Les ingrédients d’une crise postélectorale semblent réunis au Sénégal, après la tenue des élections législatives, dimanche 31 juillet. Un pouvoir dont la majorité ne tient plus qu’au ralliement d’au moins un député, une opposition qui dénonce un hold-up et menace de ne pas se laisser « confisquer la victoire ». La question est désormais de savoir si la contestation se jouera devant la justice ou se déversera dans les rues. Depuis mars 2021, la vie politique a provoqué la mort d’au moins dix-sept Sénégalais.
La démocratie fonctionne encore mais jamais le fossé entre dirigeants et opposants n’a paru aussi grand. Le premier pôle est incarné par le président Macky Sall, qui s’efforce avec la même vigueur depuis 2012 de développer son pays et de réduire comme il l’avait promis « l’opposition à sa plus simple expression ». Ses réalisations économiques sont aussi visibles que l’échec de son second pari. Si ces législatives avaient valeur de référendum sur une éventuelle candidature à un troisième mandat présidentiel en 2024, le message est là : plus de la moitié des votants se sont portés sur l’opposition.
Le deuxième pôle est représenté par une figure moins iconoclaste qu’elle n’y paraît dans cette vie politique sénégalaise où se mélangent depuis des décennies personnalités formées à l’extrême gauche et d’autres, proches des confréries religieuses. Pourfendeur de la corruption du pouvoir en place, promoteur de valeurs conservatrices, bien qu’il soit accusé de « viols et menaces de mort » dans un salon de massage, Ousmane Sonko est le reflet d’un certain populisme dans l’air du temps. Il a aussi émergé parce que Macky Sall a neutralisé ses autres rivaux. « Le Sénégal est une démocratie sans démocrates, où les deux leaders ne semblent pas intérioriser les principes du débat contradictoire », souligne le professeur de sciences politiques Moussa Diaw.
Derrière ces deux figures apparaissent en filigrane deux Sénégal, l’un dans lequel se retrouvent schématiquement les bénéficiaires de la croissance et l’autre habité de ceux, souvent jeunes, qui attendent dans leur quotidien bien plus qu’un discours autosatisfait du pouvoir. Une troisième voie mériterait d’être entendue. Plus de la moitié des Sénégalais se sont abstenus dimanche.
« Tripatouillages » constitutionnels
Cette crise de confiance est symptomatique de l’évolution de l’Afrique de l’Ouest francophone qui, il y a à peine dix ans, pouvait se targuer de ses progrès démocratiques et voit aujourd’hui les régimes se maintenir par des « tripatouillages » constitutionnels, et les coups d’Etat militaires se succéder.
Déjà en souffrance au Mali, la France peut s’inquiéter de sa relation avec le Sénégal, pays avec lequel elle entretient une intimité complexe. Macky Sall, actuel président de l’Union africaine, est un partenaire privilégié, qui défend aussi les intérêts de son pays et de son continent. Après Vladimir Poutine
A Paris, l’éventualité Sonko fait frémir. La Russie a tout intérêt à faire les yeux doux à un jeune tribun « anticolonialiste ». L’intérêt de l’Elysée est aujourd’hui de convaincre M. Sall de sortir par le haut en 2024 et d’ouvrir le jeu politique à des talents dont le Sénégal ne peut pas manquer. Dans le cas contraire, des protestations, où les intérêts français seront inévitablement visés, ne manqueront pas d’accompagner le maintien du sortant. Une arrivée au pouvoir d’Ousmane Sonko serait, elle, le signe d’un certain rejet populaire, préfigurant une rupture avec un pays central dans la relation de la France à l’Afrique.
Le Monde
Déjà en souffrance au Mali, la France peut s’inquiéter de sa relation avec le Sénégal, pays avec lequel elle entretient une intimité complexe. Macky Sall, actuel président de l’Union africaine, est un partenaire privilégié, qui défend aussi les intérêts de son pays et de son continent. Après Vladimir Poutine, il devrait rencontrer Volodymyr Zelensky en août. Un an avant son entrée programmée dans le club des producteurs de pétrole et de gaz, le Sénégal attise aussi les convoitises.