Faut-il brûler la RTS ?

par pierre Dieme

Voilà une télévision censée être au service des Sénégalais malheureusement transformée en instrument de propagande pour les différents présidents du pays. Le culte du chef y a atteint son paroxysme

Lors de l’étape de Tivaouane de sa tournée de campagne électorale, le 16 juillet dernier, la tête de liste nationale de Yewwi Askan Wi a, à l’entame de son propos, dit aux militants surchauffés ceci : « Je voudrais avant d’aborder le vif du sujet, qu’on me retire ce micro (ndlr : micro RTS). Et savez-vous pourquoi j’ai dit cela ? Après que Macky Sall et ses suppôts du Conseil constitutionnel ont manœuvré pour invalider illégalement notre liste titulaire proportionnelle, je me demande pourquoi la RTS nous filme parce qu’elle ne le diffusera jamais. La RTS est financée avec nos impôts. Chaque année, on lui alloue des milliards. Et pourtant, elle ne couvre les activités de l’opposition que pendant des élections. Vous trouvez cela normal ? Chaque jour, ce sont les activités de Macky Sall qui sont diffusées alors qu’il est dit dans nos textes que la RTS doit animer des émissions plurielles où l’opposition doit avoir accès. Macky a nommé à la tête de la RTS un politicien qui est à son service.

A chaque élection, la RTS s’empresse de venir nous filmer. C’est pourquoi, j’ai dit au départ de me retirer ce micro et de le jeter là-bas ». Et dès l’instant que cette déclaration a été faite à l’endroit de la RTS, les indignations et les condamnations ont fusé du côté du pouvoir. Mais la réponse la plus violente émane du directeur général de la RTS, Racine Talla : « Ousmane Sonko ne fait partie d’aucune liste, il a voulu parasiter la tête de liste pour sortir à la Télé. Le micro de la RTS est destiné à la tête de liste, s’il veut maintenant profiter de son temps de parole pour demander d’enlever le micro de la RTS, c’est parce qu’il cherche du buzz. Il ne cherche que ça…

Ils cherchent à faire des actions d’éclat pour que cela soit relayé par la presse. La RTS est une institution publique et qu’à cet effet, on lui doit respect. Ce sont des Sénégalais qui y travaillent et qui sont en mission pour le Sénégal. S’il cherche du buzz qu’il aille le chercher ailleurs, mais pas à la RTS. Sonko est nul en communication, ils sont nuls en communication, ils sont nuls en politique. En politique pour eux, c’est la violence, en communication, ils pensent que ce sont des insultes, des insanités, des manques de correction à l’égard de fils du pays et serviteurs du pays comme les agents de la RTS. Nous demandons à l’État et au CNRA de prendre toutes leurs responsabilités face à ces comportements incorrects. Nous ne pouvons pas laisser la presse à la merci de ces aventuriers. Ils profitent des tribunes publiques pour humilier les gens, mais jamais ils ne réussiront à humilier la RTS. »

Et voilà que, à la suite des propos de son directeur général, la RTS est sortie de ses gonds pour flétrir à travers un communiqué le geste de Ousmane Sonko à travers lequel se reconnaissent plusieurs journalistes de la RTS et au-delà des millions de Sénégalais.

La carence intellectuelle du patron de la RTS

Une telle réponse témoigne de la carence intellectuelle du patron de la RTS. A moins qu’il ne cherche à faire de l’amalgame. Car tout le monde — les observateurs de bonne foi tout au moins — sait que la mise à l’écart du micro de la RTS ne visait pas le journaliste de la RTS préposé à la couverture du meeting de l’inter-coalition Yewwi/Wallu. Tout le monde reconnait que le journaliste Ousmane Mbengue exerce le métier avec professionnalisme. Ceux qui écoutent la radio nationale, qui est de loin meilleure que la télé nationale, savent que le jeune Ousmane dirige avec brio ses émissions où toutes les franges sont invitées. C’est pourquoi vouloir déceler une velléité d’humiliation d’un confrère relève d’une mauvaise et d’une tentative d’absoudre les nombreux manquements de la RTS dans le traitement déséquilibré de l’information. La quasi-totalité des Sénégalais se reconnaissent dans le geste de Sonko. L’appellation Rien Tous les Soirs pou désigner la RTS est pleine de signification à cet égard. Et tout le monde est convaincu que la RTS a besoin de profondes réformes quant à son mode de fonctionnement, de financement et management. Il ne sert à rien de mettre des milliards dans une structure à laquelle beaucoup de Sénégalais ont tourné le dos.

