Après l’émotion suscitée par la bouderie de Sonko, il est venu le temps pour nous Rtsiens de nous arrêter et de nous interroger sur la notion même de service public
C’est en ma qualité de membre de la grande famille de la RTS que je me permets d’intervenir sur le débat soulevé par le rejet du micro de la RTS par Ousmane Sonko, leader de YAW. Un acte diversement apprécié et différemment condamné par les confrères et consoeurs.
Après l’émotion suscitée par la bouderie de Sonko, il est venu le temps pour nous Rtsiens de nous arrêter et de nous interroger sur la notion même de service public. Le concept peut être appréhendé sous plusieurs angles et suivant le lieu où on se situe. De toutes les approches émises en France, aux EtatsUnis ou en Afrique subsaharienne, la définition de Jay Blumler et ses collègues me semble la plus apte à cerner le sens de la controverse. Ils définissent le service public de l’audiovisuel comme « répondant à des principes tels que l’universalité géographique (le signal doit atteindre toute la population), l’éthique d’une offre complète, des mandats généraux, la diversité, le pluralisme et la variété (satisfaction d’un large éventail d’opinions et de goûts), la dimension non commerciale, et le rôle politique de la médiatisation des débats contradictoires au sein de la sphère politique ».
A la lumière de ces caractéristiques qui fondent le service public, chacun d’entre nous peut se faire en observation des pratiques à la RTS sa propre opinion du respect ou non des missions du service public par les dirigeants de l’institution. La pratique partisane dans le service public de l’audiovisuel est congénitale à la création même de la structure sous les auspices du président poète dans un contexte de monopole. Les autorités ont toujours considéré la radiodiffusion télévision comme un instrument de pouvoir et y ont imposé d’autant plus facilement un monopole. Un régime de propriété publique qui garantit à l’Etat le contrôle exclusif de l’activité de la chaîne de télévision. La télévision est ainsi un instrument du pouvoir lui permettant d’étaler sa mainmise sur toutes les structures avec un contrôle étroit des personnels et un usage exclusif du média comme moyen d’information et d’orientation.
Donc un monopole de fait accentué par l’étroite dépendance financière, le choix des responsables proches des dirigeants politiques et qui se traduit par une intervention quasi permanente de la classe dirigeante, à la fois sous forme de propagande pour les idées et les personnes du pouvoir politique, et de censure pour tout ce qui pouvait s’opposer à elles ou leur déplaire. Par nécessité de cohérence vous me permettrez de revenir sur les caractéristiques du service public en son dernier point : « le rôle politique de la médiatisation des débats contradictoires au sein de la sphère politique » pour décrypter si besoin en est le comportement de Sonko qui à mon avis n’est pas un signe de désaveu de l’équipe de la télévision nationale mais plutôt un signe de dépit et de dédain envers ses dirigeants.
En ce sens d’ailleurs j’adhère totalement à la réflexion d’Abdoul Ba dans son livre (Télévisions, paraboles et démocratie en Afrique, Harmattan, p.56), à propos du pouvoir exercé en Afrique dans un espace délimité par ses détenteurs et non par des lois. Il dit: « c’est ainsi que la télévision africaine en est toujours à faire état de la »pensée du jour du chef de l’Etat, à évoquer par le détail, la plus insignifiante de ses audiences, le plus menu de ses déplacements. Le rôle de la télévision en Afrique a toujours été de faire écho de cette »vérité décrétée d’en haut » ».
La Radiodiffusion Télévision, faut-il le rappeler, doit être nationale. Elle doit oeuvrer à satisfaire tous les publics. L’argent qui y est injecté n’est pas l’argent d’un homme politique fut-il le président de la République ni d’un parti politique fût-il le parti au pouvoir. C’est l’argent du contribuable sénégalais qui finance l’audiovisuel public, qui paye ses employés et ses missions. La RTS et ses agents ne sont redevables qu’au peuple sénégalais et non à aucune autre personne ou entité. Nous ne pouvons plus fonctionner en ce 21e siècle comme il y’a plus de 40 ans.
Les ruptures sont devenues nécessaires. Ne pas les faire, c’est simplement ne pas comprendre les enjeux actuels de la communication. A l’heure du numérique et des plateformes digitales, à l’heure où les penseurs et les experts emettent la thèse de l’avenir même de la télévision traditionnelle pour ne pas dire sa disparition, au moment où youtube et Netflix offrent des possibilités immenses de création de chaînes de télévision, la télévision traditionnelle est obligée de s’adapter ou elle disparaitra. Les téléspectateurs, pour s’informer n’ont plus besoin d’attendre le 20h. Le web tend à remplacer les chaînes de télévision. Il propose un choix infini de contenus, il a fragmenté l’audience, éclaté les usages et a basculé vers une distribution généralisée.
En dépit des frustrations nées du comportement de Sonko, il nous faut être lucide et repenser le service public de l’audiovisuel si nous ne voulons être laissés à quai par le train de l’histoire. Il y a certaines pratiques à bannir. Depuis presque 10 ans, aucun parti politique de l’opposition n’est invitée à la télévision nationale. Même les partis de la mouvance présidentielle excepté l’APR ne voient presque pas leurs activités politiques couvertes par la télévision nationale qui appartient à tous les sénégalais.
LA RTS EST ABSENTE SUR TOUS LES DÉBATS QUI INTÉRESSENT LE PEUPLE :
– même pas de off pour les manifestations des syndicats, contre la vie chère, contre l’agenda LGBT de samm jikoyi. Rien
– aucun débat contradictoire sur l’exploitation de nos ressources pétrolières, gazières , minières et halieutiques. Rien
-aucun débat contradictoire sur les réformes institutionnelles et politiques.
Les rares émissions politiques sont orientées et animées par des présentateurs acquis à la cause des hommes politiques au pouvoir. Dans ce cas comment voulez-vous que la RTS soit en phase avec les téléspectateurs? Nous ne sommes plus au temps de la pensée unique. Si la RTS en tant que service public ne joue pas son rôle, les réseaux sociaux sont là. je vous invite à nous regarder en face et de nous dire la vérité. La RTS a de grands professionnels pétris de talents, mais qui n’émergent jamais. Pourquoi?
Je vais conclure par cette digression. J’ai entendu quelque part Sonko être traité de nul en communication. Ce n’est pas mon avis même si politiquement je ne suis pas avec lui. Je pense qu’en tant qu’inspecteur des impôts de formation, il est bon en communication. La communication repose sur deux leviers : une cible et la stratégie pour l’atteindre. Je crois qu’il a réussi les deux sinon pourquoi cette levée de boucliers?
PAR AMADOU ARAME THIAM