres des courriers à ce sujet. Restés lettres mortes.
Nous avons fini par baisser les bras.
Est-il possible de continuer à se taire?
Car il n’y a pas que cela !
Bloquer l’arrivée des chaloupes
Imaginez des chaloupes surchargées de mômes, parfois très jeunes, déversés sur l’île, attendant des heures à l’embarcadère, dans la chaleur et la poussière, puis dans l’île (pour la visite de la Maison des esclaves), puis pour rentrer le soir, avec peu ou pas de toilettes. Imaginez des baigneurs arrivant de Dakar avec tentes, bouteilles de gaz et marmites, laissant, le soir tombé, les lieux à l’état de porcherie absolue. Nettoyés par qui le matin ? Par les Goréens.
LA TAXE SERA, PEUT-ÊTRE, ENFIN INTÉGRÉE AUX RECETTES ENGENDRÉES PAR LES TRAVERSÉES ININTERROMPUES
Quant aux touristes, qui seuls apportent quelques subsides à Gorée, ils finissent souvent par rebrousser chemin devant la difficulté à prendre la chaloupe, et, s’ils ont bravé la foule, protestent de devoir payer en arrivant une taxe en plus de la traversée. Or, cette taxe, Gorée en a besoin pour faire face à ces désastres dont la liaison maritime n’a que faire. Elle sera, peut-être, enfin intégrée aux recettes engendrées par les traversées ininterrompues : il y a deux jours, les Goréens ont dû bloquer l’arrivée des chaloupes pour se faire entendre !
Il me semble que la plupart des sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco respectent des quotas de fréquentation. Je me trompe ?
PAR BÉATRICE SOULÉ
Jeune Afrique