RTS : on se soumet ou on est démis

Voilà une télévision qui devait être au service des Sénégalais et qui est malheureusement transformée en instrument de propagande pour les différents présidents du Sénégal et ce de Senghor jusqu’à Macky Sall en passant par Diouf et Wade. Les médias d’Etat n’ont jamais été au service du public comme le définit leur statut, mais au service du Prince et de sa famille politique. La RTS, dans son fonctionnement actuel, est un médium de service privé à capitaux publics ! Il est regrettable de le constater mais, sous l’ère des « libéraux » Wade et Macky Sall, la RTS, avec plus de moyens logistiques et humains, a fait un grand bond en arrière. Plutôt que de libéraliser ce médium, ces deux présidents l’ont plus encore étatisé battant même sur ce plan les socialistes ! C’est dire…

Les émissions du temps de Diouf qui donnaient à l’opposition un temps d’antenne ont été supprimées. Wade avait fini par avoir son équipe télé à la présidence. Macky l’a densifié. Pendant ses voyages, seule la RTS l’accompagnait. Les rares organes qui, de temps à autres, été invités par ses soins y envoient leurs journalistes, sont ceux étiquetés proches du pouvoir. Depuis 2012, le journaliste Racine Talla dirige d’une main de fer la RTS. Et met en œuvre une propagande digne des heures les plis noires du défunt régime soviétique. Ce n’est pas pour rien que, dans les colonnes de ce journal, nous l’avons surnommé Brejnev Talla ! Les journalistes hommes qui refusent de se soumettre à son autorité sont mis au placard. Quand aux journalistes femmes…

Avec lui, on se soumet ou on est démis. Les syndicalistes qui luttent pour une meilleure gestion et pour la transparence sont farouchement combattus. Ses obligés dont la plupart ne sont même pas journalistes jouissent de salaires faramineux. Et ce sont ces travailleurs, valets de Racine Talla, que l’on n’a jamais entendu poser une revendication ou mener un combat dans le sens d’un véritable pluralisme de la RTS, qui n’ont pas tardé à pondre un communiqué lamentable pour emboucher la même trompette que leur chef.

En voici la teneur : « Ce samedi 16 juillet 2022, dans le cadre de la couverture officielle de la campagne électorale des Législatives du 31 juillet prochain, l’équipe de la RTS mise à la disposition de la coalition YEWWI ASKAN WI a fait l’objet de propos discourtois et inélégants de la part de Monsieur Ousmane Sonko pourtant non candidat à ces joutes électorales. Monsieur Sonko a, sans ménagement, écarté le micro de la RTS, provoquant dans la foulée des huées de ses partisans.

La RTS condamne avec fermeté cette attitude et exige du « respect vis-à-vis de son équipe qui ne fait qu’accomplir sa mission de service public. Pour le reste, la RTS compte prendre toutes ses dispositions pour ne plus faire l’objet d’attaques indignes de quelque responsable politique que ce soit. »

Pourtant, ce communiqué laborieusement écrit et lamentablement estampillé RTS est dénoncé par certains journalistes qui ne se reconnaissent pas dans cette fausse indignation. Un brillant présentateur, en l’occurrence le journaliste Cheikh Traoré, tire la conclusion la plus rationnelle du geste de rebut de Sonko. Pour lui, la RTS doit changer de comportement. Cette position, plusieurs confrères et consœurs dont la plupart végètent dans des cagibis qui leur servent de bureau la partagent avec le pétillant présentateur de la RTS. Cela veut dire que la RTS doit s’affranchir du joug de l’exécutif et livrer au public une information plurielle, de qualité avec un équilibre sans faille. Et non de la vulgaire propagande ! A la RTS, l’information est strictement contrôlée comme à Pyongyang. Demba Ndiaye, qui a été journaliste à la RTS radio de novembre 1983 à novembre 1987, avait déclaré en janvier 2009, dans le cadre des « quinzaines » de la librairie Clairafrique, que « toutes les informations à la RTS sont contrôlées, aseptisées avant diffusion »par le ministère de l’Information (aujourd’hui de la Communication) qui joue un rôle « d’organe de contrôle des consciences ».

Lui qui a fait de l’indépendance et la liberté un credo avait été victime de ceux-là qui ont voulu contrôler sa conscience. Aujourd’hui ce contrôle des consciences est plus qu’actif. Des journalistes qui militent au Synpics se sont vu opposer un autre syndicat qui n’existe que dans les papiers de Racine. Il s’agit du Syndicat des professionnels de l’audiovisuel public (SYNPAP), béni financièrement par le Brejnev Tallavitch et créée uniquement pour contrer les empêcheurs de tourner en rond.

