Maurice Soudieck Dione cerne le mal qui a perdu Macky et Benno

par pierre Dieme

En attendant la publication des résultats des élections Législatives du 31 juillet prévue ce jeudi, le Professeur Maurice Soudieck Dione nous livre sa lecture des premières tendances du scrutin

En attendant la publication des résultats des élections Législatives du 31 juillet prévue ce jeudi, le Professeur agrégé en Science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Maurice Soudieck Dione nous livre sa lecture des premières tendances du scrutin. Dans cet entretien avec Sud quotidien, il lève un coin du voile sur les raisons de la déroute de la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yaakaar tout en s’arrêtant sur le fiasco de la coalition Aar Sénégal. Loin de s’en tenir, l’Enseignant chercheur en Sciences politiques revient également sur la clé de la réussite de l’inter-coalition Yewwi-Wallu et la surprise crée par le journaliste-candidat, Pape Djibril Fall qui a réussi pour sa première participation à se hisser devant des ténors comme Pape Diop de la Bokk Gis Gis et Dr El Hadji Ibrahima Mbow de l’Ucs Bunt-bi.

Quelle est votre appréciation globale des premières tendances des législatives du 31 juillet dernier publiées par les commissions départementales des votes ?

Au départ, il était très difficile de prévoir l’issue de ces joutes électorales très disputées. Le contexte socio-économique marqué par une hausse généralisée des prix, la dureté des conditions de vie, les inondations, etc. n’était pas favorable à la majorité au pouvoir. Les rapports entre acteurs politiques étaient tendus en raison du lourd contentieux de la phase pré-électorale lié notamment à la décision  du Conseil constitutionnel amputant illégalement la liste de la coalition Yewwi Askan Wi de la composante des titulaires  ; et la confrontation politique qui s’en est suivie faisant un bilan de plusieurs morts, de destructions, d’arrestations illégales de leaders de l’opposition : le maire de la Ville de Guédiawaye, Ahmed Aïdara, les députés Déthié Fall et Mame Diarra Fam, en dépit de leur immunité parlementaire. Donc, ces élections étaient très attendues pour que le peuple sénégalais, détenteur de la souveraineté, tranchât le conflit entre les différentes forces politiques en compétition. Le cadre organisationnel d’expression de la volonté populaire a été mis en place de manière adéquate, et il faut s’en féliciter ; tout en regrettant les proclamations de résultats venant des acteurs politiques, lesquelles en violation des dispositions du Code électoral ne sont pas de nature à apaiser la situation. En effet, on ne peut pas être à la fois juge et partie. La CENA (Commission électorale nationale autonome) aurait dû intervenir pour condamner et faire cesser ces manquements à la loi électorale, afin de calmer les esprits. Quoi qu’il en soit, on note au regard des premiers résultats une percée significative de l’opposition, notamment de l’inter-coalition Yewwi-Wallu, qui se dispute âprement la majorité avec la coalition Benno Bokk Yaakaar.

À votre avis, qu’est-ce qui explique cette performance de l’inter-coalition Yewwi-Wallu  : Le discours de Sonko sur le parallélisme de la victoire de Benno et le troisième mandat ?

Il y a eu une présidentialisation de la campagne des élections législatives avec l’implication d’Ousmane Sonko, principal leader de l’opposition, clairement positionné pour la Présidentielle de 2024. Dès lors, par son coefficient personnel, il a boosté les résultats de l’entente politique des deux coalitions les plus populaires de l’opposition, Yewwi Askan Wi et Wallu Senegaal, en plus de l’apport des autres leaders de la coalition Yewwi Askan Wi, malgré l’invalidation illégale et illogique de la composante des titulaires de la liste Yewwi Askan Wi, pour instituer les suppléants à leur place.

«(…) l’inter-coalition Yewwi-Wallu a fait campagne avec succès contre l’éventualité d’une troisième candidature du Président Sall en 2024 »

Le Président Sall aurait dû mettre un terme à ce débat en clarifiant qu’il ne peut pas être candidat pour la Présidentielle de 2024, parce que c’est la Constitution qui l’exclut du jeu, qui dispose en son article 27 : « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». En entretenant le flou se contentant d’affirmer « ni oui ni non », alors que la question ne relève pas de son bon vouloir mais des dispositions de la Charte fondamentale, il a renforcé par son attitude, l’idée à lui prêtée de présenter illégalement une troisième candidature. L’opposition a ainsi considéré dans sa communication politique que les électeurs ne devaient pas conforter le camp présidentiel, car ce serait l’encourager sur la voie de l’illégalité d’une troisième candidature, avec toutes les conséquences que cela peut avoir en termes de tensions, de violences, de morts et de destructions, et dont on peut faire l’économie. Surtout que pour un pays qui détient des ressources naturelles abondantes de pétrole et de gaz, l’insécurité et l’instabilité peuvent favoriser une déstructuration de l’État dont on aura du mal à sortir, dans un contexte sous-régional marqué, de plus, par la montée de l’extrémisme violent.  Il y a eu également l’accord politique au niveau des départements entre les deux coalitions les plus représentatives de l’opposition, à savoir Yewwi Askan Wi et Wallu Senegaal, afin de mutualiser et de sécuriser leurs forces. En effet, avec le scrutin majoritaire à un tour au niveau départemental où avec une seule voix de différence on remporte tous les sièges, l’objectif politique de cet accord Yewwi-Wallu était d’arriver en tête dans le maximum de départements et d’y rafler tous les sièges. Il faut rappeler que Benno Bokk Yaakaar avait beaucoup profité de ce mode de scrutin en 2017. Car, alors même qu’elle n’avait pas obtenu la majorité, ayant totalisé 49,48% des voix, Benno Bokk Yaakaar s’est retrouvée avec 125 députés sur 165. Donc, cette entente Yewwi-Wallu au niveau des départements a été pour une large part à l’origine de la percée de l’opposition.

