Bien soutenus par les électeurs au point de peser dans la configuration de la nouvelle Assemblée nationale au sortir des législatives, l’ex-président et le PDS peuvent envisager la réhabilitation de Karim avec plus d’atouts
Pas assez forts pour décider seuls du nouvel agenda qui se précise au sortir des Législatives, mais bien soutenus par les électeurs au point de peser dans la configuration de la nouvelle Assemblée nationale, le président Wade et le PDS peuvent maintenant envisager la réhabilitation de Karim Wade avec plus d’atouts en main. Mais les intérêts des uns et des autres ne sont pas convergents dans ce dossier…
Début septembre, après la proclamation définitive des résultats des Législatives du 31 juillet dernier par le Conseil constitutionnel, l’installation de la 14e législature devrait être l’opportunité pour le président Abdoulaye Wade d’inscrire un nouveau trophée tout en symboles dans son riche palmarès.
En effet, doyen d’âge des nouveaux élus ‘’sachant lire et écrire la langue officielle’’, en vertu de l’article 9 du règlement intérieur de la place Soweto, au début de la législature, il doit assurer la présidence de la première séance jusqu’à l’élection du président. ‘’Il sera assisté par les deux plus jeunes, sachant lire et écrire la langue officielle, pour assumer les fonctions de secrétaire. Il fait procéder à l’appel nominal des députés. Après avoir fait constater que le quorum est atteint, il déclare la séance ouverte’’, précise le texte et ‘’aucun débat ne peut avoir lieu sous la présidence du doyen d’âge, sauf s’il porte sur des questions de procédure relatives à l’élection en cours’’. Clap de fin et retour au réel.
Il est fort probable que ‘’Gorgui’’ n’en fera rien et qu’il agira comme en 2017, quand il avait démissionné de son poste après son élection, laissant cette charge honorifique à Abdoulaye Makhtar Diop, l’actuel Grand Serigne de Dakar, qui terminera la législature comme vice-président de l’institution. Au-delà de l’endurance du personnage, la présence de l’ancien chef d’Etat dans les joutes électorales, à 96 ans passés, dénote son entêtement à réaliser ce qu’il n’a pu faire en passant la main en 2012, à savoir porter au pinacle l’héritier qu’il s’est choisi, son dernier projet politique, le dernier chapitre de sa saga personnelle.
Bien plus qu’un héritage à léguer, à travers son fils Karim Wade, c’est une entreprise contrariée qu’il entend restaurer, un agenda décalé qu’il veut réactualiser. Dans une ultime poussée, la tête en avant, comme le sprinter le ferait sur la ligne d’arrivée, le fondateur du PDS veut toujours peser sur le jeu politique pour remettre en selle le dauphin qu’il s’est choisi, en soldant ses comptes tout en étant au cœur des habituelles recompositions des veilles d’élection présidentielle.
Si beaucoup l’ont présenté comme l’un des grands vainqueurs du dernier scrutin, c’est qu’il a adhéré à la dynamique unitaire de l’opposition, en adoubant l’alliance électorale Wallu-Yewwi Askan Wi, avec la possibilité d’obtenir un groupe parlementaire (et même plus) constitué des seuls 24 députés de sa coalition menée par le PDS et le pouvoir d’influencer le contrôle de l’Assemblée nationale. En un mot comme en cent, il est à nouveau faiseur de rois. Sans lui, Yewwi Askan Wi sera une forte opposition parlementaire avec certes beaucoup de postes dans le bureau de l’Assemblée nationale, mais pas plus. Avec lui, la coalition Benno serait largement majoritaire. Mais ce cas de figure est-il seulement envisageable ? Douze ans sont passés et le temps a fait son œuvre.
Nouvelle légitimité
Malgré une ‘’canonisation’’ avant l’heure par le président Macky Sall avec le baptême du stade de Diamniadio à son nom, Abdoulaye Wade a sans doute la rancune tenace. Du moins, si l’on en croit le politologue Mamadou Sy Albert qui parle de ‘’raison personnelle’’, de ‘’contentieux lourds non encore soldés’’ et de ‘’revanche’’ à propos des relations entre les deux hommes. Malgré la médiation du khalife général des mourides, illustrée par leurs retrouvailles le 27 septembre 2019, lors de l’inauguration de la mosquée Massalikoul Jinaan de Dakar, le politologue fait remarquer que ‘’contrairement à sa promesse d’alors, Macky Sall ne lui a pas rendu visite en retour et de manière publique’’.
Pourtant, en lui passant le témoin en avril 2012, Me Wade avait demandé à son parti de soutenir son successeur. Mais la traque des biens mal acquis est passée par là, suivie de l’emprisonnement de Karim Wade à cinq ans de prison avec 165 milliards F CFA d’amende, son ‘’exil’’ au Qatar et son inéligibilité ; il y a eu aussi le démantèlement du PDS avec la transhumance vers la majorité de plusieurs de ses figures.
Si le président Macky Sall voulait réhabiliter le père tout en maintenant le statu quo pour le fils, les électeurs ont vu la chose autrement, en remettant le PDS en selle. Et voici venue donc l’heure d’arracher par la représentativité politique ce qui devait s’obtenir par un échange de bons procédés. Après le scrutin législatif, Karim Wade donnait des indices de ce que pourrait être leur nouvelle posture, étant entendu que la volonté des Wade est synchrone : ‘’Nous nous mobiliserons pour le vote de lois nécessaires afin de rebâtir, sans esprit de revanche, un Sénégal réconcilié avec lui-même’’, disait l’ancien chantre de la Génération du concret.
En clair, exit la posture du demandeur ; le PDS et les ‘’karimistes’’ veulent recouvrer ‘’leur dû’’. En ont-ils seulement les moyens ? La formation libérale a ressuscité, du moins est-elle sortie de sa torpeur. Depuis les Législatives de juillet 2012 qui ont suivi la défaite à la Présidentielle de la même année, elle avait perdu tous les scrutins, alors que Benno Bokk Yaakaar étendait ses tentacules.
Depuis le 31 juillet dernier, forts de la légitimité offerte par 471 517 électeurs et trois bastions (Mbacké, Pikine et Salémata) dans l’escarcelle, le Sopi s’est positionné comme la troisième force parlementaire. Très vite, le dossier de la réhabilitation de Karim Wade, par amnistie ou par une improbable révision de son procès, remontera dans l’agenda des priorités. Une programmation que le PDS partage nécessairement avec Taxawou Sénégal, le mouvement né des flancs du PS et qui porte les ambitions de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, lui aussi toujours inéligible.
Mais Macky Sall a toujours la main dans le ‘’jeu’’ en cours depuis dix ans maintenant. Il n’est pas sûr que tous les candidats déclarés à la Présidentielle de 2024 voient d’un bon œil ce retour annoncé dans la course de futurs adversaires…
Mamadou Fall