Aujourd’hui des journalistes chevronnés telles que Awa Cissé, chef station régionale de Kaffrine, Elisabeth Agnès Sarr, chef de la station de Kaolack, Véronique Diouf, chef de la station de Fatick, ont été déchargées responsabilité. Les deux dernières ont été semi-réhabilitées avec l’attribution de nouvelles responsabilités. Les grands professionnels tels qu’Oscar Tendeng, Benoit Badiane, Pape Malick Ndao, Abibatou Mbaye, Issa Thioro Guèye, Abass Sow, Cheikh Birahim Ndiaye, Moustapha Cissé, Alé Ngone Niang et Bassirou Sylla ont subi l’acuité du sabre de Racine Talla. Et la conséquence, tous ceux-là subissent des ponctions salariales à cause de la disparition des indemnités liées à leurs responsabilités. Même les chauffeurs qui ne partagent pas ses positions du Dg retraité depuis Mathusalem ont été affectés dans les régions en guise de punition. Au même moment, ses caudataires, la plupart des mécaniciens occupent les postes les plus juteux à la RTS.

Le comble est atteint avec Bamba Guèye, mécanicien de profession qui est nommé chef du protocole de Racine de classe 7, chef de département avec véhicule avec tous les passe-droits financiers afférents. A la RTS, les mécaniciens et autres valets de service sont mieux rémunérés que les têtes de turc qui refuse le diktat racinien. La RTS, c’est aussi la mauvaise gestion. Les matériels audiovisuels et autres cars de diffusion achetés chez les Belges, il y a de cela quatre ans, sont tous à l’arrêt.

La RTS, la KCTV version tropicale

Aujourd’hui Macky et Racine ont transformé la RTS en média de propagande qui ne relaie que les activités du président, du chef de Bennoo et celles de la Fondation de Madame la présidente. En matière de culte du chef, la télé nationale, dont la mission est de parler obséquieusement de Macky, est en forte concurrence avec la télé centrale nord-coréenne KCTV qui passe, elle aussi, l’essentiel de son temps à parler du chef suprême du pays Kim Jong-Un. Lors du référendum de 2016, Sidy Lamine Niasse avait dénoncé le comportement propagandiste de la RTS. « Par ces temps de pré-campagne pour le référendum du 20 mars prochain, les services de Racine Talla couvrent systématiquement tous les meetings des responsables de l’Apr et de la Coalition Bennoo Bokk Yaakaar et diffusent les éléments au cours des principales éditions du Journal télévisé.

Une véritable propagande politique de la télévision nationale qui fonctionne pourtant avec l’argent du contribuable sénégalais qui n’est forcément pas un militant de l’Apr », dixit le patron de Walf accusé à l’époque de faire la propagande du « non ». Il est regrettable de constater que, de la main rebutante de Sonko, Racine n’en retient qu’un politicien qui veut faire du buzz ou de la communication politicienne. Comme si lui-même n’était pas un membre éminent du parti présidentiel qui bat campagne pour les législatives à Guédiawaye et dont toutes les activités sont diffusées par sa télévision !

Et comme pour montrer au leader de Pastef que les opposants sont exclus de la RTS, le DG politicien retraité depuis septembre 2018 mais maintenu au poste pour mieux servir sa Majesté ou son Excellence (passez-moi la formule idoine) nous crache que la non-diffusion des activités de l’opposition est une option tandis que la diffusion de celles du pouvoir, c’est une obligation. L’émission dominicale animée par Oumar Gning n’a jamais eu l’honneur d’accueillir des opposants. On n’y déroule le tapis rouge qu’à la valetaille présidentielle. En France, les chaines de télé publique peuvent rester longtemps sans parler de Macron. Au Sénégal, depuis avril 2012, il n’y a pas eu un seul jour où le nom de Macky Sall n’est pas prononcé à travers la télévision nationale.

Le culte du chef a atteint son paroxysme. L’actuel directeur de Radio Sénégal, Michel Diouf, a sorti une note enjoignant à tout agent de la RTS de toujours ouvrir le journal avec toute information relative au président et cela quelle que soit l’importance — ou l’absence d’importance ! — de l’information. Et tout journaliste rétif qui rechignera à exécuter les injonctions de seigneur Racine et de son homme-lige Michel en fera les frais comme cela est déjà arrivé avec tous ces journalistes qui ne cessent de se battre pour que l’opposition trouve équitablement sa place au sein de la RTS qui est un patrimoine du peuple et non de la famille Faye-Sall. Et comme le ridicule ne tue pas, le président de la République est en train de faire construire une tour de 23 milliards de francs pour servir de siège à la RTS. Afin qu’elle puisse mieux encore faire de la propagande en son illustre gloire !

Décidément, la KCTV a une sacrée concurrente ici en Afrique… Bien évidemment, ceci au « Témoin », nous refusons de condamner le geste posé à Tivaouane par Ousmane Sonko à l’encontre de la RTS et nous nous y reconnaissons pleinement même…

PAR SERIGNE SALIOU GUEYE

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