Y a-t-il également un lien entre ces résultats avec les scandales impliquant des députés avec l’affaire des faux billets et du trafic de passeports diplomatiques ou encore l’absence de proposition de loi ?

C’est vrai parce qu’il y a eu une détérioration de l’image de l’Assemblée nationale jamais vue dans l’histoire politique du Sénégal, avec des députés impliqués dans des trafics de passeports diplomatiques et dans la falsification de billets de banque. Or,  le parlementaire exerce une mission noble au service de la Nation ; d’où l’appellation d’honorable député qui lui est donnée. En tant que représentant du peuple, la mission du député est solidement arrimée à la dignité. L’article 100 du Règlement intérieur dispose en effet : « Le député, élu du peuple, est un représentant qualifié de la Nation. Le prestige et l’autorité de l’Assemblée nationale, incarnation de la souveraineté populaire, sont les garanties d’une démocratie véritable. L’élu du peuple a des obligations de rigueur morale, d’intégrité, de droiture et de dignité qui doivent se refléter dans son comportement et sa vie de tous les jours. Ces exigences imposent un statut à la dimension de ses responsabilités. L’Assemblée nationale doit lui garantir des conditions de travail satisfaisantes et les services de l’État assistance, respect et considération.» Concernant les propositions de loi, il faut dire qu’elles sont contraignantes pour les députés, car elles doivent respecter strictement un équilibre financier : les dépenses qu’elles suscitent doivent générer des recettes compensatrices. Il faut ajouter également que dans l’histoire politique du Sénégal, les propositions de lois ont souvent été des occasions de perpétrer des coups politiques : comme la proposition de loi qui a entraîné l’éviction d’Habib Thiam de la présidence de l’Assemblée nationale en 1983, en réduisant son mandat de 5 à un an, le poussant à la démission; comme celle qui dans la même perspective a ramené le mandat de Macky Sall de 5 à un an, le poussant à la démission de la présidence de l’Assemblée nationale en 2008 ; ou comme celle qui a amnistié en 2005 les assassins du vice-Président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, le 15 mai 1993. Donc, je ne pense pas que ce soit en raison de l’absence de propositions de lois des députés que la législature passée a été décriée. Il faut ajouter qu’il y a plutôt des réformes structurelles à effectuer pour améliorer le fonctionnement de l’Assemblée nationale dans le système politique sénégalais, notamment à travers une relation plus équilibrée avec le pouvoir exécutif. En plus d’une plus grande exigence sur le profil des députés, en mettant en avant des critères de compétences, de niveau d’études, par exemple pour les députés investis sur la liste nationale, qui en réalité sont plus cooptés qu’élus ; en renforçant la légitimité populaire des députés en les élisant au niveau départemental par un scrutin majoritaire à deux tours  ; en conférant à l’opposition certaines prérogatives à l’Assemblée nationale par la présidence de commissions importantes, le contrôle de l’utilisation des ressources du Parlement et la possibilité de présider chaque année une commission d’enquête.

Selon vous, la présence du président Wade qui a débarqué à Dakar en cette veille du scrutin a-t-elle influé sur cette situation ?

Le Président Wade est une icône de la vie politique sénégalaise, qui en combattant infatigable et acharné a joué un rôle majeur dans la construction de la démocratie au Sénégal, pendant 26 ans d’opposition (1974-2000), durant lesquelles il a affronté toutes sortes de difficultés et subi beaucoup d’injustices et de brimades. Même s’il n’a pas fait campagne, à son âge, 96 ans, se déplacer de l’étranger pour venir accomplir son devoir civique est un acte de très haute portée symbolique, en plus d’avoir appelé à voter au profit de l’inter-coalition Yewwi-Wallu.

Comment expliquez-vous le cas de la coalition Aar Sénégal, seule à avoir présenté un programme. Est-ce à dire que les Sénégalais votent sans tenir compte de programmes ?

Certes, la coalition Aar Senegaal est composée de plusieurs personnalités politiques de qualité, et a présenté un programme de 14 propositions pour une Assemblée de rupture. Mais quelle que soit la pertinence d’un programme, il faut obtenir la majorité pour l’appliquer. Au demeurant, on ne peut pas affirmer dans l’absolu que les Sénégalais votent sans tenir compte des programmes, mais il semble que le vote utile a été privilégié lors de ces élections législatives, autour de l’enjeu essentiel d’obtenir la majorité, qui a entraîné une bipolarisation Benno Book Yaakaar versus Yewwi-Wallu.

Quid du cas de Pape Djibril Fall  ? Pour sa première participation d’après les premières tendances se classe 4ème devant des coalitions comme Bokk Gis Gis de Pape Diop et Ucs Bunt-bi ?

Pape Djibril Fall a été la surprise de ces élections. Malgré la modicité de ses moyens et le fait qu’il n’était présent que dans quelques départements, il a engrangé des résultats appréciables pour une première participation. Homme des médias et tribun éloquent, il a attiré la sympathie des électeurs par un discours pertinent sur les problèmes, préoccupations et besoins de la société avec des propositions intéressantes ; il a pu se frayer un chemin malgré l’âpreté du combat de titans que se sont livrés les deux mastodontes de ces élections législatives, à savoir d’une part Benno Bokk Yaakaar et d’autre part Yewwi-Wallu.

Nando Cabral GOMIS  

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